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Quel droit à compensation des incapacités ?
La politique du handicap
Publié dans El Watan le 14 - 03 - 2007

Tous les historiens du droit connaissent l'importance du droit civil classique, véritable tronc commun des autres matières juridiques.
De cet enseignement séculaire, nous retiendrons la notion d'obligation au sens juridique. Cette construction intellectuelle millénaire (puisqu'on la retrouve déjà dans le code d'Hammourabi) est sans doute l'une des abstractions les plus fondatrices des rapports sociaux. Ce lien de droit entre personnes physiques ou morales, de droit privé ou public, qui suivant les cas seront créanciers ou débiteurs, trouve sa source dans un acte juridique (un contrat), un fait juridique (un comportement fautif), un commandement légal (avec l'obligation alimentaire) ou moral. Une grande partie de l'histoire du droit et partant, du droit handicap, repose sur ce mécanisme simple. N'y a-t-il pas coutume d'enseigner que le droit du handicap débute avec l'obligation à réparation intégrale du préjudice corporel ? Que la loi ait imposé une présomption de faute pour l'employeur/débiteur en échange d'une réparation forfaitaire ou que la loi ait substitué la notion d'implication véhicule à celle du conducteur ne modifie en rien les données de base. Certes, l'obligation va naître d'un besoin légitime (réparer les conséquences du dommage pour assurer une paix sociale) mais son efficacité dépend, et c'est le second stade, de l'identification d'un débiteur solvable. Cette obsession du débiteur solvable se retrouve aussi avec les fonds de garantie qui permettent d'éviter l'angoissante problématique de l'identification ou de l'insolvabilité. L'aide sociale, cet autre moteur de la construction d'un droit du handicap, n'échappe pas à cette force de rapport obligataire. Si les parents ou les enfants ne disposaient pas de moyens de subvenir aux besoins de leurs proches, la morale musulmane, par une sorte de novation du débiteur premier (la famille), imposait que les musulmans viennent en aide aux frères nécessiteux, une sorte de famille élargie par la loi. Même l'invalidité du régime sécurité sociale repose sur un rapport obligataire d'origine cette fois contractuelle, le créancier de la pension est bien celui qui a opéré le versement des cotisations sociales à la caisse, devenue débitrice. L'évolution du droit du handicap n'échappe pas à cette vision juridique binaire du rapport obligataire : un créancier et un débiteur. La naissance d'un principe de solidarité nationale, c'est-à-dire d'une pluralité de débiteurs qui sont tous tenus à la même dette et la redécouverte des droits fondamentaux, sont à l'origine aujourd'hui du débat sur le droit à compensation. Mais la solidarité en droit n'est qu'un moyen technique de garantir l'exécution d'une obligation qui la précède. L'important est donc en amont avec la naissance, après la mise en place de la loi n°02/09 du 08 mai 2002, de l'idée « obligation nationale », car la nation, dans ces circonstances, avait une dette, laquelle ne se définissait plus seulement comme pécuniaire (obligation de donner) mais aussi comme une dette de moyens d'intégration (obligation de faire). Et c'est ici les deux écueils qui expliquent nos difficultés d'aujourd'hui.
Une obligation natinale
Tout d'abord, cette obligation nationale se caractérise par la difficulté d'identifier la personne du débiteur et cette imperfection entache son exécution qui dépend alors d'éléments exogènes du droit comme, par exemple, une volonté politique appuyée. La nation existe, mais elle est trop éloignée du droit pour en faire un débiteur identifié et concret ; elle se résume à une idée politique ou à un sentiment plus ou moins partagé et de façon fort différente par chacun de ses membres. La nation ne se confond pas avec l'Etat, le peuple, le gouvernement, le Parlement, les corps constitués ; elle n'a pas d'existence réelle sur un plan juridique. Elle est à la fois tout cela et bien plus encore. En conséquence, si elle peut devenir comptable de la mise en œuvre de droits envers les citoyens et même certaines catégories d'entre eux, aucune mesure de contrainte ne pourra avoir de prise, être efficace, car elle s'appliquerait à un sentiment immatériel. En outre, il est acquis, dans la théorie classique du droit, que l'exécution d'une obligation de faire (imposer des mesures d'intégration sociale) ne peut se résoudre par une contrainte ; cette obligation se résout en de simples dommages et intérêts, mais peut-on demander des dommages et intérêts à la nation ? En conséquence, devant cette obligation particulière, seules des circonstances exceptionnelles peuvent opérer une effectivité juridique immédiate, globale et satisfaisante : c'est la prise en charge des mutilés de guerre de libération, car le sentiment de reconnaissance s'est alors fondu dans le sentiment national. Rien de semblable n'a existé pour les personnes handicapées « civiles ». Pis, le législateur a posé en « obligation nationale » la prévention et le dépistage, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs, mais, en l'absence d'un traumatisme identique, l'exécution de cette obligation, son effectivité, s'est heurtée aux imperfections de cette obligation atypique. Ainsi, l'absence de débiteur solvable suffisamment identifié et l'objet même d'une partie de cette obligation contenaient déjà les germes de l'inefficacité partielle de la loi 02/09 relative à la protection et à la promotion des personnes handicapées. Pour ajouter à la frustration d'une effectivité légale insatisfaisante, les années 2002 ont vu la redécouverte des droits fondamentaux à caractères économiques et sociaux du préambule de la Constitution du 1996, dans lesquels, au surplus, les dispositions de l'article 3 et 4 de la loi du 8 mai 2002 venaient se fondre parfaitement. Mais, lorsque la nation est chargée d'assurer à l'individu et à sa famille des conditions nécessaires à son développement, ou de garantir à tous la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repos