Alors que le dossier de l'affaire des 22 milliards de dinars de la BNA sera examiné le 14 avril par la chambre d'accusation près la cour d'Alger, Achour Abderahmane, principal mis en cause dans ce scandale, a comparu hier devant le tribunal de Koléa pour quatre autres affaires. Dès l'ouverture du premier procès, les nombreux avocats de Achour Abderahmane ont tenté de pousser le tribunal à se déclarer incompétent en soulevant l'article 43 de la convention d'extradition algéro-marocaine. « Cette disposition écarte toute imputation d'un nouveau fait, en dehors de celui pour lequel le prévenu a été extradé le 15 novembre 2006, à savoir l'affaire de la BNA dans laquelle on lui reproche le détournement de 22 milliards de dinars pour certains et pour d'autres 32 milliards de dinars. Ce dossier est actuellement entre les mains du doyen des juges d'instruction près le tribunal d'Alger. Le 1er janvier dernier, le tribunal de Bir Mourad Raïs s'est déclaré incompétent pour une affaire sur la base de ce même article de la convention. De ce fait, nous demandons la nullité des poursuites », déclare Me Laceb Ouali, un des membres du collectif de la défense de Achour Abderahmane. Le juge explique qu'il est en fait devant un problème d'ordre judiciaire, eu égard à la demande écrite des avocats d'opposition dans deux affaires dans lesquelles le prévenu a été condamné par défaut. « Vous avez fait opposition volontairement. Acceptez-vous d'être jugé ? », demande le président. Achour ne semble pas comprendre l'enjeu. Me Ksentini intervient. « Si le tribunal accepte notre demande, tant mieux, si cela n'est pas le cas, nous maintenons notre opposition », dit-il. Le procureur estime que Achour a fait opposition volontairement pour deux affaires et qu'à ce titre il ne voit pas la nécessité de ne pas le juger. Il relève que pour les deux autres nouvelles affaires, l'article 43 de la convention algéro-marocaine précise, selon lui, qu'il ne faut pas ajouter un autre fait à celui pour lequel il a été extradé. « Néanmoins, il est important de soulever la nuance. Il est indiqué qu'il ne faut pas imputer de nouveaux griefs dans le cadre du dossier pour lequel il a été extradé, non pas d'autres griefs qui n'ont aucune relation avec la première affaire », note le magistrat. Celui-ci souligne que l'exemple de la décision du tribunal de Bir Mourad Raïs ne peut être cité comme référence, car il y a des victimes qui attendent. Le président demande à Achour Abderahmane une dernière fois s'il veut être jugé. Me Ksentini bondit à sa place : « Ne donnez pas aux autorités britanniques l'occasion de refuser les demandes de l'Algérie. Soyons prudents ». Le magistrat lui signifie qu'il n'y a que la loi entre lui et les parties. Il interroge une dernière fois le prévenu sur sa volonté de maintenir sa demande d'opposition. Achour Abderahmane fini par déclarer qu'il veut être jugé et le président demande au greffier de prendre acte de cette décision. Le plus important procès concerne l'affaire de la falsification de l'attestation de classification de la société National A +, appartenant à Achour Abderahmane, pour laquelle il a déjà été condamné par défaut à 4 ans de prison ferme. Le prévenu surprend l'assistance en déclarant avoir été victime d'une mafia du bâtiment, qui a enlevé de ses dossiers adressés aux APC de Bougara, Dély Ibrahim et Hadjout les vrais certificats qu'il a transmis pour les échanger contre des faux. « En 2000, vous aviez un certificat pour la catégorie I et vous obteniez des marchés pour la catégorie III, un classement qui ne vous a pas été accordé et, en juin 2003, vous obteniez la catégorie VI. Pouvez-vous nous expliquer cela ? » Le prévenu : « J'ai eu la catégorie VI après le passage d'une commission de la wilaya de Tipaza, qui a transmis mon dossier et c'est le ministre qui a signé. Les membres de la commission m'ont même félicité et se sont interrogés comment se fait-il qu'une société aussi importante que National A + soit dans l'anonymat. Ce sont ceux qui ont rédigé la lettre anonyme qui sont derrière ces faux, dans le but de m'écarter des marchés des travaux publics. Ils ont échangé les certificats de catégorie I contre ceux de catégorie III falsifiés. Vous remarquez que la signature n'est pas la mienne. » Le magistrat exhibe tous les appels d'offres dans lesquels Achour a été refusé du fait de sa classification en catégorie I et ceux où il a été accepté en tant que catégorie III, alors qu'il avait la catégorie I. Il se défend en disant que ce sont de faux procès-verbaux, établis par ceux-là mêmes qui ont falsifié les certificats de classement. Le juge lui fait savoir à plusieurs reprises qu'en 2003, il avait souscrit pour des marchés qu'il a obtenus nécessitant la catégorie III, alors qu'il n'avait que la catégorie I. Encore une fois, Achour Abderahmane accuse « la maffia des travaux publics ». Le juge : « Pourquoi n'avez-vous pas déposé plainte contre cette mafia qui semble très puissante puisqu'elle vous poursuit dans toutes les mairies où vous avez soumissionné ? » Le prévenu déclare avoir réalisé les marchés sans aucun problème. Le procureur revient sur les marchés des APC de Hadjout, de Dély Ibrahim et de Bouguara, payés totalement en juin 2003 et réalisés avec le certificat de catégorie III falsifié. « J'ai toujours soumissionné pour ces marchés avec la catégorie I, pas la III et j'ai été retenu », déclare-t-il. « Victime de la mafia » Le magistrat explique que le document présenté lors des soumissions comporte un rajout de deux