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Responsabilité sociétale des professions réglementées et prévention du blanchiment (1re partie)
Publié dans El Watan le 22 - 04 - 2007

La loi du 6 février 2005, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, oblige des personnes physiques et des organismes, tous qualifiés assujettis par la loi, à se transformer en informateurs de la cellule de traitement du renseignement financier.
Ces assujettis doivent déclarer leurs soupçons de blanchiment et/ou de financemenrt du terrorisme.L'objet de cette contribution est de tenter d'analyser la portée de l'obligation de dénonciation à l'égard de nombreuses professions réglementées et de suggérer, sur une base critique de la loi, quelques issues. La référence à la profession de l'avocat n'exclut pas ses nombreuses similarités avec d'autres professions.
1. Définitions préalables
Avant d'aborder le sujet proprement dit, il est important de rappeler quelques définitions retenues par la loi.
a) La cellule de traitement du renseignement financier (ci-après CTRF) est un établissement public créé sur recommandations du groupe d'action financière et du FMI. Elle est composée de six membres, dont un président, tous désignés par décret présidentiel pour un mandat de quatre années, renouvelable une seule fois. Cette cellule reçoit les déclarations de soupçons qui lui seront soumises, les traite, requiert des organismes publics et privés tout document, information et autre élément nécessaires à ses missions, s'oppose à titre conservatoire à l'exécution de toute opération suspecte et/ou ordonne le gel des avoirs d'origine douteuse et saisit le parquet en vue des poursuites judiciaires.
b) Les assujettis sont les banques et établissements financiers, les services financiers d'Algérie Poste, les autres institutions financières apparentées, les compagnies d'assurances, les bureaux de change, les mutuelles, les paris et jeux et les casinos. La loi ajoute aussi toute personne physique ou morale qui, dans le cadre de sa profession, conseille et/ou realise des opérations entraînant des dépôts, des échanges, des placements, conversions ou tout autre mouvement de capitaux, notamment les professions libérales réglementées, particulièrement les avocats, les notaires, les commissaires-priseurs, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les courtiers, les commissionnaires en douanes, les agents de change, les intermédiaires en opérations de bourse, les agents immobiliers, les entreprises d'affacturage ainsi que les marchands de pierres et métaux précieux, d'objets d'antiquité et d'œuvres d'art.
c) L'article 4 définit ainsi le terme « fonds » : biens de toute nature, corporels ou incorporels, notamment mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, et des documents ou instruments juridiques sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui attestent un droit de propriété ou un intérêt sur ces biens, y compris les crédits bancaires, les chèques de voyages, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit.
d) Le terme blanchiment tire son origine de la pratique développée aux USA à l'époque de la prohibition consistant, pour la criminalité organisée, à acquérir des laveries automatiques et des entreprises de nettoyage de voitures dans le but de mêler les profits légaux obtenus aux recettes provenant du crime. Le blanchiment est un crime puni, depuis 2004, par le code pénal. Est considéré comme blanchiment au sens de la nouvelle loi (article 2) :
La conversion ou le transfert de biens dont l'auteur sait qu'ils sont le produit d'un crime, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens ou d'aider toute personne impliquée dans l'infraction principale à la suite de laquelle ces biens sont récupérés à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
la dissimulation ou le déguisement de la nature véritable, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété des biens ou des droits y afférents dont l'auteur sait qu'ils sont le produit d'un crime ;
l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens par une personne qui sait, lors de leur réception, que lesdits biens constituent le produit d'un crime ;
la participation à l'une des infractions établies conformément au présent article ou à toute autre association, conspiration, tentative ou complicité par fourniture d'une assistance, d'une aide ou de conseils en vue de sa commission. Le blanchiment nécessite la réalisation de trois phases : celle du placement, des montages financiers complexes et finale de la réintégration des fonds ainsi lavés au marché légal ;
est considérée comme infraction de financement du terrorisme au sens de la loi (article 3) : « Tout acte par lequel toute personne, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds dans l'intention de les voir utilisés en tout ou en partie en vue de commettre des infractions qualifiées d'actes terroristes ou subversifs selon les articles 87 bis à 87 bis 10 du code pénal. »
