Comme si le continent était condamné à vivre la guerre, la misère et les trafics en tous genres. « Dieu a abandonné l'Afrique », a lancé une connaissance de Danny Archer, trafiquant de diamants entre la Sierra Leone et le Liberia, lors d'une négociation. Blanc du Zimbabwe, Danny Archer, admirablement interprété par Leonardo Di Caprio qui semble prendre de l'épaisseur à chaque film, n'a aucun scrupule à acheter et revendre des diamants pour le compte d'un seigneur de la guerre, le Colonel, incarné par Arnold Vosloo, qui vit dans une somptueuse résidence en Afrique du Sud. Puissant, cet homme blanc n'hésite pas à passer des contrats d'armement avec « les rebelles » de Sierra Leone et négocier avec le gouvernement de Freetown pour « mater » cette même rébellion. C'est évident : les guerres civiles en Afrique profitent d'abord aux marchands d'armes qui, pour les besoins de la cause, soufflent sur les braises et nourrissent les haines. Dans les faits, le gouvernement Sierra-Léonais a, dans le milieux des années 1990, fait appel à des mercenaires, des anciens membres de forces spéciales sud-africaines qui avaient créé Executive Outcomes, une société privée, pour l'aider à « restaurer » l'ordre. En contrepartie, ces mercenaires pouvaient exploiter à leur compte des mines de diamants. Charles Leavitt, le scénariste de Blood Diamond, a donné une autre dimension à cette « aide ». Reste que les fondateurs de Executive Outcomes — et ce n'est pas du cinéma — sont véritablement impliqués dans la défense du système raciste de l'apartheid en Afrique du Sud. Emprisonné, Archer se lie d'amitié avec Salomon Vandy, joué avec cœur par Djimon Hounsou (ce Béninois d'origine s'est distingué en 2003 dans In America de Jim Sheridan), pêcheur à allure imposante, forcé presque à l'esclavage dans une mine diamantifère, gérée par les rebelles qui, tout compte fait, défendent une cause puante. Ils coupent la main à leurs victimes pour qu'elles ne votent pas. Une réplique dans le film — fort intéressante d'ailleurs — rappelle que cette idée macabre est inspirée de celle du Léopold II, roi des Belges entre 1865 et 1909, le premier à introduire l'acte barbare de la mutilation en Afrique. Souverain du Congo, colonie privée où il s'est enrichit grâce aux exploitations de caoutchouc, ce monarque, considéré comme « un bâtisseur » par ses sujets, fut un véritable criminel génocidaire (plus de dix millions de Congolais tués), dénoncé par les Britanniques. « No living thing » Les hommes du Revolutionary United Front (RUF), proches du chef sanguinaire du Liberia voisin Charles Taylor et guidés par Foday Sankoh, débarquent dans des villages et massacrent sans distinction. L'histoire retient que cette folie meurtrière a duré 11 ans. Entre 1991 et 2002, les partisans du RUF et de l'Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) de Paul Koroma ont assassiné plus de 200 000 personnes. La contre-violence gouvernementale a également fait beaucoup de victimes. Comme pour le Rwanda, la communauté internationale a fait preuve, pour le Sierra Leone, de lâcheté et complicité. Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a décidé d'imposer un embargo sur les armes et le pétrole que 6 ans après le début des hostilités. Un million de personnes placés dans un camp de réfugiés ? « Une brève entre les sports et la Météo sur CNN », dit Maddy Bowen (dont le rôle est assuré par Jennifer Connelly), une reporter de guerre qui tente d'être honnête en enquêtant sur les trafiquants des pierres précieuses. Archer veut récupérer un diamant rose, à la valeur inestimable, et Salomon, qui a trouvé et caché l'étincelant caillou, recherche son fils, happé par les rebelles. Un drôle de deal où deux valeurs s'affrontent. Mis à part Ezra du réalisateur nigérian Newton Aduaka (primé au dernier Fespaco de Ouagadougou), aucun cinéaste africain n'a eu le courage d'Edward Zwick de mettre à nu l'embrigadement assassin des gamins. « Oubliez l'enfance. Vous êtes des révolutionnaires », lance un instructeur, comme sorti des entrailles de l'Enfer. Des garçons aux regards apeurés deviennent des monstres aux yeux de démons. Selon l'Unicef, plus de 300 000 enfants sont utilisés actuellement dans 30 conflits à travers le monde. En Sierra Leone, l'Unicef a aidé à démobiliser 6800 enfants soldats en vue d'une réinsertion sociale. Un travail incroyablement dur. Dans le film, des images de camps débordés au HCR avec des fonctionnaires blancs hors coup soulignent la stupidité de la bureaucratie onusienne face à l'urgence. « Ce diamant peut m'extirper de ce continent maudit », lance Archer dont les parents avaient été assassinés dans l'ex-Rhodésie. L'enfant a eu une vie traversée de poudre, de sang et de larmes. Il avait pris part à des batailles incertaines. Aussi, la descente sauvage des milices du RUF et à l'AFRC sur Freetown, et qui avait pris pour titre le sinistre No living thing (plus rien de vivant), ne l'a pas choqué. Même si 6000 personnes avaient été tuées lors de cette opération, peu visible dans les médias à l'époque. Archer avait une seule chose en tête : le diamant rose, « une pierre rare » autant que le diamant bleu ou orange. Cupidité d'homme blanc ? « J'espère que ton ami n'est pas venu chercher du pétrole, parce que c'est là que les problèmes commencent », dit, la voix presque éteinte mais sage, un vieux, rescapé d'une tuerie dans un village. Et si les malheurs de l'Afrique viennent de sa richesse ? Le film d'Edward Zwick, qui a réalisé le poétique Dernier Samouraï et le romantique Légendes d'automne, tente la question, sur 142 minutes, sans y répondre réellement. Même si cela met en colère des compagnie diamantaires, comme le londonien De Beers qui mène une véritable offensive contre le film. Saga africa… Si le côté spectacle n'a pas été évité dans Blood Diamond pour se plier au système Hollywood, l'essentiel est que le cinéma américain s'intéresse — enfin ! — au continent africain. La mode n'est plus aux histoires d'amour dans la savane ou les baisers chauds sur le sable blanc des plages mais à la dénonciation, à la remise en question et à une certaine prise de conscience. Vient de sortir : Dernier Roi d'Ecosse qui décortique la noire dictature d'Amin Dada en Ouganda. Avant lui, Nicolas Cage a brillé dans Lord of war qui dresse un portrait des marchands d'armes dans l'insondable souk africain et Fernando Meirelles a réussi la prouesse de dévoiler « les grenouillages » des fabricants de médicaments au Kenya dans The Constant Gardener. « Les Etats-Unis achètent les deux tiers de la production mondiale de diamants », lance un intermédiaire londonien dans le film de Edward Zwick. « Le peuple américain n'achète pas une bague s'il apprend qu'elle a coûté le bras d'un Africain », pense Maddy Bowen. Qui peut dire que, dans la marchandise mondialisée, il n'y a pas des bouts de bras, de pieds, de cœurs ou de dignité d'Africains ? Ce n'est sûrement pas l'Union africaine, incapable de prévenir les conflits et les coups d'Etat, qui aura la réponse.