barres, pour arriver au chiffre romain de trois. « N'est-ce pas une fraude ? C'est un délit consommé et le préjudice est beaucoup plus moral. Il y a également escroquerie, et pour cela, je demande la confirmation de la peine de 4 ans de prison prononcée par défaut lors du premier jugement », requiert le procureur. Les avocats de Achour plaident l'innocence en estimant que Achour Abderahmane « a été victime de la mafia du bâtiment, du fait que les marchés de ce secteur s'arrachent tous par la tchippa ». Ils se sont demandés pourquoi les services de la gendarmerie n'ont pas enquêté sur les auteurs de ces falsifications. Pour eux, il s'agit d'un règlement de comptes. Le procureur intervient et rectifie le tir. « La preuve est la photocopie du certificat de catégorie III », lance-t-il, avant que le président ne donne la parole à Achour Abderahmane. Celui-ci affirme qu'il est l'objet d'une affaire préfabriquée par la mafia. La seconde affaire concerne une plainte pour abus de biens sociaux, déposée par son associé dans la société Sabrine d'emballage et pour laquelle il a été condamné par défaut à 3 ans de prison ferme. Maître Guettaf, avocat de Achour, note que le plaignant a déjà été débouté devant le juge commercial et que la seconde affaire concerne les mêmes faits. Le procureur explique que la première action concerne le civil pour les réparations, mais la seconde relève du pénal et elle est légale. Me Bencherif, avocat du plaignant Jalal Salem, relève que les deux affaires sont distinctes du fait que la première concerne Achour en tant que gérant pour abus de biens sociaux de la société Sabrine, et la seconde le concerne en tant que personne pour escroquerie. « Le contentieux entre Jalal Salem et Achour Abderahmane n'est pas limité uniquement à la somme de 170 millions de dinars, mais à 320 millions de dinars pour plusieurs autres affaires. Il a usurpé des fonctions et le montant qu'il a détourné a atteint les 310 millions de dinars », affirme Me Bencherif. Achour Abderahmane affirme que cette société a démarré en 1999, mais a fonctionné à perte jusqu'à ce qu'il décide de la mettre en liquidation judiciaire vers 2003. Il explique que le conflit avec son associé a commencé en 2001. Il note avoir informé son associé de sa décision de mise en liquidation et de la désignation d'un expert judiciaire pour répartir les parts de chacun des associés. L'expert Hamid Foufa a trouvé une somme de 420 000 DA dans le compte de la société, ajoute-t-il. « Nous avons trouvé un arrangement à l'amiable, signé par devant un notaire et qui m'engage à rembourser toutes les dépenses et payer tous les frais de la société, du fait que j'étais le gérant. » Le juge demande au prévenu combien de comptes la société possède-t-elle. Il déclare au début un seul, celui de la BNA de Staouéli, mais le magistrat lui rappelle celui de Khalifa. Achour acquiesce. Le juge cite une série de montants importants mouvementés durant les années comprises entre 1999 et 2002. « Ce sont les avances des clients qui ont toutes été remboursées », répond-il. Le magistrat l'interroge sur les bons de caisse retrouvés par les deux experts. « Il y en avait qui m'appartiennent d'un montant de 15 millions de dinars. Les autres d'un montant de 10 millions de dinars constituent les parts des associés. » Le magistrat fait remarquer au prévenu que les expertises ont fait état d'absence de comptabilité, de la non-tenue des assemblées générales des associés et de non-gestion. Achour Abderahmane explique que la société était en situation de faillite, situation qui l'a poussé à accepter l'arrangement avec son associé. Le magistrat : « Comment une société en faillite peut-elle être concernée par 140 millions de dinars d'impôts ? » Le prévenu : « J'étais prêt à payer n'importe quel montant pourvu que je règle la situation. » Le président ne semble pas convaincu. Il insiste pour savoir comment les services des impôts sont-ils arrivés à ce montant. « Ils ont pris en compte tous les décaissements et encaissements de nos clients. Nous avions reçu des avances sur des achats, mais la concurrence nous a tués. » Le juge lui demande pourquoi n'a-t-il pas introduit un recours auprès de l'administration fiscale, mais le prévenu estime qu'il voulait en finir avec la Sarl Sabrine. Les avocats de la partie civile, maîtres Bencheikh et Attar, mettent l'accent sur l'intention d'accaparer des biens de la société Sabrine par le prévenu dès la création de celle-ci, à partir du moment où le siège de la Sarl se trouve à l'adresse même de la société CEA de Achour, au centre du scandale avec la BNA. « Le matériel d'une valeur de 300 millions de dinars a été entreposé dans les locaux de la société CEA et l'enquête fiscale a montré que la société a bel et bien fonctionné durant trois ans, eu égard aux sommes énormes qui mouvementaient ses comptes à la BNA et à El Khalifa Bank, où il avait un montant de 260 millions de dinars. Nous demandons réparation. » Le procureur, pour sa part, note que dans le dossier il n'y a pas de mise en liquidation, mais plutôt de faillite, après une activité de 3 ans. Le magistrat demande alors la confirmation de la première condamnation de 3 ans de prison prononcée par défaut. Les cinq avocats de Achour axent leur plaidoirie sur les raisons qui ont fait que la société Sabrine à mis la clé sous le paillasson. Selon eux, Sabrine a été créée juste au moment où Tonic Emballage s'est lancé et a raflé tout le marché de l'emballage, poussant Achour Abderahmane à rembourser tous ses clients.