Un tabou « historique » est en phase de neutralisation. C'est du moins ce qui ressort de cette volonté d'organiser un débat à Alger sur les essais nucléaires français au Sahara. « Un débat scientifique et historique », insiste Ibrahim Abbès, directeur du patrimoine historique et culturel au ministère des Moudjahidine, premier responsable du colloque international qui s'ouvre aujourd'hui à l'hôtel El Aurassi. Une manifestation qui devait se tenir en novembre 2006 mais qui a été reportée pour des considérations techniques, à en croire M. Abbès. « Contrairement à ce qui a été dit çà et là, nous n'avons subi aucune pression pour annuler le colloque », dit-il, lors d'une rencontre avec la presse, hier, au siège du Centre national d'études et de recherches sur le mouvement national, à El Biar, sur les hauteurs d'Alger. « Il y a la nécessité de faire le travail de mémoire. Il n'y a pas de sujets tabous. » Nous avons déjà abordé le thème du comportement de la justice durant de la guerre de libération. Nous avons également étudié les mouvements qui étaient hostiles à la révolution », précise M. Abbès. Djamel Yahiaoui, directeur du centre, indique que la thématique sera traitée par des juristes, des historiens et des experts. Sont invités à prendre la parole Nic Mac Lellan, chercheur australien de la Nuclear Free and Independent Pacific Movement (basé aux îles Fidji) ; Katsumi Furitsu de l'Association des victimes des essais nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki au Japon ; Roland Oldham, président de l'Association Moruroa e Tatou (installée à Papeete à Tahiti) ; Jean Louis Valtax, président de l'Association des vétérans des essais nucléaires français (AVEN) ; Carah Ong, directeur de communication de la Nuclear Age Peace Foundation, ONG américaine qui mène campagne contre la guerre en Irak ; Bruno Barrillot, journaliste et expert français au Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits. Côté algérien, les chercheurs Amar Mansouri, Mohamed Bellameri et Zahra Mokrani du Comena (recherche atomique) prennent part aux débats. Mais aussi des spécialistes en médecine nucléaire, à l'image de Salah Eddine Benyoucef du Chu de Bab El Oued et Abdelhamid Aberkane du Chu de Constantine. Les organisateurs ont fait appel également à des témoins des régions d'Adrar et de Tamanrasset où ont eu lieu les essais nucléaires français entre 1960 et 1966. A ce jour, aucun bilan détaillé n'a été établi des victimes civiles algériennes des fameuses opérations Gerboise bleue, rouge, blanche et verte et des treize essais souterrains dans la montagne de Tan Afella à In Ecker, dont les sinistres Saphir, Jade, Rubis et Béryl qui ont fait beaucoup de dégâts à cause des fuites. L'Algérie, selon M. Abbès, souhaite profiter, entre autres, des expériences japonaise, américaine et polynésienne pour la prise en charge des victimes. « Que faut-il faire après, c'est notre souci », dit-il. Si le dossier des indemnisations, à réclamer auprès de l'ex-puissance coloniale, n'est pas encore posé, cela a tout l'air d'être le début d'un long chemin. L'AVEN, qui défend d'anciens soldats, a déposé plusieurs plaintes contre l'Etat français. ` Dans une note de présentation, un des objectifs du colloque d'aujourd'hui est précisé en ces termes : « Poser le problème des essais nucléaires français au Sahara algérien sur le plan de la responsabilité juridique, tout en dénonçant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité causés par les effets de rayonnements ayant contaminé des zones importantes et affecté tant l'espèce humaine que les espèces animale et végétale. » Il est expliqué que des éléments existent sur « des négligences graves en connaissance de cause » pour la sécurité et la santé des personnels des essais et des populations voisines. « L'opération de démantèlement de ces sites n'a pas été correctement effectuée, ce qui constitue des risques permanents liés à toute vie dans ces zones », est-il indiqué. Aucun travail détaillé et scientifique n'a été fait sur le nettoyage de ces zones considérées comme dangereuses (le volume des essais atomiques français a dépassé les 500 kilotonnes). « Le colloque va engager une réflexion sur un programme de réhabilitation des sites contaminés », précise M. Abbès. Il y a également l'idée de proposer des textes de loi pour la prise en charge des victimes. Il est prévu également la publication d'un ouvrage sur les conséquences des essais nucléaires au Sahara. Le débat aura-t-il un aspect politique, tant il est vrai que les implications futures sur les relations, déjà compliquées, entre l'Algérie et la France seront inévitables ? « La question politique ne peut pas être dissociée du débat scientifique et historique », souligne le représentant du ministère des anciens combattants.