Notre première rencontre avait eu lieu l'année dernière, lors du dimajazz à Constantine. J'étais littéralement tombée sous leur charme. Leur jeu sur scène était tout simplement incroyable. Et j'étais très impressionnée de les voir de près. Rien de bien extraordinaire, juste quelques échanges et des autographes, mais j'étais consciente de la chance que j'avais. J'étais loin de me douter que j'allais les revoir un jour... Et voilà que j'apprends la programmation de leur concert à la salle Ibn Zeydoun, dans le cadre de Assimajazz. Tout à fait entre nous, l'idée de les inviter chez moi m'avait tout de suite effleurée, mais ça me paraissait impossible. Je n'osais même pas formuler cette pensée. Tout s'est joué la veille de leur concert. L'idée s'est matérialisée très vite : le vendredi, tout est fermé, en dehors des hôtels, il est difficile de trouver un restaurant ouvert à Alger. De plus, les musiciens n'étaient là que pour 24 heures, ça aurait été triste pour eux qu'ils restent déjeuner à l'hôtel ! Bref, après quelques tractations en « haut lieu », tout était décidé, la machine était lancée. Tout juste le temps de penser au menu et de prévenir les amis et le président de Limma, Zoheir, sans qui rien n'aurait pu se faire. Le menu : la question qui tue ! C'est que au total, nous allions être une quinzaine, une véritable fiesta ! Le couscous était à éviter. Trop commun pour les artistes, ils l'ont certainement déjà goûté. J'opte pour la rechta que Césaria Evora avait bien aimée (même sans tabasco !). En dessert, des fruits frais et en salade. Devine qui vient déjeuner ! Le vendredi, réveil matinal, j'ai du pain sur la planche. J'attaque la rechta de pied ferme, décidée à faire une grande quantité pour rassasier mes invités de marque. J'angoisse un peu, mais ne laisse rien paraître. Je carbure à cent à l'heure, en un rien de temps, sauce et pâtes sont sur le feu. En même temps, je réfléchis aux petits détails, pour que tout soit parfait. Les dernières courses... voilà, c'est réglé ! L'espace... la maison est tout de suite reconfigurée : déplacement de meubles, rajout de tables et le tour est joué. Aux fourneaux, tout est en bonne voie. Quoique, la rechta peut être très capricieuse ! Enfin, les amis arrivent en premier. A temps pour donner un coup de main, je me sens déjà mieux ! En plus, ils ont pensé aux fleurs : la maison rayonne ! Lorsque, trois quart d'heure plus tard la sonnette retentit, le repas est prêt à 70%. Ils sont là mes hôtes de marque ! Nguyen Lê, Etienne M'bappé et toute la smala en chair et en os. L'aventure commence. Ils ont l'air gênés, presque intimidés, comme si les stars c'était nous ! Ma première réaction est de jeter un œil vers les mains d'Etienne M'bappé, il ne porte pas ses gants noirs, le célèbre accessoire qui a accentué le mythe de l'un des meilleurs bassistes de jazz au monde. Les quatre artistes se détendent très vite, l'ambiance est cool et l'environnement agréable. Aux regards qu'ils lancent aux fourneaux, je comprends qu'ils ont hâte de passer à table. C'est pas tout, mais ils vont devoir patienter un peu. En attendant, ils se servent des rafraîchissements et grignotent des cacahuètes, des chips et du gruyère. Le tout sur un fond musical savamment programmé. Des petits groupes se forment et je n'ai qu'une envie, c'est de papillonner de l'un à l'autre pour discuter avec chacun des musiciens. Là, c'est à moi de patienter ! Entre temps, Zoheir vient jeter un coup d'œil à la marmite et me dit en plaisantant que c'est insuffisant... Là j'ai vécu un grand moment de solitude ! Vous imaginez un peu la honte si l'un des invités me demande de le resservir !? Sans hésiter, j'ai rajouté un quatrième kilo de rechta pour le cas où... l'instinct nourricier qui prend le dessus. Cathy Renoir, la chanteuse du groupe (et talentueuse danseuse) s'approche avec curiosité. Elle essaie de comprendre comment se prépare la rechta qu'elle connaît vaguement. Ensuite, c'est au tour d'Etienne M'bappé de se rapprocher et de s'exclamer : « Ce sont des pâtes, comme celles des Italiens ! » On lui explique un peu la différence et, avec un grand sourire, il me précise qu'il aime toutes les pâtes, quelle que soit leur origine. N'guyen Lê est très réservé. Il regarde de loin mais ne pose aucune question. On s'empresse autour de lui, tout le monde veut discuter avec lui. Quant à Francis Lassus, le batteur, il n'a pas franchement l'air de s'intéresser au repas. Il converse avec tout le monde et semble tout simplement heureux d'être là. Hôtes de marque Le temps passe et vers 13h30 tout est fin prêt. Le repas est enfin servi... au grand bonheur des convives. C'est que nous étions tous affamés et à force de humer les vapeurs de la sauce et de la rechta, certains n'en pouvaient plus. On passe à table. Je croise les doigts en espérant qu'ils vont aimer... Ouf, ils aiment ! Je suis soulagée. La détente est totale. Je peux enfin discuter avec mes invités. Le hasard fait que j'ai Cathy Renoir à ma droite, Etienne M'bappé et Nguyen Lê, en face, un peu en biais. Francis Lassus au bout de la table, presque en face aussi. Le courant passe très vite avec la chanteuse. Elle se sent très proche de l'Algérie qu'elle a visitée à l'âge de 18 ans pour la première fois. Née en France, d'origine antillaise, on l'a prend souvent pour une Maghrébine, nous dit-elle. Ce qui nous lance sur le sujet de l'émigration, de l'intégration et de l'identité. Du côté de N'guyen Lê, ça parle musique. Il découvre à l'instant Tinariwen et demande quelques détails. Etienne M'bappé ne mange pas beaucoup, mais il me rassure, ça n'a rien à voir avec ma cuisine : « Je suis tout barbouillé de l'intérieur, j'ai eu quelques soucis d'estomac il y a quelques jours. » Francis Lassus mange avec appétit, il demande même une deuxième assiette de rechta. Ils finissent tous leur plat, mais ils sont rares à se resservir. Du coup, je me retrouve avec une grosse marmite entre les mains... Enfin, vaut mieux ça que la honte ! Les discussions continuent, cette fois-ci, sur fond de salade de fruits. Les « barbouillés » les préfèrent nature et entiers... Vers 15h, le boss se lève : N'guyen Lê rappelle tout le monde à l'ordre, les musiciens doivent faire leur balance. Juste le temps de nous signer des autographes sur les affiches de Assimajazz et voilà les quatre musiciens sur le pas de la porte. Et là, place aux embrassades et aux accolades, comme de bons vieux amis qui se connaissent depuis de longues années. Ils sont d'une telle gentillesse... et tellement simples. On s'imagine toujours que les vedettes ont la grosse tête et qu'ils snobent tous ceux qui ne sont pas de leur monde... à tort ! Retour à la réalité ! L'événement est fini. Il n'en restera que des souvenirs, des images, la bonne perspective d'un autre grand moment au concert et le souhait (partagé) de les réinviter d'autres fois. En attendant, je jette un coup d'œil aux autographes et c'est avec joie que je lis des « z'êtes merveilleux », de N'guyen Lê, « Enormes bises à vous, on vous aime », de Cathy Renoir... Un pur et grand bonheur !