Je suis content de vous rencontrer », lance le président Ahmadinejad. « Nous sommes très reconnaissants pour cette grâce », rétorque l'un des marins britanniques captifs. « C'était un voyage forcé », plaisante encore le président iranien. « Je ne le dirais pas de cette façon, mais vous pouvez le dire comme cela », répond un autre marin. Cet échange très sympathique et amical aux entournures entre Ahmadinejad et les marins britanniques, hier lors de la cérémonie de leur libération, contraste radicalement avec ce bruit de bottes relayé par un terrible battage médiatique qui aura transformé un fait divers en une crise diplomatique aiguë. La bombe a donc finalement été désamorcée in extremis, au grand soulagement d'une opinion publique internationale qui craignait à juste titre l'imminence de « l'irakisation » de l'Iran. Bien que tout le monde se soit félicité hier de cet heureux dénouement d'un feuilleton de mauvais goût, il est tout de même difficile de saisir les tenants et les aboutissants de cette minicrise. Si pour le président Mahmoud Ahmadinejad, la libération des 15 marins britanniques capturés par l'Iran n'est qu'un « cadeau » au peuple britannique, les réactions plutôt positives de Londres et de Washington notamment rajoutent une couche de flou à cette affaire. S'agit-il véritablement d'une crise diplomatique qui a trouvé une issue heureuse par le simple bon vouloir de Téhéran, ou alors d'un scénario monté de toutes pièces à des fins inavouées et dont le régime iranien n'en serait pas étranger ? La question se pose d'autant plus que Londres a fini par troquer son discours guerrier d'il y a quelques jours contre une attitude apaisante, voire compréhensive, à l'égard des autorités iraniennes. Le président Ahmadinejad a même mis les formes pour donner plus de solennité en serrant la main à certains des marins à l'issue de la conférence de presse au cours de laquelle il avait annoncé leur libération. A Londres, le porte-parole du gouvernement de Tony Blair a salué ces petits mots du président iranien. « Nous saluons ce que le président (Ahmadinejad, ndlr) a dit à propos de la libération des quinze membres de notre personnel. » George Bush, qui a tôt fait d'apporter son soutien à son ami Blair, a lui aussi salué « la nouvelle », tout comme Moscou qui la qualifie de « geste de bonne volonté ». Le président iranien a néanmoins laissé entendre qu'il n'a cédé à aucune pression puisque « le gouvernement britannique, dans une lettre, s'est engagé à ne pas recommencer de tels incidents ». Cela équivaut un peu aux excuses qu'il avait exigées un moment de Londres moyennant la libération des 15 marins. En tout état de cause et sous réserve d'éventuelles indiscrétions qui pourraient faire la lumière sur cette affaire, le président iranien a pu damer le pion, diplomatiquement, au duo Blair-Bush et à l'Union européenne (UE), en ce sens qu'il n'a pas cédé à leurs menaces et a prouvé à l'opinion internationale — en live — que les marins britanniques avaient bel et bien violé les eaux territoriales de son pays. Ahmadinejad a eu hier beau jeu de dénoncer « la voie du tapage médiatique » suivie, selon lui, par le gouvernement de Tony Blair. Pour l'UE, la libération la « tête haute » des captifs par Ahmadinejad devrait être perçue comme une gifle en ce sens qu'elle a adopté une attitude qui par sa fermeté suggère des intentions belliqueuses via les fameuses « mesures appropriées » promises. C'est dire que Téhéran aura su curieusement voler la vedette alors qu'elle est sous la pression dans le dossier nucléaire.