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Ces femmes qui squattent les rues d'Alger
Elles ont fui un mari violent, un père incestueux ou un frère oppressant
Publié dans El Watan le 08 - 03 - 2007

« Quel que soit le cas de figure, résume Faika, les femmes partent toujours parce qu'elles sont victimes de violences psychologiques ou physiques. » En clair : la misère — et la misère seule — ne serait pas suffisante pour décider les femmes à tout quitter.
« C'est un raccourci utilisé en général par les hommes pour justifier la prostitution, note la responsable. Il existe des endroits en Algérie où les femmes vivent dans une très grande pauvreté, mais avec beaucoup d'amour. » D'autres professionnels du secteur nuancent : quand la misère vient aggraver un contexte sociofamilial déjà difficile, les femmes franchissent le pas en imaginant un ailleurs — en particulier à Alger, promesse de jours meilleurs. « La capitale draine beaucoup de SDF parce que la misère est de plus en plus grande à l'intérieur du pays, souligne Meriem de SOS femmes en détresse. Violence et pauvreté sont souvent liés. On ne peut pas parler de droits à des personnes qui ont faim. La première urgence est humanitaire. » Malheureusement, l'eldorado ressemble davantage à une jungle où guettent de nombreux prédateurs. Pour appâter ces proies à la chair tendre, certains proxénètes ne reculent devant rien. Un éducateur du Samu social nous relate un procédé plus qu'ingénieux. Repérant leur victime à la descente du bus, à leur air perdu, ils envoient une femme à la rencontre de la nouvelle venue pour ne pas éveiller sa méfiance. La complice leur propose alors de les aider. Là commencent les mauvaises surprises. Les filles, la plupart du temps désargentées, se retrouvent ainsi, du jour au lendemain, dans les grands circuits de la prostitution. On en retrouve dans les boîtes de nuit et autres dancings de la Madrague, sur la côte ouest. Ces lieux regorgent de jeunes filles venues en majorité de l'Algérie profonde. Sur les campus algérois, le phénomène est aussi visible. Le soir venu, des étudiantes se prostituent à l'entrée des résidences, devant lesquelles défilent de grosses cylindrées appartenant entre autres aux notables de la ville. Dans le bus du Samu social, Kamel, éducateur, nous confie l'inimaginable : des mères prostitueraient même leurs filles. En tournée par une nuit pluvieuse, il nous fait part de ses doutes à propos d'une femme arrivée de Sétif avec sa fille de 18 ans. Sous la protection de la police quand nous arrivons sur les lieux, elles acceptent de monter pour passer la nuit au centre. « Je suis venue rendre visite à mon gendre qui n'a pas voulu m'accueillir », se justifie-t-elle, tout en proposant sa fille en mariage à Nadir. Fournir à ces femmes de quoi manger, de quoi se laver et de quoi dormir est la première des urgences. A l'association de Bobillot, des couffins de nourriture sont distribués régulièrement, jusqu'à dix par jour pendant le Ramadhan. Au centre de Dély Ibrahim, plusieurs services ont été installés pour rendre le séjour des pensionnaires moins pesant. Le premier contact avec ce centre se fait avec un service psychiatrique. Ensuite une équipe juridique s'occupe des doléances des personnes, « surtout des femmes qui en ont gros sur le cœur ». Des requêtes sont rédigées pour celles d'entre elles qui ont affaire avec la justice.
Redonner un sens à sa vie
Une crèche et une nourricière sont mises à la disposition des mères. De même, une infirmerie pour les premiers soins. Deux classes sont ouvertes aux analphabètes qui souhaitent apprendre à lire. Une maison de l'enfance accueille dans les chalets offerts par Sonatrach une vingtaine d'enfants de 6 à 14 ans. « Nous faisons surtout de la pédagogie sociale », informe la responsable de l'établissement, qui précise que certains ont des difficultés de langage. Nazim, membre d'une fratrie de neuf enfants, a réussi à rebondir grâce au travail de l'orthophoniste du centre. Pendant la journée, les sociologues et les assistantes sociales mènent un véritable travail de fond. « On se déplace à la rencontre des maris, des familles, pour arranger les choses, voir si une réconciliation est possible », confie Bahia du Samu social. Dans le même esprit, les compagnons des mères célibataires sont invités à rendre visite à leur copine au centre de SOS femmes en détresse. « Chez certains pères, cela provoque des déclics, reconnaît Meriem. Nous avons déjà eu des cas de reconnaissance de paternité et de mariages. » Toujours au centre de Bobillot, des ateliers de formation professionnelle fonctionnent depuis mai 2004. Farid, le responsable de la section informatique, enseigne aux pensionnaires les rudiments de la bureautique pendant neuf mois, à l'issue desquels elles repartent avec une carte d'artisan et le matériel de base pour créer une microentreprise. « Au choix, elles se lancent dans la fabrication de cartes de visite, invitations, plaquettes…, reçoivent des voisines pour à leur tour les former, ou organisent des cours d'internet pour les enfants », énumère-t-il. D'autres femmes s'inscrivent à l'atelier tissage où sacs, ponchos, tapis… sont fabriqués pour être vendus à l'occasion d'expositions. De débutantes ne sachant pas piquer à la machine, la responsable de l'atelier couture en fait de véritables pros capables de confectionner djellabas, robes de soirée, robes traditionnelles, des vêtements d'enfants pour l'Aïd. « Donner aux femmes les instruments pour qu'elles deviennent autonomes est essentiel, résume Faika Medjahed de l'Institut national pour la santé publique. Mais il faut en parallèle les ‘‘renarcissiser'', les reconstruire, pour qu'elles se réconcilient avec la société, qu'elles aient à nouveau confiance en les autres. Les SDF vivent dans un autre monde. C'est aux associations et aux institutions de trouver le moyen de les faire revenir dans le nôtre… De redonner un sens à leur vie. »
Mélanie Matarese, Nadir Iddir


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