Natif du Congo-Brazzaville, Caya Makhélé vit à Paris depuis 1982. Il est à la fois fondateur, auteur de romans, de pièces de théâtre, de recueils de poésie et de nouvelles. Il est également l'éditeur de la maison Acoria. Dans cet entretien où l'humour était omniprésent, Caya Makhélé parle et revient avec beaucoup de nostalgie sur son parcours littéraire. Cet homme à la belle plume, qui participe aujourd'hui au symposium de la littérature africaine porte un regard optimiste sur la littérature africaine. Pourriez-vous revenir sur votre riche parcours ? Je dirais que j'ai rencontré la littérature quand j'étais en classe de 6e en travaillant sur un poème de Paul Eluard, Liberté. Un jour, pendant mon cours de mathématiques, durant lequel je m'ennuyais, j'ai commencé à écrire un poème en plagiant le poème de Paul Eluard. C'était une ouverture extraordinaire, car j'étais un enfant très timide. La découverte de la poésie et tous ses auteurs m'ont permis de me mettre en retrait en compagnie de la lecture. Je suis ainsi devenu un lecteur assidu. Une des surprises de ma vie, c'était au Congo. Mon père était gendarme. Nous habitions dans un camp militaire. A cette époque, les camps de gendarmerie, comme dans beaucoup de capitales africaines, étaient toujours à proximité des habitations des colons. Il y avait de jeunes Français qui repartaient dans leur pays et ont jeté les livres dont ils n'avaient plus besoin. Un jour, en rentrant chez moi, je trouve un tas de livres par terre, alors je me suis empresse de les ramasser et de les prendre à la maison. C'étaient des livres de philosophie. Il m'a semblé que le propriétaire de ces livres était parti après avoir passé les épreuves du baccalauréat. J'étais en 6e. Je me suis emparé de ces livres, alors que je ne comprenais rien à ce que je lisais. Par contre, ce qui me plaisait dans cette lecture, c'était justement cette sorte de combat avec moi-même, avec une langue qui n'était pas la mienne, et en même temps avec un univers que je découvrais à chaque fois. C'est comme cela que je me suis bâti dans l'écriture, en lisant des textes qui ne m'étaient pas destinés au départ. Ensuite, j'ai créé un cercle littéraire à Brazzaville qui réunissait de grands auteurs. J'ai préparé une capacité en droit. Je vivais dans un pays marxiste-léniniste où le pouvoir était très dur, discriminant, avec un parti et une pensée uniques. A partir de ce moment, j'ai été catalogué comme quelqu'un qu'il fallait surveiller de près. On demandait des volontaires. Je me suis engagé en tant que tel dans l'enseignement. Je me suis retrouvé à enseigner à des enfants de 6e l'histoire. Mais l'histoire qu'on m'avait demandé d'enseigner était autre que l'histoire marxiste-léniniste. J'étais dans l'obligation de suivre le programme, mais mes élèves se désintéressaient du cours. Je me suis dit alors : et si je mettais tout ce que j'enseignais sous forme de pièces de théâtre. C'est ainsi que j'ai commencé par le théâtre. J'ai donc pris le livre d'histoire et je l'ai adapté au théâtre. Avec les élèves, nous avons commencé à faire des représentations. J'ai était licencié au bout d'un an d'exercice à cause de cette liberté théâtrale.J'ai travaillé au Centre culturel de Paris au Congo. Au cours de mes nouvelles fonctions, j'ai été arrêté. Je suis arrivé dans une pièce, où la personne qui était venue m'accueillir était un ami que je voyais tous les jours, mais pas un instant je ne me suis douté qu'il travaillait au niveau des services de la police politique. Il a mené l'interrogatoire en me posant un tas de questions en rigolant et en jouant à l'ami de tous les jours. On m'a emmené directement à l'ambassade de France et proposé d'aller en France, car ma vie était en danger. Arrivé à Paris en 1983, vous n'avez eu aucun problème pour vous intégrer et gagner votre vie ? Quand je suis arrivé en France, j'ai été accueilli par des amis. Je n'ai pas eu de problème pour gagner ma vie, puisque j'ai continué à écrire. Je collaborais au quotidien Le Matin de Paris. Le directeur de la maison d'édition Autrement m'a demandé si j'acceptais d'être directeur littéraire. J'ai travaillé pendant trois ans dans cette prestigieuse maison. J'animais également des rencontres littéraires. Mes