L'expérience est unique en son genre en Algérie et ailleurs : ce sont les malades, devenus producteurs d'émotions esthétiques, qui viennent donner aux valides du bonheur, le temps d'un concert musical. Et de cette musicothérapie, ce sont, au bout du compte, les personnes ingambes qui en prennent à forte dose. Ainsi, le public témouchentois a été plongé dans l'indicible avec les Voix Amine, une formation constituée d'enfants et d'adolescents atteints d'affections chroniques. Ces « voix » étaient cette semaine en tournée en Oranie, hébergées à l'école de pêche de Beni Saf. Disposant d'un riche répertoire, équivalent à quatre spectacles, l'orchestre s'est décliné à Témouchent en chorale polyphonique accompagnée d'harmonies et des rythmiques des flûtes, de la guitare électrique, de deux pianos et d'une mandoline. Et s'il a séduit, c'est d'abord par une prestation de plaisante facture. Il a ému ensuite parce que ses membres ont donné l'exemple d'une magistrale leçon de vie, certains sont en fin de vie ou handicapés mentaux, en proie à la cruauté de la maladie. Enchaînant les meilleurs airs d'un répertoire puisé du patrimoine musical national et mondial, les choristes passent du mouwachah à L'hymne à la joie en allemand en passant par My way, Yesterday, etc., car s'il vous plaît, on chante dans toutes les langues. L'universalité étant de mise, car au sein des Voix Amine, l'on fait forcément vite d'intégrer la patrie du genre humain avec l'obligeant passeport de la maladie. La vanité n'est pas de mise, face à la mort qui guette tout un chacun ! La solidarité et la fraternité s'imposent en valeurs cardinales. Parfois sur scène, l'un ou l'autre est tenaillé par quelque douleur. Il s'éclipse discrètement, soutenu par un camarade vers les coulisses, les autres fermant prestement les places vacantes de façon à ne pas casser le spectacle, à faire oublier la maladie et à demeurer dans le partage avec le public. Et l'on revient à sa place, tout aussi promptement, évitant de ne rien laisser voir. Il n'y a que les tout-petits qui, parfois terrassés par la fatigue, se permettent de s'asseoir un instant dans une touchante attitude. Le chef d'orchestre, Djamel Merahi, musicothérapeute, les conduit d'une baguette de maman poule, leur insufflant son énergie. Il est largement récompensé à la dernière note d'un swingant gospel : un grand garçon s'est pris d'un poing levé exprimant la joie d'une performance artistique accomplie. Cela l'était même plus : un miracle. Ce garçon au deuxième piano, avant d'intégrer l'orchestre, était dans le refus total du contact, même physique, emmuré qu'il était dans un monde à lui seul. Depuis, il n'est plus celui dont on s'enquiert en demandant après « l'autiste ». Sa maman n'est plus « la maman de l'autiste », mais celle de Liès, le second piano. A côté de lui, un autre camarade exulte au piano électronique. Lui, l'hémophilie, la leucémie et la pauvreté l'ont empêché d'être à l'école. A l'hôpital, il a appris à lire le solfège et à jouer comme un grand. Le feeling qu'il dégage sur scène est magnifique à voir. Cet adolescent n'est plus « le cancéreux de Triolet », mais Zaki le pianiste. Tous ses compagnons ont recouvré leur identité bonifiée de leurs talents respectifs. Au sein de l'orchestre, il y a aussi quelques valides, des valides un peu plus nombreux lorsque les Voix Amine présentent un plateau de musique andalouse. Ce sont des parents ou le personnel soignant, médecin et infirmier. Ainsi, depuis deux années et après cinq années d'existence de la formation, c'est une communauté d'un niveau supérieur qui s'est constituée. On partage alors tout, pas seulement les moments des affres de la maladie. Et en cela, ce n'est plus seulement la détresse des malades qui est prise en charge mais aussi celle des parents et du personnel. Bravo les artistes !