Le procès Khalifa a repris, hier, au tribunal criminel de Blida, avec l'audition, en tant que témoins, de Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre de l'Habitat, et de Hannachi, président de la JSK. L'ex-ministre nie catégoriquement toute implication de près ou de loin avec les placements des fonds des Offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) dans les agences d'El Khalifa Bank. Il explique au tribunal que les placements dans cette banque ont commencé en 1999, avant sa nomination à la tête du département, et se sont poursuivis bien après son départ, en juin 2002. « Lorsque j'ai pris mes fonctions, en juin 2001, ma principale mission était de redynamiser le secteur et réactiver les grands chantiers de réalisation afin de répondre à une demande de 600 000 logements en attente. Il est important de préciser que les offices sont autonomes et leurs actes de gestion sont du ressort de leur conseil d'administration », dit-il. La présidente : « Je suis d'accord avec vous. Mais pouvez-vous nous expliquer cette instruction dont ont parlé certains responsables d'OPGI, émanant de votre ministère, et faisant état de leur incitation à fructifier leurs avoirs ? » Le témoin : « Ils n'ont pas besoin d'une telle instruction, du fait qu'ils sont souverains en ce qui concerne la gestion financière. Ils ont un conseil d'administration un peu particulier du fait qu'il est composé de représentants des ministères de l'Intérieur, des Finances, de l'Habitat, ainsi que d'un représentant des travailleurs et d'un commissaire aux comptes. Même le directeur général n'a pas de poids au sein de ce conseil, puisque sa voix est prise à titre consultatif. » La présidente lui fait remarquer que la plupart des OPGI ont pris la décision de placer leurs avoirs sans se référer à leur conseil d'administration. « Ils sont libres de leurs actes de gestion », répond-il. La magistrate : « Tous les responsables ont affirmé que vous étiez informé de ces placements à travers les états de budget détaillés qu'ils vous envoyaient régulièrement. » Le témoin : « Il est vrai que le ministère reçoit ces états, mensuellement, trimestriellement, semestriellement et annuellement. Mais je persiste à dire que le ministère ne fait que prendre acte de ces informations et ne peut interférer dans la gestion. » La juge précise qu'il y a une contradiction entre la réalité du terrain de l'époque marquée par une crise de logement, du fait de l'absence de réalisation, et l'immobilisation de sommes colossales des OPGI, dans le seul but de bénéficier des intérêts. « Je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, j'ai pris personnellement le soin de les interpeller pour qu'ils investissent dans le domaine, en leur disant qu'il est anormal que l'on encourage les ambassades et les investisseurs étrangers à venir participer à l'effort de construction et que les sociétés algériennes immobilisent leur agent. Je leur ai même dit en termes clairs que je refuse que vous soyez comme les retraités qui vivent des intérêts. Je les ai encouragés à investir leurs avoirs dans la construction », affirme Tebboune. La magistrate : « Vous leur avez dit d'investir leur argent, mais ils disent que vous les avez encouragés à les fructifier. » Le témoin : « Je leur ai exprimé mon refus de les voir comme des retraités vivant des intérêts des placements. J'ai remarqué que l'ensemble des investissements des offices n'arrivaient pas à 3000 logements, alors que ceux des pays du Golfe étaient de 5000 logements et ceux de l'AADL de 150 000. Je me suis rendu compte qu'au moment où je courais derrière les sociétés étrangères pour investir dans le domaine, il y avait dans ce secteur un montant de 250 milliards de dinars, immobilisé par les banques et les entreprises. C'est pour cela que j'ai attiré l'attention des offices en leur disant d'investir leur argent. J'ai eu même l'idée de lancer une banque de la construction de logement et j'ai, à ce titre, demandé à la Tunisie qui est leader en la matière de nous aider à la monter. Entre-temps, il y a eu le dossier de l'AADL, puis je suis parti. » La juge : « Vous refusez donc l'accusation portée à votre encontre par les responsables des OPGI ? » Le témoin : « Catégoriquement. » A propos de sa relation avec Abdelmoumen Khalifa, l'ancien ministre affirme l'avoir rencontré