La présidente appelle à la barre Sahbi Daoud, PDG de l'Enafor, une filiale de Sonatrach, dont le siège se trouve à Hassi Messaoud. Poursuivi pour corruption, trafic d'influence et perception d'avantages, il explique qu'à la fin 2001 ou au début 2002, une délégation de Khalifa, dont Amalou, directeur général du réseau de la banque, s'est déplacée à Hassi Messaoud et a demandé à voir le financier. La présidente lui demande si parmi cette délégation se trouvait Signi, l'adjoint du directeur de l'agence d'El Harrach, qui travaillait, avant son recrutement, à la BEA de Hassi Messaoud et à Alger. L'accusé ignore. Cette délégation a fait des propositions commerciales liées notamment au commerce extérieur. Ces offres ne l'intéressent pas tellement, du fait que la banque était, selon lui, très jeune. Il préfère, ajoute-t-il, plutôt aborder la question des placements et des facilités de caisse qui étaient à son avis des opérations plus simples pour une banque. Une façon pour lui de mieux connaître la banque. Il envoie son financier à l'agence de Chéraga et c'est là où il y a eu la proposition d'un taux d'intérêt de 11% pour un montant de 600 millions de dinars. Il explique que ce placement entre dans le cadre des actes de gestion du PDG et, à ce titre, il n'avait pas à soumettre la décision au conseil d'administration. De plus, ajoute-t-il, le conseil était informé chaque mois de l'état de la trésorerie au détail près, qui faisait ressortir les placements et les noms des banques. La présidente : « Vous saviez que vos collègues d'autres filiales de Sonatrach ont appelé la société mère et ils ont été déconseillés, ce qui leur a permis de ne pas perdre leur argent ? » L'accusé : « C'est leur point de vue. Dans notre entreprise depuis 1999, nous plaçons notre argent dans les banques. » La juge lui demande de parler du second placement. Il indique que, avant ce dépôt, la société a fait une demande d'un crédit auprès de Khalifa d'un montant de 700 millions de dinars afin de rembourser un prêt qu'elle avait contracté auprès de la BEA, avec un taux d'intérêt de 8,5% et qui les pressait d'honorer les échéances. « Pour nous, c'était une manière de couvrir notre placement à Khalifa. » La juge : « C'est malicieux. » Elle lui demande pourquoi c'est à l'agence de Chéraga que le placement et le crédit ont été effectués. « Ce ne sont pas les dirigeants de la banque qui nous ont proposé Chéraga. Nous avons toujours déposé au Nord », répond-il. Il note n'avoir pas pris part aux négociations qui ont été faites par son financier. Le taux d'intérêt pour le crédit était de 5,75%, ce qui était rentable pour la société, selon l'accusé. « Une banque jeune vous propose 11% pour les dépôts et 5,75% pour un crédit. Ne pensez-vous pas qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? Comment cette banque va-t-elle vivre ? », demande la magistrate. L'accusé : « C'est son affaire si elle veut perdre. » La juge : « Mais vous lui avez confié 100 millions de dinars. » L'accusé : « Nous avons prévu une clause dans la convention qui nous permet de retirer le montant trois mois après, mais avec un taux de 7%. » La présidente : « Malgré cela, la différence représente un déséquilibre. » L'accusé : « Pour nous, c'était une mesure pour attirer les clients. J'ai fait gagner à l'entreprise des sous. Khalifa nous a remis le chèque et nous avons pu payer la BEA. » La magistrate : « Et l'issue du placement ? » L'accusé : « Je ne sais pas. Entre temps, je suis parti. » La présidente lui fait savoir qu'il est au courant. Il déclare : « Je sais qu'Enafor a poursuivi en justice le liquidateur et obtenu une décision en sa faveur », précisant que dans le monde des affaires il y a des risques à prendre. La présidente : « Dans le cas où les fonds vous appartiendraient. » L'accusé : « J'en ai pris soin. » La juge : « Vous n'êtes pas poursuivi pour mauvaise gestion. » Elle lui demande de s'expliquer sur la convention avec Khalifa Airways. L'accusé affirme qu'en 2000 la compagnie a fait 900 millions de chiffre d'affaires avec l'Enafor grâce au personnel qui réside dans les nombreux chantiers du Sud. « Air Algérie a refusé de nous affréter des avions. Ses vols enregistrent des retards incessants, des annulations et de plus elle était trop sollicitée. Khalifa était une bouffée d'oxygène. Elle a accepté de nous affréter des avions », dit-il. Il révèle que la carte de gratuité dont il a bénéficié, 1+3, lui a été envoyée à son bureau dans une enveloppe portant son nom. Il l'a utilisée une cinquantaine de fois pour voyager entre Alger et Hassi Messaoud, dans le cadre du travail. « Mais vous êtes pris en charge par votre société en tant que PDG », lance la présidente. L'accusé garde le silence. La présidente : « Parlez-nous du Sultanat d'Oman. » L'accusé révèle qu'il y est allé avec son successeur dans un cadre professionnel. Il reconnaît que son épouse a utilisé cette carte pour aller en France, à Lille. Il avoue aussi que la société a perdu 580 millions de dinars. Son successeur, Assila Ali, poursuivi pour corruption, trafic d'influence et perception d'avantages, qui était avant son