Le prix administré du lait, s'il arrange le consommateur algérien et préserve quelque peu son pouvoir d'achat malmené par des hausses continues des prix des produits de large consommation, cause aux producteurs des tracas certains. Ceux-ci sont en effet obligés de jongler entre un prix de la matière première totalement libre et en continuelle hausse sur le marché mondial — 3400 dollars la tonne en février — et un prix à la consommation fixé sur le marché interne à 25 DA le litre et qui reste inchangé depuis 2001. Les producteurs de lait montent au créneau périodiquement depuis quelque temps pour attirer l'attention sur la situation économique et financière difficile qu'ils vivent et pour lancer surtout des signaux en direction des pouvoirs publics afin de les amener à augmenter le prix du sachet de lait à 30 DA environ. Une augmentation qui serait selon eux nécessaire, voire incontournable pour faire jouer la règle de l'offre et de la demande ou tout au moins leur permettre de garantir la viabilité de leurs entreprises et tirer enfin les bénéfices nécessaires à la bonne marche de leur activité. Les dernières hausses enregistrées en janvier et février sur le marché mondial de la poudre de lait poussent les producteurs algériens dans leurs derniers retranchements et les amènent à médiatiser au maximum leurs difficultés d'approvisionnement pour bénéficier enfin d'une écoute attentive et de solutions appropriées de la part des décideurs politiques. Des sorties publiques qui sont autant de tribunes pour tirer la sonnette d'alarme et susciter des réactions officielles salvatrices. Les réponses positives et les acquiescements des pouvoirs publics sont pourtant difficiles à obtenir sur une question aussi sensible, l'augmentation du prix du sachet de lait étant une option qui ne manquera pas de mettre en difficulté un grand nombre de familles algériennes et induira certainement un grand mécontentement social. Un manque à gagner pour les producteurs L'augmentation de prix sollicitée par les producteurs est en tous cas à écarter pour 2007, puisque le ministère du Commerce a annoncé au début de mois de janvier dernier qu'il n'y aura pas de hausse du prix du sachet. Les rédacteurs de la loi de finances 2007 ne réservent pour leur part aucune disposition à cette question. Le manque à gagner est pourtant de plus en plus important pour les entreprises du secteur, qu'elles soient publiques ou privées et les difficultés d'approvisionnement et de financement sont légion. Du côté des producteurs privés, M Serrai, président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA) et gérant de l'unité Mitidja laitages, dont nous avons sollicité l'avis, qualifie la situation de « critique » et appelle les pouvoirs publics à intervenir dans le débat sur la filière lait pour qu'enfin une solution soit trouvée à un problème récurrent qui occasionne de grosses pertes aux 78 opérateurs installés sur le territoire national. Des solutions qui permettraient par ailleurs à beaucoup d'autres unités de démarrer leur activité restée en plan malgré de gros investissements consentis. Giplait entre le marteau et l'enclume Du côté de l'entreprise publique, le groupe industriel des productions laitières (Giplait), le ton n'est pas moins acerbe. M. Mouloud Harim, qui assume la lourde tâche de gérer un groupe en butte à beaucoup de problèmes et dont la privatisation des filiales traîne en longueur, doit aussi assurer l'approvisionnement du marché malgré les contraintes et les prix toujours à la hausse de la poudre de lait. « Les prix sur le marché mondial ont augmenté ces derniers mois, de plus de 50% par rapport à fin 2006 », explique M. Harim. « A ce problème de taille il faut ajouter une raréfaction de la matière première à travers le monde, à cause de la sécheresse qui touche certaines régions productrices, l'Océanie notamment, mais aussi à cause de l'annulation des subventions à l'exportation au sein de l'Union européenne. » « Même s'ils sont conjoncturels, ces problèmes qui rendent notre approvisionnement difficile risquent de durer jusqu'à septembre 2007 », dira encore notre interlocuteur qui exprime de vives craintes quant à la durée de vie des stocks en matière première de son groupe. Produisant de 560 à 580 millions de litres de lait par an sur une capacité de production totale de 1,4 milliard de litres — beaucoup de parts de marché ont été grignotées par le privé — l'entreprise ne dispose que de stocks limités. « Nous ne pouvons tenir que jusqu'au mois d'avril », prévient le manager qui pointe du doigt les règles bancaires contraignantes et qui fait remarquer que si le secteur privé peut se permettre de se retirer lorsqu'il estime que le marché n'est plus rentable, « le secteur public est obligé de subvenir aux besoins de la population ». « Pour y parvenir il faut qu'on puisse financer nos achats de matière première », ajoute M. Harim qui fait remarquer aussi que le prix du sachet de lait étant administré et la valeur ajoutée du produit très faible, il faut une solution pour arriver à maintenir l'équilibre. « Qui doit payer la différence ? » se demandera-t-il. Dans la foulée, il avancera l'option selon laquelle les pouvoirs publics doivent imaginer une solution à l'image de ce qui a été fait pour la filière du pain à travers l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) qui joue la régulation pour permettre aux boulangers d'éponger leurs pertes. Travaillant à plus de 80% à base de poudre de lait étrangère les opérateurs de la filière lait vont pour sûr au-devant de difficultés inextricables. Le lait cru, une option incertaine Malgré les efforts consentis dans le cadre du plan national de développement agricole et rural (PNDAR) depuis l'année 2000 pour encourager l'élevage et aider à la collecte du lait cru afin de réduire la dépendance vis-à-vis de la poudre de lait importée, les importations restent prédominantes — l'Algérie est le plus gros importateur de poudre de lait derrière le Mexique et l'Italie — la substitution du lait cru à la poudre de lait importée s'avère être ainsi une entreprise difficile. Même si la progression de collecte de lait cru est constante avec un volume 220 millions de litres collectés en 2006 contre 164 millions 2005, selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, les objectifs tracés sont loin d'être atteints et ce malgré l'importation de vaches laitières, et les encouragements financiers à l'agroélevage, à l'acquisition d'équipements, à la création de centres de collecte de lait cru, de laiteries de pasteurisation et de transformation. 140 litres par an et par personne La consommation de lait en Algérie est très importante, puisqu'elle se situe autour de 140 litres par an et par personne. En 2006, une facture de près de 600 millions de dollars, dont 70 millions de dollars pour le groupe public Giplait, a été nécessaire pour faire face aux besoins en produits laitiers des Algériens. Si cette tendance se maintient, des ressources financières importantes devront être dégagées pour éviter des ruptures de stocks. L'option de l'intégration du lait cru dans le processus d'industrialisation aux fins d'augmenter les capacités de production reste pour le moins incertaine, les besoins du marché étant trop importants par rapport aux quantités produites actuellement.