Cinq cadres du groupe Khalifa (l'ex-directeur général de Khalifa Airways ainsi que des responsables d'El Khalifa Bank dont des directeurs d'agence), en détention à la prison d'El-Harrach, observent une grève de la faim illimitée et ce, depuis jeudi dernier. à travers cette action, ils visent à alerter l'opinion publique et les plus hautes autorités de l'état sur leur sort. Incarcérés depuis plus de 15 mois, ils réclament la tenue d'un procès dans les plus brefs délais. Solidaires, leurs familles comptent se joindre à leur démarche, en entamant, à leur tour, une grève de la faim. “Nous interpellons le président de la république en sa qualité de premier magistrat du pays afin d'accélérer leur jugement, mais surtout de faire la lumière sur toute cette affaire”, soutiennent-elles unanimes. Qualifiant les cinq détenus de lampistes, ayant été sacrifiés pour épargner les intérêts des puissants, elles réclament que la justice s'applique à tous. Mais, leur bataille suprême est d'obtenir la libération des détenus, du moins à titre provisoire. “Il y a 400 prévenus dans cette affaire avec parfois les mêmes chefs d'inculpation (association de malfaiteurs, vol qualifié, escroquerie, abus de confiance, abus de biens sociaux et infraction à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux…), mais uniquement les nôtres sont en prison. Ceux qui sont dehors (sous contrôle judiciaire et en liberté provisoire) ont le bras long. Ils sont protégés”, note avec amertume le frère d'un des incarcérés. Les avocats font écho de cette justice à deux vitesses. “à chaque fois que nous introduisons des demandes de liberté provisoire, le même refus nous est signifié, sous prétexte que les faits retenus contre nos clients sont graves, qu'ils n'ont aucune garantie et que le montant des détournements est très important. On se souvient de l'affaire Cosider. Les prévenus ont été incarcérés pendant 48 mois avant d'être relaxés”, explique un membre de la défense. Comme les familles, il ne croit nullement que le procès puisse se tenir cet été, en juillet, comme l'a annoncé le procureur général de la cour de Blida, il y a quelques semaines. Et pour cause, le magistrat avait révélé une demi-vérité en affirmant que l'instruction était achevée. “Elle est certes finie pour nos clients, mais pas pour le reste des prévenus”, précise l'avocat, estimant les délais très courts pour que le procès se déroule à la date prévue. Le déroulement de la procédure contredit, en effet, les prévisions du procureur général. “Il faut compter du temps avant la fin de l'ensemble des auditions. La chambre d'instruction (du tribunal de Chéraga) doit ensuite envoyer le dossier à la chambre d'accusation pour la qualification des faits. Celle-ci, à son tour, devrait nous convoquer pour prendre connaissance de nos demandes. C'est au terme de ce processus que le procès peut commencer”, observe la défense. Cette attente longue rajoute au désespoir des détenus et de leurs familles. “Dès lors que l'instruction les concernant est terminée, ils peuvent bénéficier de la liberté provisoire. J'en ai fait la demande la semaine dernière pour mon client, mais elle a été refusée”, déplore l'un des avocats. Et de constater avec dépit que “les textes de loi sont loin du champ d'application” et que dans l'affaire Khalifa, comme dans d'autres, “la liberté provisoire est devenue une exception et la détention préventive une règle”. Pour lui, pour ses collègues et les familles des détenus, la gestion même du dossier prête à équivoque. Le sort qui a été réservé au rapport d'expertise élaboré à la demande de la chambre d'instruction en est l'illustration. Remis aux mains des magistrats du tribunal de Chéraga à la fin 2005, cet audit blanchit les incarcérés d'El Khalifa Bank, en indiquant que le trou financier ne provenait pas des agences, mais était imputable à la caisse principale. “Les relevés des versements existent. Ils sont au niveau de la chambre d'instruction”, atteste la défense. Pourquoi alors la justice a-t-elle gardé les cadres en prison ? “Nos proches payent alors qu'Abdelmoumène Khalifa (ex-patron du groupe) vit en liberté à Londres sous la bienveillance de la reine et la protection de la justice britannique. On parle du scandale du siècle alors qu'il n'y a que 5 personnes sous les verrous”, notent les familles désarmées. Inquiètes pour leurs proches, elles ont peur que la grève de la faim ne leur porte un coup fatal. “L'un d'eux a le diabète, un autre est cardiaque”, témoignent-elles. Le décès d'Aloui Mohamed Lazhar, ex-directeur d'El Khalifa Bank, en mars dernier, des suites d'une crise d'asthme, les hante. Samia Lokmane