La rencontre de football ayant opposé jeudi AS Bordj Ghedir et le ROC Ras El Oued a été le détonateur du ras-le-bol d'une population à bout. Ras El Oued (BBA). De notre envoyé spécial « Les incidents qui ont émaillé ce match ont été la goutte qui a fait déborder le vase », diront de nombreux citoyens qui ne décolèrent toujours pas. Hier, et après cinq jours d'affrontements avec les forces de l'ordre, le calme était précaire. Les citoyens de Ras El Oued, une ville située à 35 km du chef-lieu de la wilaya, mettent sur le tapis les différents maux et problèmes qui affectent la deuxième agglomération de Bordj Bou Arréridj, en 2007 elle ne dispose d'aucune unité industrielle. Une zone d'activité économique et une zone industrielle sont inscrites aux abonnés absents au niveau de la cité ayant enfanté cheikh El Bachir El Ibrahimi et bien d'autres figures nationales. En arrivant par le CW 64, l'unique voie donnant accès à la ville, on est accueilli par l'odeur de pneus brûlés. Les traces des échauffourées sont perceptibles sur les chaussées d'une localité qui panse ses blessures. Les travailleurs de la municipalité s'affairent à dégager les routes jonchées de pierres. Obligés de baisser rideau, cinq jours durant, les commerçants reprennent timidement l'activité. Les écoliers et lycéens ont repris leurs cours. Une partie de la masse juvénile lit les journaux alors que les forces de l'ordre veillent sur certains établissements publics « dévastés ». Avant de tâter le pouls des citoyens, un tour au niveau de certains édifices, ayant fait les frais de la colère, s'imposait. Le bloc administratif du lycée (ex-technicum) Bouadi Boussoualim a été brûlé. Les dossiers des élèves, des enseignants ainsi que les documents administratifs de l'établissement ont été « calcinés ». Tout comme l'annexe de l'inspection académique où des travailleurs déblayaient le reste des « papiers » brûlés et détruits par une foule déchaînée n'ayant pas, nous dit-on, épargné le centre de santé Saïd Bouhafs, ni les agences Sonelgaz et postale, saccagées et leurs mobiliers (micro-ordinateurs) pillés. Le décor est le même au parc communal où les manifestants ont brûlé un bus et volé de nombreuses mobylettes de leurs concitoyens mises à la fourrière. La ville qui offrait hier un visage désolant fait son bilan. Des 65 jeunes arrêtés, 16 sont encore en détention préventive. Les dégâts matériels, qui ne sont toujours pas évalués, sont énormes. L'on dénombre 50 blessés, dont une trentaine du côté des manifestants. « Tant que les jeunes arrêtés ne sont pas libérés et sans condition, la tension ne baissera pas. D'autant qu'ils sont tous issus de familles pauvres, les enfants pistonnés ont été quant à eux relâchés », souligne un groupe de jeunes ayant tout au long de la discussion insisté sur le mot « hogra », dont ils font, disent-ils, l'objet. « Nous sommes des citoyens à part entière. On exige le respect et un peu de dignité qui ne peuvent provenir que par le biais d'un poste de travail », rétorque Mohamed, un jeune disposé, à l'instar de bon nombre de ses concitoyens, à accepter n'importe quel boulot. « Pourvu que je gagne dignement ma vie » dira-t-il, avec un certain pincement au cœur. Ces événements dépassent de loin le cadre d'un match de football. Ils expriment le sentiment d'une jeunesse désœuvrée et livrée à elle-même. « Trouvez-vous normal qu'une ville de 80 000 âmes ne possède qu'un seul CFPA, et dépourvue de moyens de loisirs (maisons de culture, salle de cinéma, piscine) », diront en chœur nos interlocuteurs. « De nombreux universitaires se tournent à longueur de journée et d'année les pouces. Le CPE ou le préemploi n'est réservé qu'aux enfants de flen et felten », tenaient à préciser les citoyens qui enfoncent le clou. « Cette crise a été mal gérée par les autorités, le wali en premier n'a pointé le bout du nez que dimanche. Comme si Ras El Oued se trouvait à l'autre bout du monde », dira Abdelhamid, un citoyen d'un certain âge qui met sur le tapis l'enclavement de la localité. « La réhabilitation de la piste reliant Ras El Oued à Barhoum (M'sila) via Ouled Tebbane demeure au stade de bonnes intentions. Ce projet qui végète dans les tiroirs depuis des années sera d'un grand secours pour la ville qui ne profite pas de la manne pétrolière », martèle un autre qui revient sur le monde du travail qui n'augure rien de bon, et ce, depuis la dissolution du Syndicat intercommunal des travaux (SIT) et l'entreprise communale des travaux qui employaient plus de 1 000 ouvriers. « Les pouvoirs publics et les élus, n'ayant pas levé le petit doigt durant ces incidents, doivent tirer les conclusions qui s'imposent », diront les Ras El Ouediens, décidés à faire l'impasse du prochain scrutin, n'ayant fait l'objet, nous dit-on, d'aucun meeting ici. « Du moment que les récurrentes promesses et engagements des élus n'ont jamais été concrétisés, pourquoi alors voter. Il est donc préférable de s'abstenir rien que pour montrer notre courroux vis-à-vis des collecteurs de voix », soulignent nos interlocuteurs, qui avaient formé une délégation pour exposer leurs problèmes à Abdelaziz Belkhadem, de passage hier à Bordj où il a animé un meeting.