Le rapport qu'entretiennent les Algériens avec le Ramadhan fait du jeûne une pratique stricte qui doit être observée et affichée par tout un chacun sous peine de s'exposer aux regards médisants. Dans un tel contexte, l'ouverture à laquelle tend le pays introduit des interrogations qui étaient il y a quelques années tranchées d'avance. Tentés par une clientèle étrangère qui se renforce au fil des années à la faveur de l'embellie sécuritaire, les restaurateurs sont de plus en plus confrontés à la question de savoir s'il est de bon ton d'offrir leurs services durant le Ramadhan. Mais ils n'arrivent pas à faire le pas. « Mes clients m'ont déjà demandé si j'allais ouvrir et je ne sais pas encore quoi faire. » A quelques jours seulement de Ramadhan, Farès, restaurateur dans la capitale, n'arrivait toujours pas à se décider. Le restaurateur a gagné une clientèle faite en partie de ressortissants étrangers de confession non musulmane, cadres d'entreprises et travailleurs. Il est peut-être contraint de les « abandonner » le Ramadhan venu. Appuyé sur son comptoir, la tête entre les mains, il a dû se faire à cette idée. « Ce sont des clients que je sers tout au long de l'année, je ne vais pas leur fermer la porte au nez juste comme ça », dialogue-t-il comme avec lui-même. « C'est injuste ! », ajoute-t-il, en appuyant : « Il faut qu'on change vis-à-vis des gens et vis-à-vis de nous-mêmes, car ce ne sont pas là des manières. » Les commérages Mis à part les grands hôtels et quelques bouibouis pour marginaux, se restaurer durant le mois du carême devient impossible pour les non-jeûneurs. « Ce n'est pas un problème sécuritaire », balaye Farès. « Le terrorisme est parti, c'est de l'histoire ancienne. Ce sont plutôt les commérages qui risquent de porter atteinte à mon commerce. » « Je dois penser à la clientèle de l'après-Ramadhan », lâche Hamid. Il s'inquiète du voisinage qui « risque de ne pas accepter ». Ancien videur dans des boîtes de nuit, Hamid tient son restaurant à proximité d'une cité populaire. Mais pour lui, le problème se pose autrement. « 70% des Algériens ne jeûnent pas », assure-t-il d'abord un peu à la hâte comme pour se moquer d'un mythe. Essayer de connaître le taux exact des personnes qui n'observent pas le jeûne est illusoire en raison du caractère latent de cette pratique. Selon le ministre des Affaires religieuses, 85% des Algériens jeûnent. « Je connais les gars de cette cité parce que j'y habite », lance Hamid. « Je sais que tous ne jeûnent pas. Si j'ouvre pour mes clients étrangers et qu'ils me demandent d'entrer, que dois-je faire ? Je ne veux pas avoir affaire à eux. » Rideaux rigoureusement baissés, fourneaux éteints, quand ce ne sont pas des marmites d'huile et de jus de z'labia qui prennent le relais, les restaurateurs de la capitale observent pour leur part un jeûne total. « Je pense que je pourrai peut-être délivrer des badges à mes clients étrangers et ne laisser entrer qu'eux en prenant soin de faire ça le plus discrètement possible... », confie Farès, toujours appuyé à son comptoir. Mais le Ramadhan venu, deux plateaux de kalb ellouz bloquent l'entrée de son établissement.