Partie de Tamanrasset, elle est arrivée à Alger, charriant avec elle des questions particulièrement intéressantes sur l'écriture littéraire du continent. Deux rencontres qui se suivent et se rassemblent au final pour interroger les littératures africaines. La première a eu lieu du 1er au 5 avril à Tamanrasset, au centre universitaire qui se nomme d'ailleurs Centre universitaire de l'Afrique. Il s'agissait pour ses organisateurs (universités d'Alger, Angers et Tamanrasset), de réunir des chercheurs algériens et étrangers autour du thème retenu « Sortir du postcolonial ? ». Vaste programme s'il en est. Le concept déjà éprouvé dans la recherche anglo-saxonne sous le générique de « postcolonial studies » n'a connu qu'une faible incursion dans l'espace francophone. Il demeure encore flou au plan théorique, d'où la prudence du point d'interrogation. Mme Amina Bekkat, de l'université d'Alger, a cité à ce propos le point de vue d'Achille Mbembe, historien et politologue : « Il s'agit en vérité d'une pensée à plusieurs entrées qui est loin d'être un système… ». Il reconnaît cependant que cette faiblesse est aussi une force qui lui permet d'interroger les cultures des pays anciennement colonisés dans leurs rapports aux cultures de leurs ex-colonisateurs. Il est patent que les littératures africaines ou autres, après s'être inscrites dans le sillage (et parfois à l'avant-garde) du combat pour les indépendances, sont passées à des écritures centrées sur leurs sociétés mais souvent situées en référence au fait colonial ou à ses répercussions actuelles sur les pays anciennement colonisés. En se demandant s'il faut sortir du postcolonial, on pose la question de l'autonomisation du champ littéraire de ces pays. Difficile d'y répondre quand on sait que les circuits éditoriaux et les processus de reconnaissance littéraires continuent à être dominés par les maisons d'édition des anciennes puissances coloniales. Difficile d'y répondre également quand on sait que les nouveaux processus de dépendance, soutenus par la mondialisation, entretiennent la vivacité des positions d'affrontement. Si la colonisation est caduque, le sentiment (et la réalité) de la domination demeure. Il est pour l'instant difficile de se prononcer sur les résultats de cette cogitation dans la capitale du Hoggar tant que les actes de la rencontre ne sont pas publiés. Mais, à travers l'initiative du CCF d'Alger de prolonger en quelque sorte la rencontre de Tamanrasset en organisant des journées en « regard sur la littérature algérienne et subsaharienne » (du 8 au 11 avril), certaines des questions restées en suspens ont pu être approfondies à Alger. Dans des contextes socioculturels différents au nord et au sud du Sahara, les participants ont pu confirmer ou découvrir les similitudes tant dans les thématiques littéraires (poids des traditions, injustice sociale, pouvoirs…) que dans les types d'écritures (recours au patrimoine oral par exemple). De nombreux critiques, universitaires et écrivains présents se sont ainsi démarqués de la territorialisation des littératures africaines et ce fut un bonheur d'entendre les représentants des deux sous-régions citer et discourir sur les littératures des « autres ». Il reste que cette faculté demeure limitée ou dépassée (connaissance des auteurs des années soixante surtout) et que, par exemple, les lecteurs de Bamako n'ont pas largement accès à la littérature maghrébine pas plus ceux d'Alger à la littérature des pays du Sahel ou du reste de l'Afrique. Les divisions linguistiques, qui ne sont que parcimonieusement comblées par la traduction, les problèmes de diffusion et d'accession au livre en Afrique, le manque d'implication des pouvoirs publics dans leurs pays respectifs et à plus forte raison à l'échelle continentale, tant d'obstacles que les participants ont soulignés. La rencontre des écrivains a été cependant chaleureuse, complice et productive d'idées et de témoignages avec des plateaux où figuraient tantôt ensemble, tantôt en sous-groupes Tierno Monérembo (Guinée), Sami Tachak et Edem (Togo), Koffi Kwahvle (Côte d'Ivoire), Adama Traoré (Mali) et pour l'Algérie Djamel Mati, Areski Mellal, Hamid Skif et Waciny Laredj. L'échange de ces derniers avec les universitaires et critiques – et notamment Mme Bekkat et MM. Jean-Michel Djian, Rachid Mokhtari et Jacques Chévrier –, a donné lieu à des échanges intéressants, les écrivains réclamant parfois leur droit de ne pas réfléchir sur certaines questions pour se consacrer entièrement à leur imaginaire. La dernière journée a été réservée à une table-ronde emblématique : « Littératures algérienne et subsaharienne : elles sont sœurs… et pourtant ! ». Ce pourtant-là avait toute son importance.