La salafiya (le retour au Coran et à la Sunna) est-elle synonyme de violence ou est-elle elle-même victime de cette violence, née de son interprétation erronée par certains courants islamistes ? Une question importante à laquelle a tenté d'apporter une réponse Mohamed Salah Ramadane, un haut cadre des affaires religieuses, dimanche, à l'invitation du Haut Conseil islamique (HCI). Le parterre d'étudiants et de hauts cadres du HCI est resté sur sa faim après la conférence, du fait des difficultés d'audition de Mohamed Salah Ramadane vu son âge avancé (94 ans). Exposée en 1989 au Maroc, lors d'une rencontre internationale sur ce thème, la conférence intitulée « Les pôles de la salafiya au Maghreb » est articulée beaucoup plus autour de l'histoire des grandes références de cette idéologie depuis l'époque du Prophète, mais aussi « leur rôle dans la préservation de l'Islam du charlatanisme et de la régression, notamment sous les occupations, pour en faire une religion de tolérance et d'ouverture sur le monde ». L'orateur commence par lever l'équivoque et parlera de « la salafiya islamiya et non de la salafiya des ennemis de l'Islam qui prône la violence et le terrorisme ». A ce sujet, il explique que le vrai sens de cette idéologie est le retour d'abord au Coran puis à la Sunna (le comportement du Prophète) et ses adeptes ont marqué les cinq pays du Maghreb – l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye. « La salafiya est celle pratiquée durant les trois premiers siècles de l'Islam tel que expliqué dans les textes, à savoir la période du Prophète, de ses compagnons et des califes (…) La conviction peut augmenter ou régresser selon les époques, comme dans toutes les religions. Néanmoins, l'attachement à l'authenticité permet de maintenir la croyance, telle que prônée par le Prophète et non pas telle que pratiquée par ceux qui combattent l'Islam au nom de l'Islam. » « La salafiya, synonyme de tolérance » Le conférencier estime que chaque siècle a connu un homme qui vient donner une nouvelle vie ou une nouvelle vision à la religion pour lui permettre de s'adapter à l'époque et à l'environnement. Il revient au XIIe siècle et rappelle les différentes guerres qui ont conduit, par exemple, à la destruction de Baghdad par Gengis Khan, ou encore les invasions des Tartares, des croisés et plus récemment des colonisateurs, pour arriver au charlatanisme né du désastre de l'ignorance ou de la pauvreté. « Les réformateurs religieux apparus durant ces étapes comme El Mokrani ou Ibn Badis en Algérie, El Khatabi au Maroc, Omar El Mokhtar en Libye, pour pousser à une renaissance de la religion, ont été forcés à l'exile, tués, accusés de traîtrise et de mercenariat. Kheireddine Ettounsi, très touché par les affres du colonialisme en Algérie, opte pour un équilibre entre le modernisme occidental et la religion et consacre un ouvrage sur la religion et la patrie, apprécié par les adeptes de la Zeitouna, mais également en Turquie », déclare Salah Ramadane, ajoutant que le thème reste d'actualité et mérite une profonde explication. Mauvaise interprétation de l'islam Le conférencier conclut : « La salafiya n'a jamais été synonyme de violence, mais plutôt de tolérance et d'ouverture sur le monde. C'est grâce à ce courant que l'Islam a survécu au Maghreb et ailleurs. Après avoir été détruite par Gengis Khan, Baghdad a été reconstruite par son 6e petit-fils Hulagu après avoir embrassé l'Islam. Tout comme Timur Lang a construit Samarkand et Boukhara, deux villes qui incarnent le symbole de la civilisation musulmane. » Le débat suscité autour de la conférence a malheureusement été très court. Salah Ramadane ne pouvait entendre les questions et de ce fait n'a pu donner plus de détails. Ce sont les intervenants, notamment les cadres du HCI, qui ont enrichi le thème. Dr Amar Talbi note que l'Islam a connu d'importants salafistes, avant même Ibn Taymiya, qui a vécu au XIIe siècle. Il cite le cas le plus connu, Abou Omar Ibn Ab Al Barr, alors que l'ancien ministre de la Culture, Mohamed Larbi Demagh El Atrous, estime qu'il n'y avait pas de salafistes algériens, marocains ou tunisiens, mais plutôt maghrébins, parce que les frontières à cette époque n'existaient pas. Dr Mohamed Bourezag rappelle par ailleurs qu'il est important de revenir sur les écrits d'Ibn Taymiya et de l'imam Ibn Hanbal pour comprendre que la salafiya n'a « jamais prôné d'apostasier les musulmans, de légitimer leur mort et la confiscation de leurs biens. Ce courant a dévié de l'Islam pour endoctriner des pans entiers de la jeunesse à l'aide de fetwas appelant à la violence (…) Pour faire face à cette mouvance, il faut revenir aux bases de l'Islam qui sont à l'opposé de cette idéologie. » Pour sa part, Abderrahmane Chibane estime qu'il est vital aujourd'hui de se référer à la vraie définition de la salafiya, donnée, selon lui, par deux versets du Coran, de sourate Youssef. « Ce verset dit que le vrai salaf est de revenir à la compréhension du Coran, puis à la Sunna. Or, aujourd'hui, il y a une incompréhension du livre sacré, sinon comment expliquer que des jeunes puissent-ils croire qu'en se transformant en bombe humaine, pour se faire tuer et tuer de nombreuses autres victimes, ils vont mourir en martyrs et, de ce fait, ils vont se rapprocher de Dieu ? La deuxième base sur laquelle repose la salafiya, c'est la manière avec laquelle la religion est propagée, marquée par l'intelligence, la tolérance et le dialogue et non pas avec des armes ou des voitures piégées. » Dr Cheikh Bouamrane, président du HCI, affirme de son côté que la salafiya est synonyme « d'authenticité, sans lui enlever la modernité parce que le présent se nourrit du passé pour aller vers l'avenir. La salafiya, c'est ce courant qui a hissé l'Islam vers l'âge d'or, comme celui qu'a connu l'Andalousie, celui qu'a prôné Ibn Rochd par exemple ». Pour lui, la mauvaise interprétation de l'Islam et le système de gouvernance dans les pays musulmans sont à l'origine de l'apparition de ce courant extrémiste qui porte atteinte à l'Islam et aux musulmans. Dr Bouamrane a promis d'ouvrir le débat sur la question sous tous ses angles, du fait qu'il a senti une forte demande de compréhension de ce phénomène de la violence islamiste, devenue une menace mondiale en général et arabo-musulmane en particulier. A signaler que Salah Ramadane, né en 1914 à Kantara (Batna), a côtoyé Ibn Badis, puis cheikh El Ibrahimi et a milité durant toute son enfance dans le scoutisme, avant d'intégrer le FLN en 1953, un an avant le déclenchement de la guerre de libération. Il est désigné directeur des affaires religieuses en 1962, membre du HCI en 1980, conseiller au ministère de la Culture et de la Communication avant de terminer professeur d'éducation religieuse au lycée Hassiba Ben Bouali à Kouba (Alger). Il a écrit de nombreux ouvrages, poèmes, pièces théâtrales et textes littéraires arabes.