amis m'avaient soumis l'idée de créer une maison d'édition. J'ai commencé par lancer une revue, Equateur, qui ne parait plus. Ce n'est qu'en 1997 que j'ai créé ma maison d'édition Acoria. Votre maison d'édition est-elle ouverte à tous les auteurs ? Au départ, j'ai commencé à publier tous les auteurs africains et francophones qui n'avaient pas accès à l'édition auparavant. Le gros problème, c'est qu' en France les éditeurs sont récalcitrants devant les ouvrages portant sur le théâtre ou la poésie. C'est ainsi que les auteurs qui avaient des textes de poésie, de théâtre sont venus vers moi. La collection s'est ouverte à tous les auteurs. Au départ, c'était subjectif car c'étaient des amis qui avaient fait leurs preuves qui étaient publiés. La maison a commencé à exister véritablement quand les manuscrits ont commencé à arriver en grand nombre par la poste. Il a fallu alors constituer un comité de lecture, composé d'auteurs de la maison. Chaque auteur maison avait pour mission de me proposer au moins deux manuscrits originaux à publier dans l'année. Le travail de sélection s'est fait de cette manière-là. Aujourd'hui encore, je fonctionne de cette manière-là. Votre catalogue compte combien d'ouvrages ? Notre catalogue compte 215 titres entre romans, pièces de théâtre et essais. Quel est votre regard sur la littérature africaine ? Je suis persuadé que la littérature africaine est importante aujourd'hui. La question que je me pose souvent, c'est dans quelle mesure ces auteurs sont lus chez eux, dans leur pays d'origine, étant donné que si la consécration occidentale n'est pas arrivée, les auteurs sont considérés comme des auteurs mineurs alors qu'il y a de grandes œuvres qui restent inconnues et inédites. C'est dommage ! Pour moi, la littérature africaine a besoin d'institutions solides. Les auteurs sont nombreux. Ils sont là. Quand je parle d'institutions, c'est aussi les relais possibles, les associations, toute la chaîne de la diffusion du livre. Le livre a besoin d'être aidé. C'est une chose indéniable. Au lieu que ces aides aillent à des associations occidentales qui arrivent avec leurs projets en disant « voilà, nous on veut aider la littérature africaine », je ne vois pas pour quelle raison il faut axer ces aides sur les acteurs du livre sur le continent. Il faut également former les gens sur l'ensemble de la chaîne. Il y a le volet des mises en place des structures et des institutions, les aides à apporter. Je trouve très intéressante l'idée de l'Etat algérien d'avoir décidé, lors de ce Panaf', d'éditer 200 titres qui vont être publiés en 2000 exemplaires. Ce sont des œuvres qui seront mises dans les bibliothèques. Cette initiative est extraordinaire, même s'il y a un ou deux exemplaires dans chaque bibliothèque, ceux qui vont avoir accès à ce savoir-là n'y auraient jamais eu accès si cette initiative n'avait pas été prise. Ce genre d'initiative permet la découverte des auteurs. Le volet de la formation est très important, pour que le public réalise et sache ce qu'est la littérature dans la profession, qu'il y ait des gens capables de travailler dans les maisons de collections et en même temps, il faut protéger ces travailleurs dans tous les sens du terme et ce, dans un cadre légal et juridique. Le dernier volet, c'est d'assurer la possibilité d'une pensée. Et cela, c'est l'école qui doit permettre aux enfants d'acquérir des outils de réflexion. Il faut que nos auteurs rentrent au plus profond de l'école et ce, depuis la plus petite enfance jusqu'à l'université. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les auteurs se doivent également de traverser le continent. Vous imaginez que nous sommes un marché extraordinaire. Avec le nombre d'habitants que nous avons en Afrique, un livre devrait vivre sans problème. Un livre devrait au moins arriver à un million d'exemplaires de vente s'il circulait sur le continent. Il ne faut pas penser au marché occidental, car c'est un marché très restreint pour le livre africain. Les titres qui se vendent le mieux arrivent à peine entre 15 et 20 000 exemplaires. Quand cela arrive à 30 000 exemplaires, ça devient le best-seller du siècle, donc ce n'est pas ce marché-là qui nous intéresse, même s'ils ont le