2. L'obligation légale principale est la déclaration de soupçon
La loi met à la charge des assujettis plusieurs obligations : vérification de l'identité du client, enregistrement des renseignements sur toute manipulation de fonds, déclaration éventuelle de soupçon de blanchiment et/ou de financement du terrorisme et, dans ce cas, sursis à la réalisation de l'opération pendant 72 heures dans l'attente de l'ordre d'une juridiction. Cependant, l'obligation formelle de s'assurer de l'identité et de l'adresse du client ne pèse pas, par inadvertance du législateur, sur les professions réglementées, et est réservée aux banques, établissements financiers et autres institutions financières apparentées. Par contre, tous les assujettis sont tenus, ex officia, à la déclaration de soupçon s'ils ont des raisons de penser qu'elle est justifiée. Signalons, d'abord, que la loi punit déjà le recel tout comme la non-dénonciation de malfaiteurs. C'est donc une obligation particulière que l'article 20 de la loi de février 2005 met à la charge de toute personne physique ou morale qui, dans le cadre de sa profession, conseille et/ou réalise des opérations entraînant des dépôts, des échanges, des placements, conversions ou tout autre mouvement de capitaux, de déclarer à la cellule CTRF toute opération lorsqu'elle porte sur des fonds paraissant provenir d'un crime ou d'un délit ou semblant être destinés au financement du terrorisme. La déclaration doit être faite, contre accusé de réception, sur un modèle réglementaire, même s'il a été impossible de surseoir à l'exécution des opérations ou même postérieurement à leur réalisation. Elle doit aussi être faite à l'insu du client et/ou du bénéficiaire des opérations dès qu'il y a soupçon.La loi ne spécifie pas les critères de suspicion ; l'assujetti a donc un devoir de vigilance à chaque fois que son activité professionnelle concerne des opérations ayant, en raison de leur caractère spécial ou complexe, un rapport possible au blanchiment et/ou au financement du terrorisme. L'obligation de dénonciation est assortie de deux sanctions. L'assujetti est puni (article 32) par une amende de 100 000 DA à 1 000 000 DA s'il s'abstient, sciemment et en connaissance de cause, d'établir et/ou de transmettre la déclaration de soupçon prévue par la loi, sans préjudice de peines plus graves et de sanction disciplinaire. Il est aussi puni par une amende de 200 000 DA à 2 000 000 DA sans préjudice de peines plus graves et de toute autre sanction disciplinaire (article 33) s'il porte, sciemment, à la connaissance du propriétaire des fonds ayant fait l'objet de sa déclaration ou lui communique des informations sur les suites qui lui sont réservées. Logiquement, après déclaration de soupçon, l'assujetti doit surseoir aux opérations dénoncées, car il/elle est légalement tenu au respect des mesures conservatoires édictées par la loi, dont l'article 18 prévoit que si l'accusé de réception de la déclaration de soupçon n'est pas assorti de mesures conservatoires, ou si aucune décision du président du tribunal d'Alger, ou le cas échéant du juge d'instruction saisi, n'est parvenue au déclarant dans le délai maximum de 72 heures, celui-ci peut exécuter l'opération objet de la déclaration. Au cas où le client subit une perte en raison du fait que l'assujetti n'a pas engagé la transaction en temps opportun du fait de ses soupçons, lesquels s'avèreront infondés, il/elle ne peut être poursuivi ni au pénal ni au civil (article 24 de la loi de 2005). Ce sera l'Etat qui sera responsable de cette perte. De même, l'assujetti dénonciateur ne sera pas responsable, ni civilement ni pénalement, des conséquences de sa déclaration – fondée ou infondée – de soupçon.
3. Conditions de l'existence de l'obligation
Les professionnels ne sont concernés par la législation contre le blanchiment et le financement du terrorisme que si certaines conditions sont cumulativement réunies.
a) Malgré le style généraliste utilisé par la loi, ne seront concernés que les « professionnels ». La loi ne concerne donc ni les clercs d'avocats et de notaires, secrétaires de comptables, assistants ou autres collaborateurs. Elle ne distingue pas entre avocats, juristes d'entreprise et avocats stagiaires. Cette remarque vaut pour tous les assujettis concernés hormis les banques et autres établissements et institutions financiers. Cependant, tout employeur peut être tenu responsable du fait de son préposé selon un principe de droit civil, d'où il suit que tout professionnel concerné doit, au moins par devoir, faire diligence pour que ses stagiaires, employés et collaborateurs soient informés des obligations légales et veiller à les respecter.
