Rencontrer le célébrissime journaliste américain du Washington Post, Bob Woodward, est assurément une chance inouïe. Ecouter son speech truffé d'ironies et de détails croustillants sur la personnalité du président Bush et sa relation presque charnelle avec la guerre est tout simplement un immense plaisir. Washington. De notre envoyé spécial Ce journaliste hors pair âgé de 64 ans, qui fut à l'origine de la démission forcée de l'ex-président Richard Nixon en révélant, en 1972, l'espionnage du siège du parti démocrate par l'administration républicaine dans le fameux scandale du Watergate, aurait voulu pondre un « Irakgate » qui ferait tomber Bush. Mais il reconnaît que le personnage est « quasiment atypique ». La preuve ? « Dans le dernier entretien qu'il m'a accordé (le président Bush, ndlr), je lui ai posé 500 questions ! C'est hallucinant de voir comment il s'arrange pour fuir les questions directes et les sujets qui le fâchent. Deux petits mots vagues et il vous invite habilement à changer de thème. » Du haut de ses hauts faits de plumes, Mister Bob reconnaît devant des journalistes venus du monde entier qu'il est difficile de faire lâcher le morceau à George Bush dès qu'il s'agit de ses choix politiques. « Il a une notion bizarre du devoir. Je pense que c'est sa conviction de faire son devoir qui explique son refus obstiné de changer de cap dans la guerre qu'il mène en Irak, contre vents et marées. » Bob Woodward est d'autant plus étonné par les « convictions » de son président que la Constitution des Etats-Unis n'évoque pas ce « devoir » de libérer les pays étrangers. « Avez-vous demandé conseil à votre père avant de déclarer la guerre contre Saddam Hussein ? », interroge l'icone et le « Lincoln » du journalisme américain. Réponse du président Bush : « Moi, je m'en remets à un père plus puissant que mon père, c'est le bon Dieu ! » Irakgate Pis encore, Bush n'a même pas jugé utile d'associer ses propres conseillers à la prise de décision d'aller en guerre. Et à Woodward de révéler aux journalistes la petite phrase assassine avec laquelle il avait balayé les dernières illusions de son ex-secrétaire d'Etat, Colin Powell, qui aura vainement tenté de l'en dissuader : « Inutile, je sais ce qu'il en pense. » Curieusement, même Donald Rumsfeld, son ex-secrétaire à la Défense, n'était pas chaud pour l'occupation de l'Irak, à en croire le rédacteur en chef adjoint du Washington Post, contrairement aux certitudes des médias qui le dépeignaient comme le bras droit de Bush. Sa démission successive à celle de son collègue Powell est du reste la preuve parfaite que le locataire du bureau ovale « prenait ses décisions tout seul », expliquera Woodward. « Il est juste de dire que le président Bush n'en fait qu'à sa tête », conclut-il. Bush, le grand manipulateur En prononçant cette sentence peu flatteuse sur le patron de la Maison-Blanche, le récipiendaire du fameux « Pulitzer prize » en 1973 se tourne vers l'Américano-Egyptienne Dina Habib Powell, l'adjointe de Condoleeza Rice, et lui lance : « You agree with me Dina ? » (Vous êtes d'accord avec moi Dina ?). Et à cette dernière de lui répliquer, tout sourire, par un « no comment ! ». Pour cause, Dina Powell « elle a démissionné hier du département d'Etat » a été la secrétaire personnelle du président Bush lorsqu'il était à la tête de l'entreprise pétrolière de son père au Texas. Et c'est lui qui l'a ramenée à la Maison-Blanche, avant qu'elle ne soit nommée par Condoleeza Rice dans son département. Cela étant dit, Bob Woodward est convaincu que George Bush est un personnage à part. Un président des Etats-Unis unique en son genre ! « Il faut d'abord comprendre George Bush pour juger sa politique et ses décisions », assène-t-il. Il suggère même qu'il a un instinct de guerrier. Son prochain livre ? Bush à la guerre, acte III, pour clore une trilogie pamphlétaire qu'il a commencée en 2002 et dont le deuxième livre – un best-seller – est paru l'année dernière. Bob Woodward reconnaît tout de même le talent de grand manipulateur à George Bush pour avoir réussi à mettre tous les médias de son côté. « Il y a eu un échec analytique des médias américains sur les conséquences de cette guerre. Nous avons cette fâcheuse manie de nous autodéfinir sans tenir compte du monde qui nous regarde. Nos médias ont versé dans l'idéalisme qui consiste à croire que les soldats américains allaient être véritablement accueillis en libérateurs à Baghdad. » Le constat amer de Bob Woodward sur Bush et les médias ne le rend pas pour autant moins pessimiste pour l'avenir, bien au contraire. « Il y a beaucoup de contradictions dans la politique étrangère des Etats-Unis. En 2008 et dans les années à venir, la guerre continuera malheureusement à dominer le débat politique », estime-t-il. Woodward rassure cependant qu'il sera difficile pour George Bush d'entrer en guerre contre l'Iran « parce que l'armée est déjà très occupée », lance-t-il mi-sérieux, mi-railleur. Bio express Bob Woodward est né le 26 mars 1943 dans l'Illinois. Après une post-graduation à l'université de Yale en 1965, il a servi comme attaché à la communication à la US Navy. Sa carrière de journaliste commencera au comté du Montgomery (Maryland) où il a travaillé une année comme reporter avant de rejoindre le Washington Post en 1971. Deux années plus tard, il reçoit le prix Pulitzer conjointement avec son collègue Carl Bernstein pour avoir révélé le scandale du Watergate. Depuis, Bob Woodward a gagné tous les célèbres prix du journalisme américain. Celui que ses collègues qualifient de « meilleur journaliste de tous les temps » est également un auteur prolifique. Il a écrit et coécrit pas moins de 11 best-sellers dont une trilogie consacrée à Bush et son rapport à la guerre. A 65 ans, cet immense journaliste au talent mondialement reconnu sévit encore en qualité de rédacteur en chef adjoint de son journal de toujours, le Washington Post.