adjoint, a créé la surprise avec ses révélations. Il casse le témoignage de Sahbi Daoud, en affirmant que la convention que ce dernier a signée faisait état d'une clause selon laquelle le dépôt à terme (DAT) de 100 millions de dinars couvrait le crédit de 700 millions de dinars. « Les deux étaient liés. La clause nous interdisait de toucher au DAT, tant que nous ne remboursons pas le crédit. En fait, ils nous ont obligé à placer pour avoir un crédit. C'est pour cela que nous n'avions pas pu le retirer. Nous étions obligés de renouveler la convention, en plaçant un autre montant de 118 millions de dinars. En tout, un montant de 218 millions de dinars était placé. Nous avons pu récupérer une partie, mais l'autre, 580 millions de dinars, a été perdue. » Il déclare à propos de la carte de gratuité dont il a bénéficié et qu'il a qualifiée de non-événement, qu'elle lui a été envoyée à son bureau dans une enveloppe. Il l'a remise au service des relations extérieures pour être utilisée dans le cadre du travail, mais il a fini par voyager avec à Dubaï avec ses trois enfants, un cadeau qu'il voulait leur faire, notamment pour sa fille qui venait d'obtenir le bac. A la question de savoir s'il connaissait Abdelmoumen Khalifa, il déclare : « Je ne connais aucune personne du groupe, à part les hôtesses avec lesquels je prends les vols. » Des montants colossaux portés disparus La présidente appelle Réda Rahal, PDG de l'Enageo, filiale de Sonatrach, actuellement exerçant à la société mère. Poursuivi pour trafic d'influence, corruption et perception d'indus avantages, il affirme que le premier dépôt à El Khalifa Bank a été effectué le 21 décembre 2001, à la suite d'une convention qu'il a lui-même signée. Les négociations ont été menées par son directeur financier et le directeur de l'agence Khalifa de Hassi Messaoud, pour un placement (DAT) d'un montant de 300 millions de dinars, d'une durée d'une année et pour un taux d'intérêt de 10,25%. Ce dépôt a été suivi par un autre, d'un montant de 10 millions de dollars US, pour un taux de 4,55% et pour une durée de six mois. L'accusé explique que lorsque des informations sur la banque ont été publiées par « une certaine presse », il a été rassuré par Amalou. Mais après il a demandé que le montant en devises soit transféré à la BEA. El Khalifa Bank a refusé. Il explique que la carte de gratuité dont il a bénéficié entre dans le cadre du programme de fidélité avec Airways. Il l'a utilisée au moins une cinquantaine de fois entre Hassi Messaoud et Alger. Pour lui, ce sont des pratiques commerciales courantes des entreprises. La présidente : « La carte de fidélité n'est pas celle de gratuité. Vous êtes pris en charge en tant que PDG par votre entreprise. » L'accusé : « Malgré tout notre leitmotiv c'est être en bonne santé, mais nous pouvons tomber malade. » Il reconnaît avoir toutefois utilisé cette carte pour un voyage à Marseille avec sa famille. Interrogé sur les liens de parenté avec le notaire Rahal, il déclare qu'il est le cousin de son père. Aux questions du procureur général, Rahal, entouré de deux avocats, dont un de Sonatrach, répond avec une lourde gêne. Il avoue que la société a perdu les 10 millions de dollars avec les intérêts. Le procureur général lui demande comment Khalifa savait qu'il avait deux enfants pour lui donner une carte de 1+3. L'accusé : « Tout le monde me connaît à Hassi Mesaoud. » La présidente appelle Berbère Ali, directeur de la mutuelle des P et T, accusé de corruption, trafic d'influence et perception d'avantages illicites. Il affirme que c'est le commissaire aux comptes Niboucha, qui est également à la mutuelle de la Sûreté nationale, qui lui a parlé des taux d'intérêts avantageux qu'accordait Khalifa. C'est Chaâchouâ Abdelhafid, Benouis, directrice de la monétique, et Mékadem qui sont venus à son bureau lui faire l'offre de 10% d'intérêts pour le placement de 100 millions de dinars. Chaâchouâ dément ces propos et affirme que c'est le fils de Berbère qui lui a demandé de passer le voir. Une fois à son bureau, il a commencé à lui parler des placements pour une durée de 10 ans, des voitures et des billets gratuits. Ce qui pour lui était de la folie. Il a alors quitté son bureau sans prendre au sérieux ce qu'il a demandé à avoir. L'accusé se sent mal à l'aise avec les questions pertinentes du parquet général. Il proteste, puis se retourne vers la présidente et lui lance comme un appel de secours. « Mme la présidente… » Eclats de rire dans la salle. Elle lui fait savoir que le procureur général qui instruit à charge a le droit de poser les questions. Maître Ksentini, son avocat, proteste et considère l'interrogatoire du magistrat comme une agression. « Je fais mon travail », lance le magistrat. L'accusé fait un geste de la main, comme pour lui dire qu'il a compris son intention. La magistrate : « Vous n'avez pas le droit de faire cela. Votre âge doit symboliser la sagesse. Il faut du respect et s'abstenir de faire des gestes. » Le procureur général : « C'est par respect à votre âge que je ne vais pas engager la procédure en la matière. » L'accusé présente ses excuses.