pour la première fois à l'hôtel El Aurassi, à l'occasion de la signature de la convention entre Khalifa Airways et Air Algérie. « Il m'a abordé pour me dire qu'un de ses cadres allait se présenter le lendemain au ministère pour déposer un dossier d'agrément de la société Khalifa Construction. Je lui ai demandé ce qu'il avait, il m'a cité quelques grues et des engins. Je lui ai clairement répondu que l'agrément ne dépendait pas de mon département. Il n'a pas envoyé le lendemain son dossier et l'agrément n'a jamais été remis par le ministère », révèle Tebboune. La présidente lui demande d'évaluer les pertes enregistrées par les OPGI et le témoin déclare n'avoir pas une idée sur le montant, précisant avoir entendu parler d'une somme de 28 milliards de dinars immobilisés dans les banques. La présidente insiste pour savoir s'il a donné des instructions ou des orientations pour fructifier les avoirs des OPGI. Le témoin persiste à démentir. « La seule orientation que j'ai faite, c'est celle d'encourager les offices à investir leurs avoirs, après que j'ai constaté la baisse de leurs rentrées. Les loyers des biens immobiliers et commerces n'étaient honorés qu'à 35% des montants réels. L'une des raisons qui m'a poussé à les encourager à investir. » La présidente lui fait remarquer qu'il y a une différence entre investissement et placement. « Vous aviez dit fructifiez votre argent ? » Le témoin : « Non, investissez votre argent pour absorber les 600 000 demandes de logement en attente. Il m'est formellement interdit d'interférer dans la gestion financière d'un office qui est autonome. » Tebboune déclare n'avoir jamais été informé de ces placements, mais la magistrate précise que les informations les concernant lui arrivaient par le biais des états des budgets qui sont transmis régulièrement. « Ces détails n'arrivaient pas au ministre, mais à un de mes services qui les étudie, les traite et s'il remarque un déséquilibre, il m'adresse une note d'information. Ce qui n'a jamais été le cas. Il arrive que les services de sécurité m'informent de cas de détournement ou autres, je prends les décisions qu'il faut. La circulaire portant transmission de ces états a été faite dans le sens de libérer les finances de l'hégémonie de l'administration. » Tebboune précise, entre autres, que les résolutions des conseils d'administration des offices ont justifié ces placements. « Vous avez donc accepté ? » Le témoin : « C'est leur argent, je ne peux interférer. » La magistrate lui demande quel rôle a la tutelle dans ce cas-là. « Mener la politique du logement, la distribution dans un cadre social. Elle ne gère pas les fonds des OPGI qui sont totalement indépendants. » La juge : « Pourquoi alors vous transmettent-ils les états de leurs budgets ? » Tebboune : « C'est uniquement pour le bilan annuel. » La magistrate : « Avez-vous demandé une étude technique sur la santé financière de Khalifa ? » Le témoin : « Cette banque a commencé avant que je ne sois nommé ministre et a continué à exercer après mon départ en juin 2002. De plus, le contrôle de cette banque n'est pas du ressort du ministère de l'Habitat. » La magistrate lui fait savoir que des entreprises ont échappé à ce préjudice grâce au fait qu'elles se sont renseignées sur la santé financière de Khalifa avant de déposer leurs avoirs. « Le ministère est loin de ces vérifications. C'est aux offices de le faire, mais aussi à d'autres services d'autres ministères. » « LE MONTANT DES PLACEMENTS A ATTEINT 10,7 MILLIARDS DE DINARS » La présidente : « Durant votre période, le nombre des placements des offices a doublé. » Le témoin : « J'ai dit à plusieurs reprises que je n'ai jamais appelé les responsables à placer leurs avoirs. A mon arrivée, j'étais lancé dans la nouvelle politique d'investissement étranger et local, et dans ce contexte, je ne peux dire aux étrangers investissez et à nos entreprises immobilisez votre argent ». La présidente affirme que les responsables des OPGI déclarent le contraire. « Tout est enregistré, vous pouvez relire les rapports, les notes et les articles de presse de l'époque. Je ne cessais de dire investissez votre argent dans le développement de la richesse, dans l'emploi et la réalisation de logements », répond-il. La magistrate : « Avez-vous donné une instruction verbale ? ». Tebboune : « Jamais. » La