Les relations entre les Etats-Unis et la Russie semblent marquées actuellement par un sérieux coup de froid, conséquence d'une accumulation de faits liés aux nouvelles doctrines américaines et de l'OTAN (organisation du Traité de l'Atlantique nord). Mais dans tous les cas de figure, Moscou fait dans la franche opposition aussi bien à la mise en place de systèmes de missiles US déployés en Pologne et en République tchèque, que dans l'extension des frontières de l'Alliance, jusqu'aux portes de la Russie. C'est le même type de rejet qu'il y a cinquante ans, et la fameuse guerre froide qui a pris fin officiellement en 1990 avec la disparition de la Russie, et la fin du communisme. Tout cela c'est du passé, dit-on, le plus souvent, mais est-ce véritablement le cas, avec le développement de nouveaux types d'armements qui ne sont pas forcément liés aux nouvelles menaces ? La preuve vient d'en être administrée par la Russie qui menace de se retirer du Traité d'élimination des missiles nucléaires à portée intermédiaire et courte (Intermediate-Range Nuclear Forces, INF), signé en 1987, si les Etats-Unis ne renoncent pas à leur « bouclier antimissile » en Europe centrale. « Ce qu'ils (les Américains) font en ce moment — créer une troisième zone de déploiement pour la défense antimissile en Europe — est totalement inexplicable », a déclaré le général Youri Balouevski, chef d'état-major des forces armées russes. La réponse américaine n'a pas tardé. Un tel retrait poserait « un problème » aux Etats-Unis, a déclaré le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates. « Je pense que cela nous posera un problème », a indiqué le chef du Pentagone, avant d'ajouter que Moscou devrait plutôt s'inquiéter de « la menace de missiles balistiques de portée intermédiaire venant des frontières méridionales et orientales de la Russie », au lieu de dénoncer l'extension du bouclier antimissile américain. Les Russes « savent bien que le bouclier antimissile dont nous envisageons l'extension et qui fait l'objet de négociations avec l'Europe ne représente aucune menace pour l'Europe, ni pour la Russie », a souligné M. Gates. De son côté, le commandant suprême des forces alliées de l'OTAN en Europe, le général John Craddock, a déclaré que le projet américain d'installer un bouclier antimissile à proximité des frontières russes était transparent et ne visait pas la Russie. « Je pense que les intentions des Etats-Unis nous ont été clairement communiquées, à savoir la mise en place des capacités de défense contre une attaque de missiles provenant d'un pays voyou », a-t-il souligné. « Nous avons proposé à la Russie de coopérer sur la défense antimissile parce que nous croyons que nous faisons face à des menaces communes émanant du Moyen-Orient comme d'autres zones », a pour sa part affirmé le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack. Un haut responsable du Pentagone, cité par le Financial Times, a toutefois fait savoir que les Etats-Unis « résisteraient » à une tentative de retrait de la Russie du Traité FNI, une initiative qui, selon cet officier américain, aurait de sérieuses conséquences pour les alliés de Washington en Europe. Les Etats-Unis, qui se sont déjà dotés d'un réseau de satellites d'alerte, de radars de détection, ainsi que d'intercepteurs de missiles en Alaska et en Californie, souhaitent compléter leur système de défense pour parer à d'éventuelles attaques de l'Iran ou de la Corée du Nord en déployant un bouclier complémentaire en Europe pour un coût d'environ 1,6 milliard de dollars. Leur projet, qui a déjà fait l'objet de plusieurs missions d'étude sur le terrain, prévoit l'installation d'un radar en République tchèque et de dix intercepteurs en Pologne. Varsovie a accepté d'accueillir le bouclier américain « sous certaines conditions ». Prague a déjà donné son accord. Il y a, on en conviendra, comme un timing dont le point majeur fut le discours prononcé la semaine dernière par le président russe, Vladimir Poutine, devant la Conférence de Munich sur la sécurité et une des analystes russes certainement la plus vigoureuse volée de bois vert administrée par le locataire du Kremlin aux Etats-Unis depuis la tonitruante intervention à l'ONU du leader soviétique, Nikita Khrouchtchev. Mercredi, au cours de la première conférence de presse donnée cette année à la Maison-Blanche, le président George W. Bush a enfin donné une appréciation des rapports avec la Russie. Il s'est employé à mettre l'accent sur ce qu'il y avait de positif dans les relations avec Moscou, à convaincre que la Russie jouait un rôle important dans le règlement des crises iranienne et coréenne et aussi dans le domaine de la non-prolifération des armes nucléaires. Dans les jours qui ont suivi, Moscou a exigé que Washington donne des éclaircissements officiels sur les propos tenus par Robert Gates qui aurait, de fait, rangé la Russie parmi les adversaires probables des Etats-Unis. Achevant sa visite en Jordanie, le président russe Vladimir Poutine s'est également prononcé à ce sujet en soulignant avec indignation que Washington se servait d'une « menace russe inexistante en vue de persuader le Congrès américain de débloquer des crédits ». Robert Gates avait fait une déclaration jugée offensante pour Moscou en expliquant aux membres du Congrès américain la nécessité d'augmenter les dépenses militaires, déclarant que l'armée américaine n'avait pas seulement besoin de renforts en Irak et en Afghanistan, mais qu'elle devait aussi être prête à des conflits de grande envergure, entre autres, avec la Russie (il avait également cité la Chine, la Corée du Nord et l'Iran). On relève à Moscou que la Russie et les Etats-Unis n'avaient pas recouru depuis longtemps aux requêtes diplomatiques comme moyen officiel de s'expliquer. L'exigence actuelle du ministère des Affaires étrangères témoigne d'une détérioration des rapports entre Moscou et Washington depuis un an et demi. Jusque-là, les dirigeants des deux pays réglaient tous les problèmes entre eux. A présent, les parties ne se gênent pas pour s'accuser publiquement l'une l'autre. Que peut bien cacher cet échange qui ressemble à celui du temps de la guerre froide avec toutefois en moins, le fondement idéologique ? La Russie, en ce qui la concerne, n'hésite pas à afficher ses amitiés comme le fait de recevoir une délégation du mouvement palestinien Hamas, ou encore de livrer à l'Iran un système de missiles suscitant la colère de l'ami américain. Ou encore de bousculer toutes les frontières pour aller vers des partenaires que l'on croyait très proches, sinon liés aux Etats unis. Il y a une vive concurrence, et la Russie entend faire son grand retour sur la scène mondiale. Mettre fin à une éclipse.