Petite fille très douée, Saliha Brahim Rahmani assemblait, collait, bidouillet robes, manteaux et jupes dans un esprit très couture. Sa mère, qui excellait à la fois dans la maille, la broderie et la couture, lui a appris la perfection de cet art. C'est de tout cela qu'est née sa passion pour la mode... et la décoration. Après avoir suivi des cours par correspondance, où elle a appris d'autres techniques, elle a commencé à habiller les personnes qui l'entouraient. Elle a continué en bricolant sa garde-robe avec beaucoup de goût. Ses couturiers de référence étaient, à cette époque, Yves Saint Laurent et Delacroix. Une fois mariée, Mme Saliha se retire quelques années pour mieux s'occuper de ses enfants et de son foyer. Cependant, elle tient à préciser, sous son regard tendre et ses yeux de couleur vert émeraude, qu'elle a continué à confectionner les habits de sa petite famille. « Comment s'arrêter soudainement quand on a la passion de la couture dans les veines », nous dit-elle. Dans les années 1970, elle est sollicitée par son ancienne clientèle. Une clientèle exigeante et connaisseuse. « Ce n'était pas facile, confie-t-elle, à l'époque de travailler librement, d'autant plus que la matière première n'était pas disponible sur le marché national. » Toutefois, elle avait ce privilège de ramener de beaux tissus de l'étranger pour faire de l'exclusivité. En 1980, sa cadence de travail sera des plus denses. Guidée par le besoin de s'émanciper et l'envie d'explorer sa propre créativité, elle intègre le milieu des ateliers pour exercer en tant que modéliste chez des concessionnaires de prêt-à-porter. Là, se souvient-elle, elle a pu former une jeunesse avide d'apprentissage et de persévérance. Selon elle, de nos jours, les ouvrières qualifiées et douées sont exploitées à outrance. Sur un ton presque navré, notre interlocutrice révèle que depuis quatre ans elle a levé le pied définitivement de la couture. Les conditions de travail et de santé ne sont plus les mêmes, ajouté à cela le changement de la demande de la clientèle. Des ingrédients qui ont poussé cette septuagénaire à changer d'horizon en gardant au fond d'elle-même les souvenirs qui ont jalonné sa longue carrière de couturière. « Il y a, insiste-t-elle, une nouvelle clientèle qui ne tient pas compte du long travail manuel fourni. En Algérie, la haute couture est parfois méconnue. Parfois, il y a des personnes qui font de belles choses, mais qui ne sont pas médiatisées. La création existe mais n'est pas suffisamment diffusée ». A la question de savoir ce que pense cette dame des défilés organisés occasionnellement dans la capitale, elle affirme que ce sont toujours les mêmes tenues traditionnelles qui sont exhibées au public. « Cela, dit-elle en connaissance de cause, ne se limite qu'au traditionnel, alors qu'il existe des doigts de fée cachées qui ne demandent qu'à éclore au parfum du jour. » Il est à noter que les tenues de Saliha ont déjà fait l'objet de deux défilés de mode. L'artiste avait d'autres priorités, et, à l'époque, il était coûteux de monter une telle manifestation. « Si la mode dans certains pays du monde occupe une place de choix, en Algérie, argue-t-elle, il n'y a pas de style propre à notre pays. » Ce sont plutôt des inspirations du moment et des saisons. La mode est un éternel retour avec un remaniement continuel au niveau de la coupe et de la forme. Saliha Brahim Rahmani, qui actuellement savoure les rendez-vous culturels, organisés ici et là à travers la capitale algéroise, estime qu'à son époque, il y avait une vision différente du vestimentaire. Cependant, sa plus grande fierté est de croiser dans la rue ou ailleurs ses anciennes clientes portant les tenues qu'elle a confectionnées voilà plus de trois ou quatre décennies... avec aucune usure du temps.