Le président français, Jacques Chirac, ne briguera pas un troisième mandat lors de l'élection d'avril-mai prochains. Sa retraite politique a un goût d'inachevé et laisse en suspens nombre de dossiers sensibles, parmi lesquels le contentieux de mémoire entre l'Algérie et la France figure en bonne place. Jacques Chirac n'aura manifestement pas pris d'initiative significative pour désamorcer une tension devenue récurrente sur le thème de la repentance vécue du côté français comme une forme d'autoflagellation. Sur l'ensemble de ses mandats, le président Chirac s'est montré réticent à faire le pas nécessaire à l'inauguration d'une ère de sérénité entre deux pays que rapprochent les liens de l'histoire et de la proximité géographique. Il y a, sur cette question, une manière de consensus français qui transcende les appartenances partisanes, et Jacques Chirac a pu en être le dépositaire. La mouvance politique au pouvoir, et donc la plus proche du président français, a pris le chemin exactement contraire de la repentance en tentant de valider le caractère positif de la colonisation. Une loi vite jugée scélérate dans les pays qui ont éprouvé la tragédie du fait colonial comme un déni identitaire autant qu'une violence de l'histoire dont les peuples devenus libres sont fondés à demander réparation. Il se trouve que cette loi sur le caractère positif de la colonisation avait coïncidé avec le discours, dans la classe politique française et chez les élites intellectuelles, selon lequel les nouvelles générations ne sauraient être tenues de faire repentance de fait dont se sont rendu responsables leurs parents et grands-parents. Le philosophe français, Bernard Henry Levy, a résumé cet état d'esprit en excluant, outre la reconnaissance de la shoah, toute guerre des mémoires. Une singulière conception du rapport à l'histoire que celui qui impose une obligation d'amnésie. Jacques Chirac, du fait de son rang, pouvait d'autant plus arbitrer ce débat qu'il avait été de cette génération de Français impliqués dans la guerre d'Algérie et ne pouvait donc la considérer comme un non-événement comme tentent de le faire admettre divers lobbies politiques en France. Il était difficile à Jacques Chirac de donner acte à ces lobbies de leur posture irréductible et de se présenter dans le même temps comme l'architecte d'une amitié algéro-française exempte de nuages sans ne pas paraître sacrifier à une duplicité politicienne. L'excellence des relations entre Etats ne peut être ramenée à cette vison univoque du rapport à l'histoire ou se réduire au seul volume des échanges commerciaux qui au demeurant ne sont pas des actes gratuits. Jacques Chirac, à terme de son mandat présidentiel, n'aura pas fait avancer en quoi que ce soit la problématique qui aurait rendu possible le traité d'amitié entre la France et l'Algérie qu'il a appelé de ses vœux en lui donnant la consistance d'une coquille vide. A cet égard, il est des itinéraires qui se mesurent à l'aune des actes délibérément manqués.