C'est une pièce pleine d'énergie et d'entrain que donne à voir la nouvelle production du Théâtre régional de Béjaïa (TRB), dédiée à l'une des époques les plus fastes de l'ancienne capitale du royaume hammadite. Le spectacle, destiné au jeune public et mis en scène par l'Italien Luca Radaelli, est un hymne au dialogue entre les civilisations mais aussi à cette ville qui, au Moyen-Age, a su rayonner sur la Méditerranée grâce à la qualité du savoir qui y était prodigué et au melting-pot culturel qui était le sien à une époque marquée par la montée de l'obscurantisme sur le vieux continent. Leonardo Fibonacci (1170-1245), dont le père exerçait à la douane de la ville pour le compte de la République de Pise, a vécu une partie de sa jeunesse à Béjaïa où il s'est initié aux mathématiques et surtout où il a découvert les chiffres arabes qu'il vulgarisa plus tard dans le monde occidental. L'idée d'emprunter le personnage, emblématique par son parcours, à l'histoire et de le faire monter sur les planches, est vieille déjà de plusieurs années et les faveurs matérielles rendues possibles par la manifestation Alger, capitale de la culture arabe, ont pu enfin permettre au projet de sortir des tiroirs. Présenté en avant-première jeudi dernier devant un public nombreux, le spectacle, même s'il tombe par certains moments dans la béatitude d'un lyrisme un peu trop facile, ose des messages hardis d'ouverture sur l'autre ; quelques signaux qui, au stade actuel de notre production culturelle, ont leur pesant de sens, voire de courage. Comme cette scène où le Leonardo, fraîchement débarqué dans ce Béjaïa loué par les voyageurs et les étudiants, se laisse promener dans une cité où se côtoient sans exclusions, mosquées, églises et synagogues. Il y a aussi cette attitude du Cheikh — personnage symbolisant à la fois l'autorité religieuse et scientifique de la cité — qui, refusant la mort dans l'âme, l'union de sa fille musulmane avec l'étudiant chrétien, laisse ouverte la porte de « l'Idjtihad », pour qu'un jour peut-être la valeur de l'amour puisse transcender les frontières érigées par les dogmes du culte. La pièce, malgré le souci didactique de ses concepteurs, ne s'encombre point de la linéarité de l'histoire. Il ne faudra donc pas y chercher le parcours du mathématicien ou de quelconques références précises à l'époque. Sinon le spectacle, malgré les ratés techniques prévisibles pour une avant-première, aura aussi touché par son agilité, un ton qui, il est vrai, est favorisé par l'option délibérée pour un jeu dépouillé de gravité. Le décor, les accessoires et les quelques effets visuels introduits sont, par ailleurs, à saluer pour ce qu'ils laissent apprécier comme touches artistiques. Assez réussies également les quelques chorégraphies recréant, sur le ton idyllique, des facettes de la vie de ce Bougie du XIIe siècle, sa ferveur mystique qui n'entrait point en antinomie avec la poésie et la tolérance. Une pièce intéressante pour le jeune public en ce moment de douloureuses crispations identitaires. La générale de Leonardo Fibonacci à Buggia est prévue pour la première semaine de juin prochain à Alger.