juge revient sur la question de la rencontre du témoin avec Abdelmoumen Khalifa, en lui demandant à quel titre ce dernier l'a sollicité. « Il m'a demandé comment déposer un dossier d'agrément pour Khalifa Construction. Nous étions dans une réception officielle à laquelle étaient présents des ministres, des ambassadeurs. » La présidente : « Vous dites, d'un côté, qu'il y avait un déficit en matière de réalisation de logements et d'un autre, les offices trouvent le moyen d'immobiliser leurs fonds ? » Le témoin : « La loi est claire. Je ne peux interférer dans la gestion des fonds des offices. » Il affirme n'avoir jamais eu de relation amicale avec Abdelmoumen, qu'il déclare avoir vu quatre ou cinq fois, à titre officiel et privé, dont il s'abstient de faire état, précisant que cela n'a rien à avoir avec les OPGI. « Je l'ai connu lorsque j'étais aux collectivités locales », dit-il, mais il a refusé de répondre à une question pour savoir s'il a rencontré Abdelmoumen ou pas dans la villa de ce dernier. La présidente reprend le nombre des OPGI ayant placé leurs avoirs chez Khalifa et déclare : « Vous avez affirmé que les placements avaient commencé avant votre arrivée. Or, en 1999, il y avait trois OPGI (Béjaïa, Hussein Dey, Dar El Beïda) qui ont déposé leur argent. En 2000, 15 autres et entre 2001 et 2002, durant votre mandat, il y en a eu 42 offices. » Le témoin : « Je ne veux pas jeter la pierre à mes prédécesseurs. Mais si les offices ont placé leurs avoirs, ils n'avaient pas besoin d'une instruction pour le faire. » La présidente : « Est-ce que votre relation avec Abdelmoumen a encouragé ces placements ? » Tebboune : « Jamais. Durant mon mandat, il y a eu 36 seulement qui ont déposé, dont certains n'ont fait que renouveler. » La présidente : « Il y a eu 42 entre 2001 et 2002. Le montant des placements a atteint 10,7 milliards de dinars. » Le témoin : « Le plus important pour le ministre n'était pas les OPGI, mais les programmes de réalisation de logements (…) Je persiste à repérer que je leur ai toujours dit de ne pas vivre avec l'immobilisation des fonds. » La présidente : « Il est impossible qu'un ministre ne donne que des orientations et qu'il n'arrive pas à vérifier l'état des fonds des entreprises qui sont sous sa tutelle. Savez-vous que certains responsables des offices ont bénéficié d'un pourcentage sur les montants placés ? » Le témoin : « Je jure sur Dieu que je n'ai jamais eu vent de cette affaire. » La présidente : « Saviez-vous que plus de 10 milliards de dinars ont été placés durant votre époque entre 2001 et 2002 ? » Tebboune : « Je ne l'ai su qu'en 2005 lorsque la presse a commencé à faire état de l'affaire. J'ai alors ramené tous les documents y afférents pour connaître le nombre des offices et les montants déposés. Pour preuve, après mon départ, il y a eu 37 OPGI qui ont placé leurs avoirs chez Khalifa et ce jusqu'en 2003. Lorsque j'ai fait une enquête durant mon mandat au ministère, j'ai découvert, comme je l'ai annoncé tout à l'heure, qu'il y avait 200 milliards de dinars immobilisés dans le secteur à travers de nombreuses banques, dont 28 milliards de dinars appartiennent aux OPGI. Je n'ai pas le droit de les inciter à placer leur argent. A l'époque, je voulais vraiment qu'ils les investissent dans la construction de logements. » L'ancien ministre affirme que dans les réunions officielles avec les responsables de son secteur, les directives ou les instructions sont écrites, jamais verbales. Il indique avoir même aidé six offices à signer des contrats avec des Emiratis pour un montant de 20 millions de dollars, dans le seul but de les rendre plus offensifs sur le terrain. La présidente : « De toute façon, vous avez appelé les responsables des OPGI à fructifier leur argent. Une phrase qui reste entourée d'un point d'interrogation. » Me Meziane, avocat d'El Khalifa Bank en liquidation, lui demande si son représentant au sein des conseils d'administration des OPGI l'informait des placements. Tebboune est affirmatif. « Jamais », dit-il. L'avocat cite les déclarations de Kheireddine El Oualid, ancien directeur général de l'OPGI d'Oran, selon lesquelles le ministre était informé à travers les états des bilans du budget. L'ancien ministre conteste et souligne ne pas se rappeler si les noms des banques étaient mentionnés dans ces états.