Démentie avec force tout d'abord, écartée d'un revers de manche ou d'un sourire narquois, l'idée d'une "Opep du gaz" qui a été largement évoquée en août 2006 suite à la signature d'un accord entre Sonatrach et la compagnie russe Gazprom semble avoir fait depuis son chemin dans les esprits. Ce qui était une option irréaliste semble devenir petit à petit un choix tout à fait envisageable, et un mode d'organisation à concevoir au plus tard, dans les 15 années à venir, pour les scénarios les plus " sages ". Un délai qui reste lointain, mais qui pourrait très bien - au vu des évolutions rapides qu'a connu l'idée d'une Opep du gaz depuis quelques mois - rétrécir à vue d'œil. Il faut dire que l'option est séduisante pour ce qu'elle pourrait avoir comme retombées positives pour les producteurs, mais que ceux-ci semblent être freinés dans leur élan par la levée de boucliers observée en Europe depuis que l'idée a été lancée. Les pays exportateurs de gaz ne peuvent, en effet, passer à l'acte dans l'immédiat, le consensus sur la question étant impossible à réunir étant donné les pressions des pays consommateurs qui " crient au loup " et mettent en avant leurs craintes de voir une organisation gazière mettre trop à mal leurs intérêts et nuire à la consommation et à la croissance mondiale. Réunis le 9 avril au Qatar, pour la première réunion ministérielle en deux ans du "forum des pays exportateurs de gaz", (FPEG), les représentants des quinze pays riches en gaz ont finalement quitté la table des discussions sans prendre de décision concrète et ont, de plus, assuré leurs vis-à-vis que sont les pays importateurs de leur ferme volonté de continuer à coopérer en bonne entente avec eux. Plus concrètement, ils ont décidé de créer un haut comité technique, présidé par la Russie, hôte de la prochaine réunion, pour " étudier et évaluer les performances ". Même si apparemment les hôtes du Qatar n'étaient pas tous sur la même longueur d'onde, il est sûr que ce n'est certainement pas l'envie qui leur manquait d'aller jusqu'au bout de leurs desseins. Cela ne s'est pas fait, les uns et les autres ayant certainement gardé en vue, sauf peut-être pour les plus " offensifs " comme l'Iran ou le Venezuela, que le rapport de force n'était pas actuellement en leur faveur et que les conditions n'étaient pas non plus réunies pour aller de l'avant. " Nous devons travailler à une coopération plus étendue pour stabiliser le marché, pour donner confiance à nos acheteurs. Nous devons adresser un message très positif à nos clients : nous sommes avec vous, pas contre vous", a déclaré le ministre du Qatar, à l'issue de la rencontre de Doha dont le pays possède les troisièmes plus grandes réserves de gaz au monde. L'Iran et le Venezuela en chefs de file L'idée de transformer le forum informel des pays exportateurs de gaz créé en 2001 et représentant trois cinquièmes des exportations mondiales de gaz, en une organisation plus structurée a été relancée en janvier 2007 par l'Iran. Le Venezuela s'est déclaré lui aussi favorable à l'idée et s'efforce parallèlement de créer une organisation régionale avec la Bolivie en Amérique latine. En Algérie l'idée a d'abord été rejetée plusieurs fois de suite par le ministre de l'Energie et des Mines, avant qu'une nouveauté de la diplomatie énergétique algérienne introduite par le président Abdelaziz Bouteflika ne vienne changer la donne. Dans une interview accordée, le 14 mars 2007, au journal espagnol El Pais, Bouteflika déclare que " l'Opep du gaz mérite examen ". Estimant qu'il ne faut pas " rejeter a priori " la proposition iranienne. Bouteflika a donné en fait le feu vert pour que l'Algérie examine et discute avec tous " les intéressés " de l'éventualité de la création d'une organisation gazière des pays exportateurs. Le ministre de l'Energie et des Mines, M. Chakib Khelil, s'est ensuite à nouveau exprimé sur la question en se ralliant cette fois-ci aux propos du président Bouteflika. " On pourrait créer une Opep du gaz dans la mesure où des pays producteurs sont intéressés par cette idée ", a-t-il notamment déclaré. Après ce changement notable de " stratégie diplomatique " les événements ont semblé s'accélérer et les informations se sont fait beaucoup plus insistantes quant à la volonté de cinq pays producteurs (l'Algérie, la Russie, l'Iran, le Qatar et le Venezuela) d'avancer leurs pions de plusieurs cases sur l'échiquier gazier mondial. Une offensive qui est restée somme toute très mesurée, mais qui pourrait s'imposer, à moyen ou long terme aux pays consommateurs et les mettre devant le fait accompli. Après " la non décision " du forum de Doha, Chakib Khelil a indiqué que la prochaine session du Forum prévue à Moscou en 2008 permettra "d'identifier les modalités de développer et d'organiser le marché du gaz". L'échéance est ainsi rallongée, mais l'idée n'est pas tout à fait écartée, le délai étant propice au contraire aux rapprochements des points de vue. Il permettra aussi de soupeser les avantages et les inconvénients de l'option. Celle-ci crispe en tous cas les importateurs européens qui importent plus de la moitié de leur gaz et qui redoutent l'hypothèse d'une organisation qui pèserait, au même titre que l'Opep sur les prix et les approvisionnements. L'AIE entretient les craintes L'inquiétude est entretenue aussi par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) - plutôt proche des thèses des pays consommateurs - qui a averti en février 2007 qu'une Opep du gaz " réduirait la demande et affecterait les producteurs. " Franchement dissuasives les analyses livrées par l'AIE montrent que " les caractéristiques du marché du gaz rendent un cartel fonctionnant sur le modèle de l'Opep " difficile à concevoir " en raison notamment de l'impossibilité de modifier brusquement les prix, les transactions se faisant sous forme de contrats à long terme (15 ou 20 ans). De leur côté, les pays producteurs - qui ont précisé à l'issue de la réunion de Doha qu'ils allaient continuer à examiner la question des prix du gaz - estiment le prix du gaz bien en deçà de sa valeur. Pour y remédier ils veulent engager une réflexion sur le sujet afin d'arriver à une réévaluation des cours. Chakib Khelil, le ministre de l'Energie et des Mines, a ainsi déclaré en marge de la réunion de Doha que l'Algérie allait proposer de " mener une étude sur la tarification du gaz ", estimant que le gaz était " sous-évalué ". Des positions qui laissent transparaître, malgré des positions diplomatiques prudentes, comme une volonté d'organiser l'offre et la demande gazière et d'influer sur les prix, en profitant de certaines clauses concernant la révision des prix incluses dans les contrats à long terme par exemple pour sauvegarder les intérêts des quinze producteurs qui fournissent la deuxième source d'énergie dans le monde.