La vérité devient dangereuse pour le pouvoir quand elle se rapproche de la ligne rouge qu'il a tracée », a affirmé Ali El-Kenz, sociologue algérien et professeur à l'université de Nantes. Intervenant au forum Les débats d'El Watan organisé jeudi dernier à l'hôtel Hilton d'Alger sur le thème « Le savoir et le pouvoir : quels régimes de vérité pour la cité ? », le sociologue a expliqué les rapports entre le pouvoir politique et les scientifiques dans le monde en général et en Algérie en particulier. Pour le conférencier, le pouvoir exerce un contrôle sur toutes sciences se rapprochant de l'espace public et donc de la société. C'est le cas des sciences sociales en Algérie. Selon Ali El-Kenz, ces sciences subissent souvent les injonctions du politique. Afin de renforcer son emprise sur les sciences et les orienter selon son idéologie, le pouvoir surveillait hermétiquement les campus universitaires. « Dans les années 1960, les campus étaient surveillés. Le pouvoir politique s'était donné une force de surveillance magistrale », a-t-il déclaré. L'histoire, a-t-il illustré, était une sous-mobilisation du FLN et la philosophie était devenue un sous démembrement de la philosophie islamique. « L'histoire a été captée par le politique et elle a été tronçonnée. Avant 1930, c'est un trou noir. Nous avons été obnubilés par la naissance du mouvement national », a-t-il estimé. Cette emprise du politique sur le scientifique, a-t-il souligné, est basée sur la croyance que le pouvoir est toujours fort. « En Algérie, le pouvoir est pensé comme étant fort. Mais en 1988, il s'est effondré avec l'effondrement de cette croyance », a-t-il ajouté. Cette pression exercée par le pouvoir sur la science n'est pas, a-t-il enchaîné, une particularité de l'Algérie. Mais la pratique est pareille dans tous les pays du monde. Il a cité à ce sujet l'exemple du Maroc où la sociologie était interdite et la France où on a adopté la loi sur la colonisation. Remontant de l'antiquité à nos jours, Ali El-Kenz a conclu que les relations entre le pouvoir et le savoir sont toujours compliquées. A cette relation complexe s'est ajouté, a-t-il indiqué, un autre facteur, en l'occurrence l'argent. Le financement des recherches scientifiques intervient depuis quelque temps sous forme d'injonction et de pression sur le scientifique. « Les budgets de l'Etat consacrés à la science sont en train de diminuer et les universités sont obligées de chercher des ressources ailleurs. Ce fait influence la recherche », a-t-il lancé. Le scientifique, en revanche, vivait toujours dans la précarité parce que son destin est lié à son employeur. « Le chercheur perd son visa une fois licencié par son employeur », a-t-il illustré. Les médias, devenus un quatrième pouvoir, se sont attirés aussi les attentions du pouvoir économique. En somme, l'activité scientifique, selon lui, tourne autour de l'Etat, du chercheur et du pouvoir économique. Cependant, le scientifique influence de son côté le pouvoir politique. En Afrique du Sud, a-t-il enchaîné, l'expertise des Blancs influence la prise de décisions par le pouvoir des Noirs.