b) L'autre condition est, d'une part, qu'il doit s'agir d'une relation de clientèle telle que définie par la loi, et, d'autre part, que cette relation porte sur des opérations de fonds (transaction, gestion...). Qualifier quelqu'un de client n'est pas toujours aussi évident alors que la loi ne trouvera application que dans un rapport de « clientèle ». Ceci a pour conséquences, d'un côté, d'exclure pour l'avocat l'application de la loi lorsqu'il s'agit du contradicteur, ainsi que toute autre personne que ledit avocat contacte pour le compte de son client, comme les débiteurs, ou les acheteurs d'une propriété du client par exemple. Dans une relation de travail en groupe ou en sous-traitance entre l'avocat et autres experts en rapport avec une affaire concernant le même client, la relation de l'avocat avec ces professionnels n'est pas une relation de clientèle. D'un autre côté, la loi ne s'applique pas dans des situations où le rapport de clientèle n'est pas encore établi. Il n'y a client que si le rapport entre les parties est basé sur un contrat permettant à l'avocat d'exercer son mandat, ou sur une désignation d'office acceptée dans le cadre de l'assistance judiciaire. Illustrons cela par un exemple : un avocat (notaire, expert-comptable...) est appelé au téléphone par une personne qui n'est pas cliente de son cabinet, mais qui souhaite lui confier son affaire en demandant son aide pour une transaction. Cette personne raconte les éléments de la transaction et comment elle sera financée. Sur la base des informations ainsi obtenues, il/elle ne désire pas prendre l'affaire et le fait savoir immédiatement avant de poser son téléphone. Dans cette situation, on ne peut parler de relation de clientèle. Un avocat qui soupçonne sa relation dès l'analyse préliminaire de l'affaire présentée refusera le client potentiel, car il n'est plus apte à rester son avocat et s'abstiendra de dénoncer, car il n'a pas contracté une relation de clientèle.
c) Lorsque le rapport de clientèle existe, la loi ne met d'obligation à la charge des professionnels assujettis que si ce rapport inclut pour ce professionnel de conseiller et/ou réaliser des opérations entraînant des dépôts, des échanges, des placements, conversions ou tout autre mouvement de fonds, tels que définis par la loi, laquelle doit, en raison de sa nature pénale, être étroitement interprétée. Ceci signifie qu'en dehors de ces prestations, aucune obligation n'existe. Le but et la nature de la relation avocat/client sont : défense, représentation avant, au cours et après un procès, également lorsque l'avocat évalue le problème juridique du client avec ou sans rapport à un procès, notamment lorsque l'avocat conseille, propose ou conduit des alternatives à l'action judiciaire, en cas d'arbitrage ou de médiation.L'avocat est, dans ces cas, exempt de l'obligation de dénonciation car il/elle n'aide, ni ne planifie ou n'exécute une transaction. Signalons que l'avocat est déjà soumis à un devoir professionnel résultant de la loi du 8 janvier 1991 portant organisation de la profession d'avocat, qui l'oblige à ouvrir un compte bancaire où seront logées les opérations portant sur les biens du client. Cette règle (maniement de fonds par l'avocat) remonte à la période coloniale (décrets du 10 avril 1954 et du 30 novembre 1956). Le bâtonnier autorise les avocats représentant légalement les parties à procéder aux seuls règlements pécuniaires liés à la procédure dont ils ont la charge. Avec cette autorisation, l'avocat doit se faire ouvrir un compte bancaire ou postal réservé exclusivement à ses opérations professionnelles. Cette loi, combinée à l'article 6 de la loi et l'article 2, alinéa 2 du décret exécutif 05-442 du 14 novembre 2005, selon lequel tout paiement d'un montant supérieur à 50 000 DA doit être effectué par les moyens de paiement à travers les circuits bancaires et financiers, a pour effet d'assurer la transparence des opérations initiées par l'avocat pour le compte des clients.
4. Discussion critique et propositions
a) Nous avions réagi à cette loi qui attribue à l'avocat une position inattendue et antagonique à son statut de gardien indépendant du principe de présomption d'innocence, car l'incompatibilité entre le métier d'indic de l'administration et d'avocat tenu au secret professionnel mine tant les droits de la défense que la garantie du procès équitable, le droit à la vie privée, voire la sécurité juridique (voir sur le website : www.Iawhouse.biz). L'Union nationale des barreaux algériens n'a pas pris à cette occasion de position à l'égard de cette loi ni même de mesures spéciales assurant son application correcte, alors même que les instances ordinales doivent, dans le but d'éviter à leurs membres de s'exposer à des risques sérieux liés à leur clientèle, veiller à observer des normes internes portant sur les précautions à prendre à l'égard des mouvements de fonds et des transactions anormales, atypiques ou inhabituelles pour déceler les types d'opérations à dénoncer. Cela peut s'expliquer par le fait que le risque ordinaire de blanchiment est globalement restreint aux opérations complexes d'entreprises et de transfert international de fonds, activités réservées à une minorité de professionnels, étrangers pour la plupart. Une lecture attentive et plus sereine de la loi et des textes d'application, ainsi que la volonté exprimée du président de la République de donner à l'avocat le statut qui doit être la sien dans la société nous conduisent à nuancer notre premier propos.D'ailleurs, l'initiative algérienne s'inscrit dans le cadre des obligations internationales du pays, qui a ratifié plusieurs conventions internationales et régionales. ( A suivre)
L'auteur est avocat


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