pouvoir d'achat, même s'ils sont habitués à lire, ce seront des livres étrangers. Notre marché doit être l'Afrique, ensuite le reste du monde. Il est indispensable que nos livres circulent en Afrique dans une liberté totale, et cela, avec l'aide des Etats qui peuvent mettre en place le dispositif. C'est tout de même une littérature qui a du mal à s'imposer ? C'est tout à fait normal que les auteurs s'imposent et arrivent, mais il ne faut pas fermer la porte à tous ceux qui expriment le désir d'écrire et de publier. Il faut leur donner leur donner cette possibilité, même s'ils ont un ou deux exemplaires. On ne peut pas les faire disparaître parce qu'ils ne sont pas des best-sellers. La pensée, l'intelligence, la culture pour qu'elles existent, il leur faut des auteurs qui renouvellent cette pensée, qui la remettent en question et qui l'interrogent, mais on peut l'interroger avec très peu d'exemplaires de livres. Et c'est là le rôle des institutions. Je revendique ce rôle des pouvoirs culturels imminents. Je suis persuadé qu'il faut qu'il y ait une politique du livre qui serait une politique de liberté de pensée et d'expression, en donnant les moyens de faire en sorte que cette liberté de pensée existe à travers le livre. La littérature africaine a toujours existé. Evidemment, on peut parler de littérature orale qui ne disparaîtra jamais. Il y a la transmission. Il y a cette littérature que les nouvelles langues d'occupation, d'échanges et de rencontres nous ont apportés. Ces littératures sont des littératures qui parlent de notre modernité, même lorsqu'elle a été écrasée et brimée par la colonisation. Cette modernité, ce n'est pas seulement la nôtre. Elle parle au reste du monde, au colonisateur. Elle lui dit : « Regardez, vous m'avez pris pour un animal. Regardez, je suis un être humain comme vous. » Cette littérature nous parle de nous mêmes. Nous nous sommes assenés sur la tête nos propres malheurs. Nous nous sommes massacrés les uns les autres. Cette littérature est là pour témoigner de tout cela. Aujourd'hui, il y a une émergence en Occident de la littérature africaine. Il y a des auteurs africains qui détiennent des prix littéraires importants, jamais décernés à des auteurs africains. Une des grandes victoires, c'était le prix Nobel de 1986 de Walter. C, premier Noir d'Afrique a obtenir le prix Nobel de littérature. Cela est une reconnaissance de la littérature africaine. Enfin dans le monde, dans les contrées des pays qui ne savaient pas que les écrivains d'Afrique existaient, l'on sait maintenant que le prix Nobel existe. Il existe aujourd'hui des auteurs africains au même niveau que tous les grands autres auteurs du monde. Je pense qu'il ne faut pas qu'on pense les littératures africaines en fonction de l'Occident. Toute la question est là. Comment faire pour que nous puissions produire, créer, en nous disant que cela va être le seul livre de la vie sur le continent. Quand nos grands-parents ont créé des contes, quand nos ancêtres ont bâti toutes les philosophies traditionnelles qui existent, ils n'ont jamais pensé aux cultures occidentales. Toutes ces valeurs nous les avons. Nous n'avons rien à envier aux autres cultures. On devrait en être très fiers. Nous sommes à l'heure de la mondialisation. Que connaissez-vous de la littérature algérienne ? Je connais beaucoup d'auteurs classiques dont Kateb Yacine, Rachid Boudjedra et Djamel Mati. Des projets en perspective ? D'abord, je m'occupe d'un magazine continental qui existe depuis une dizaine d'années. Nous avons mis en place un prix littéraire qui sera décerné à l'occasion du Symposium à Alger. Le magazine panafricain Continental a initié un prix littéraire. Il sera remis pour la première fois à Alger à l'occasion du Symposium des écrivains africains et sera décerné à 3 lauréats : un lauréat féminin, un lauréat masculin et un lauréat jeune espoir. Les lauréats recevront un trophée et un chèque de 1000 euros. Chaque trophée est une sculpture d'art réalisée par le Musée du Louvre et provenant de son fonds Afrique. Le jury sera constitué des membres de la rédaction du magazine. Il est à noter que ce prix se déroulera chaque année. Il sera décerné à l'occasion d'un événement important du continent.