On le dit. Les Algériens ne sont pas assez citoyens, pas assez humains, animaux voraces mal classés dans l'échelle de l'évolution, ne se battant pas pour l'amélioration des choses comprises ou de l'état de leur environnement mais pour un reste d'os mal cuit ou un bout de prière mal accomplie. Coincés sur les problématiques traditionnelles du devenir, embarqués sur la projection religieuse de la vie après la mort supérieure à la vie avant la mort, passant le temps qui leur reste à vivre à prendre des cafés sur place et à demander des visas un peu partout. Ce ne sont pas des Suédois, citoyens-moteurs du développement national, pas même des Mauritaniens, récemment reconnus comme exemplaires africains conscients des transitions à faire. Pourtant, ces 18 jeunes chômeurs de Sidi Bel Abbès, en grève de la faim depuis 9 jours, sont là pour contredire ce discours global. En arrêt de vie volontaire, ces 18 jeunes de Ras El Ma refusent de se nourrir non pas parce que la pomme de terre est introuvable ou le lait disparu, non pas pour un emploi chez Khalifa ou une quelconque reconnaissance personnelle mais simplement, comme ils le disent eux-mêmes, pour l'instauration d'une commission d'enquête indépendante sur la gestion des fonds publics à Ras El Ma, leur village. On connaît la facilité des gouvernants élus ou nommés dans les intérieurs du pays à utiliser l'argent public comme un don personnel. On connaissait moins la faculté des citoyens à combattre le gaspillage autrement que par l'émeute volontaire. Du coup, ces 18 jeunes Algériens font oublier tout le reste, ces 33 millions moins 18 qui ne pensent qu'à manger, souvent dans l'assiette des autres. Demain, médicalement, les 18 ne seront que 15 ou 10. Après-demain, la faim aidant et les capacités biologiques dépassées, ils ne seront plus que 3 ou 4. Mais dans un an ou deux, ils seront des milliers.