L'image est restée gravée dans la mémoire du monde : armé de son seul instrument, jouant du Bach au pied du Mur de Berlin. C'est l'une des images fortes qui restera du grand violoncelliste et chef d'orchestre, Mstislav Rostropovitch, qui vient de mourir à l'âge de 80 ans. Défenseur des droits de l'homme et des dissidents, déchu de sa nationalité soviétique dans les années 1970, après avoir hébergé Alexandre Soljenitsyne, le musicien souffrait d'un cancer de l'intestin. Celui que tous ses amis appelaient « Slava » était revenu en Russie, le mois dernier, après avoir vécu des années durant dans la capitale française. Le président Vladimir Poutine a qualifié la mort de Rostropovitch de « grande perte pour la culture russe », et a présenté ses condoléances à ses proches, selon les agences de presse russes. Considéré par beaucoup comme le plus grand violoncelliste vivant, Mstislav Rostropovitch s'était exilé d'URSS avec sa femme et leurs deux filles en 1974, après avoir hébergé chez lui pendant quatre ans le plus célèbre des dissidents, Soljenitsyne, l'auteur de L'Archipel du Goulag. Quatre ans plus tard, le musicien et son épouse, la cantatrice Galina Vichnievskaïa, ex-grande diva du Bolchoï, étaient déchus de leur nationalité soviétique. Ils ont été réhabilités en 1990 par Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l'URSS. L'année précédente, Rostropovitch avait ému le monde entier quand, armé de son seul violoncelle, il était allé jouer Bach au pied du Mur de Berlin, le 11 novembre 1989, deux jours après la chute de ce symbole de la guerre froide et de la division de l'Europe. Mais depuis qu'il n'était plus soviétique, « Rostro » n'avait jamais voulu acquérir de nouvelle nationalité, préférant rester apatride car ainsi « citoyen du monde ». Parmi ses élèves devenus à leur tour de talentueux violoncellistes figurent Jacqueline du Pré, Mischa Maïsky, Natalia Gutman, David Geringas, Han-Na Chang ou encore David Finckel. Né à Bakou, dans la République soviétique d'Azerbaïdjan, le 27 mars 1927, « Slava » montre de grandes aptitudes musicales dès son plus jeune âge. Son père enseigne le violoncelle et sa mère, une pianiste accomplie, l'initie au piano dès quatre ans. Pianiste et compositeur compétent, il décide de se consacrer au violoncelle, auquel il s'initie à partir de huit ans. En 1943, il entre au Conservatoire de Moscou, où il progresse rapidement. Le Philharmonique de Moscou l'invite à jouer à 19 ans. Alors que sa carrière n'en est encore qu'à ses débuts, il se voit accorder un privilège rare pour un citoyen soviétique : celui de pouvoir se rendre à l'étranger. Sergueï Prokofiev, Dmitri Chostakovitch et le Britannique Benjamin Britten, un proche ami, composent tous pour lui. Britten écrit la partie soprano de son War Requiem en pensant tout particulièrement à Vichnevskaïa, que Rostropovitch a épousée en Pologne en 1955. Devenu professeur au Conservatoire de Moscou en 1960 - à un âge record pour l'époque en URSS - le violoncelliste reçoit de nombreuses distinctions, dans son pays comme à l'étranger.