Une récente émission de l'ENTV s'est attachée à identifier les écueils rencontrés par le cinéma algérien pour accomplir son émergence. L'émission, au-delà des constats d'échec, n'a pas proposé une alternative de sortie de crise dans la mesure où les participants ont plus posé des problèmes de forme que de fond. Il n'est ainsi pas possible de dire, comme une vérité absolue, que le déclin du cinéma algérien n'est lié qu'au seul fait que les réalisateurs algériens se sont autoproclamés scénaristes de leurs films, excluant tout apport extérieur. Ce n'est bien évidemment pas une raison centrale et elle est d'ailleurs en porte-à-faux par rapport à une pratique systématisée par le cinéma algérien structuré autour du modèle dans lequel le réalisateur est toujours scénariste, ou conserve un droit de regard sur le scénario. Mais il n'en va pas autrement dans le reste du monde et c'est mal engager le débat que de dénier à un cinéaste le droit d'être aussi scénariste. En rapportant un tel déni au cinéma algérien, lui garantit-on pour autant l'assurance d'un salutaire retour en grâce ? Car enfin, existerait-il, aujourd'hui, une cohorte de scénaristes attitrés que cela ne lèverait pas les entraves qui pèsent sur le cinéma algérien victime avant tout de l'absence fatale d'une assise publique. Les films sont faits pour être vus et à ce titre avec un réseau de salles devenu ténu, le cinéma algérien n'a que peu de chances de décoller. Parce qu'en dehors des maigres subventions institutionnelles, l'activité cinématographique est fondée sur un principe cardinal : l'argent du cinéma va au cinéma. De ce point de vue, depuis près d'une vingtaine d'années, il y a un assèchement tragique des ressources induites par les recettes d'exploitation. La production cinématographique ne prélève pratiquement plus rien sur les billets vendus, puisque la fréquentation des salles - une dizaine dans le pays - est réduite à sa plus simple expression. Dans de telles conditions, aucun film algérien - ou étranger - ne peut être amorti et peut d'autant moins générer une plus-value. La question qui se pose est alors celle de savoir s'il faut continuer, chaque fois qu'il s'agit de cinéma algérien, de placer la charrue avant les bœufs. L'Etat, autant que les initiateurs privés, ne paraissent pas intéressés à investir dans une activité totalement déréglée. Ce n'est pas une affaire de thématique, car si un cinéaste comme Oliver Stone tournait un film sur Massinissa, celui-ci serait un énorme succès en termes de fiabilité du casting et de rapport au public. L'histoire de l'humanité est en effet universelle et cela justifie la réussite de Ridley Scott,l e Britannique, avec Gladiateur. Lorsqu'un film, en Algérie, ne réunit pas, dans l'hypothèse la plus haute, dix mille spectateurs, il va de soi que le rendement est dérisoire. Car il ne suffit pas de mettre des films même seulement dans une dizaine de salles si, en même temps, le public ne retrouve pas la passion perdue du spectacle cinématographique. La vérité qu'il convient de dire est que ce public est désormais formaté au moule du sketch “chorba” et de ses acteurs référents qui lui fait regarder les grands classiques du cinéma comme des bizarreries. En fait, la norme à l'œuvre est celle des soirées du Ramadhan qui constituent pour le plus grand nombre une validation de la bonne santé de l'audiovisuel algérien. Quel est alors le scénariste qui prendrait le risque d'écrire en dehors de ce format qui, entre sketches et feuilletons, institue désormais le modèle audiovisuel algérien dont la raison d'être est attachée exclusivement au mois de Ramadhan. Il est donc parfaitement inutile d'intenter des procès d'intention au peu de réalisateurs dont a disposé le cinéma algérien avant son effondrement à la fin des années 80, mais de s'interroger sur les effets dramatiques d'un véritable conditionnement du public à se déshabituer du cinéma dont les espaces continuent de se restreindre davantage encore au fil des années. Et il ne faut pas s'y tromper : si rien n'est entrepris pour faire renaître chez le plus large public le goût du cinéma, tout ce qui pourrait être entrepris par ailleurs serait vain. Car les vrais bailleurs de fond du cinéma, ce ne sont ni les sponsors intéressés ni même l'Etat s'il accepte de jouer le rôle de mécène. Ce sont les spectateurs qui payent au juste prix leur ticket d'entrée. L'émergence du cinéma algérien ne peut pas s'appuyer sur une politique de chaises vides.