et les loisirs et l'accès à l'instruction, il s'agit au plus de la promesse politique de vivre dans une certaine société. Il s'agit ici d'un vœu politique plus que d'une obligation juridique. En conséquence, la proclamation d'une obligation nationale pour l'accès à des droits, au final, constitutionnels dont la traduction juridique et économique tardait à venir, a été vécue comme une frustration. S'est alors installée l'idée d'un droit nouveau permettant de pallier cette inexécution, cette ineffectivité inexplicable pour des droits portés par une obligation nationale et, au surplus, de nature constitutionnel. Un droit à compensation qui présente un lien évident avec le principe de réparation intégrale, issu d'une obligation juridique parfaite, transformée en principe de prise en charge globale fondée sur la solidarité nationale permettant de dépasser l'aide sociale. Mais force est de reconnaître que l'obligation en amont de cette solidarité repose encore une fois sur la nation. Il faut donc se garder d'un optimisme forcené en pensant que la définition d'un nouveau droit, un de plus, permettra de sortir de la logique du rapport obligataire, lequel pré-existe à la définition matérielle de toute obligation : c'est bien l'identification du débiteur qui participe de l'exécution effective d'une obligation et cette loi presque scientifique doit être strictement observée lorsqu'une partie de son objet consiste en une obligation de faire. C'est pourquoi, ne serait-il pas préférable de s'éloigner de l'idée d'obligation nationale, si séduisante soit-elle, pour s'orienter vers celle de 5e risque ? Cette solution pragmatique permettrait d'identifier un débiteur solvable en la personne des organismes de sécurité sociale ou d'assurance par le moyen simple de la cotisation. Pour ceux dont les moyens ne permettraient pas cette cotisation, la solidarité nationale, retrouvant ainsi sa fonction première de technique de garantie, pourrait alors se substituer à son paiement avec la garantie de bénéficier de prestations identiques.
La loi n°02/09 du 8 mai 2002 et le droit à compensation
Le droit à compensation n'apparaît pas dans les textes de la loi 02/09 du 8 mai 2002 relative à la « protection et la promotion des personnes handicapées ». Le droit à compensation est l'expression de l'égalité de traitement entre les citoyens en situation de handicap et les autres, « il est resté à ce jour sans contenu ». La compensation du handicap passe par l'octroi d'aides financières suffisantes, la possibilité de recruter des aides humaines (les auxiliaires de vie), indispensables pour se maintenir à domicile ou réussir son intégration sociale dans le milieu ordinaire. L'accès à des aides techniques par leur prise en charge intégrale doit s'inscrire dans cette démarche de compensation du handicap. Les aides financières et humaines « Tout être humain qui, en raison de son état de santé, de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité les moyens convenables d'existence. » (Constitution de 1996). L'allocation aux adultes handicapés pour ceux qui ne peuvent exercer une activité professionnelle, ou bien la garantie de ressources, doit assurer un revenu minimum. Des allocations compensatrices telles que le complément d'allocation autonomie, l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'allocation compensatrice pour frais professionnels et la garantie de ressources des travailleurs handicapés complètent le dispositif. En outre, des avantages fiscaux sont accordés au titre du handicap sous forme de revenus exonérés, d'abattements ou réductions d'impôts. Une réflexion doit être engagée sur la nécessité de recentrer les allocations existantes autour de la compensation intégrale du handicap. Les représentants des personnes handicapées sollicitent la création d'une allocation compensatrice individualisée qui remplacerait la totalité des prestations existantes. Ils proposent aussi une refonte des allocations aux handicapés pour que leurs ressources soient au moins égales aux minima sociaux. Les dispositifs de soutien et d'accompagnement des personnes handicapées pour leur maintien à domicile ou leur intégration en milieu ordinaire doivent être développés. Il est préférable que des services médico-sociaux d'accompagnement pour les enfants handicapés en dehors de l'établissement scolaire ou bien les auxiliaires d'intégration scolaire, soient créés dans le cadre du dispositif emploi de jeunes. Ils seront aussi les auxiliaires de vie sociale pour les adultes handicapés.
Les aides techniques
Les aides techniques permettent à une personne d'être plus autonome dans sa vie de tous les jours. Elles augmentent sa sécurité, son confort ou celui de son entourage. Elles jouent un rôle de prévention. La recherche et l'innovation ont un rôle important aussi à jouer dans ce domaine. Plusieurs témoignages de parents se sont focalisés sur la problématique des aides techniques : absence de données épidémiologiques permettant de bien évaluer les besoins, prise en charge des aides très dispersée, absence d'une classification homogène des aides techniques rendant difficile une prise en charge globale, un manque d'information des personnes handicapées et l'absence de données précises sur le marché des aides techniques. La fierté d'une démocratie est de faire en sorte que tous ses citoyens soient égaux en droits et en devoirs. Aussi, lorsque l'un d'entre eux, à la suite d'une déficience physique ou mentale, a des difficultés à accéder à ses droits ou à assumer ses devoirs, il est naturel que la solidarité nationale lui vienne en aide. Il ne s'agit ni d'un privilège ni de charité, mais tout simplement de la préservation des droits de l'homme. Nous espérons que la lecture de cet article vous permette de partager, au moins pendant un court instant, les attentes de leurs auteurs. Gardons nos cœurs ouverts à l'espoir, mais n'oublions surtout pas de vivre le moment présent.
L'auteur est : Cadre du mouvement associatif Chargé d'études au GRE BADR de Bouira


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