La badr qui a avancé le gigantesque crédit de 65 milliards de dinars, source de la crise, n'est pas dans le coup. Le recouvrement se poursuivait à une allure qui ne justifiait pas le recours au pénal. Alors, règlement de compte politique ? Enquête sur les dessous d'un scandale qui engage la moitié du préjudice d'El Khalifa Bank. L'arrestation de Abdelghani Djerar, le PDG du groupe Tonic Emballage, jeudi 3 mai, est-elle un règlement de compte politique comme le prétend Okba Djerar, le frère du PDG, ou une procédure juridique ordinaire arrivée à cette disposition ultime de la détention préventive ? L'approche comptable est impitoyable. Tonic Emballage n'arrivera jamais à rembourser le méga-crédit de 65 milliards de dinars accordé par Badr Bank dans les délais contractuels de cinq années. Ni d'ailleurs si on lui accordait deux fois plus de temps. Smaïl Mebarki, expert-comptable, a fait le calcul pour nous. « Tonic Emballage affirme avoir déjà remboursé 11 milliards de dinars. Si l'on intègre les intérêts, on peut considérer qu'il lui reste à payer 58 milliards de dinars environ. Si Tonic arrive à dégager une capacité de remboursement de 1 milliard de centimes par jour, en comptant 365 jours l'année, il lui faudra 15 années et 9 mois pour s'acquitter de toute sa dette vis-à-vis de la Badr. Or, pour libérer 3,65 milliards de dinars annuellement au poste des frais financiers en maintenant intactes les capacités de production, il faut avoir un résultat net trois fois supérieur. Nous sommes au-delà des 10 milliards de dinars de bénéfice net par an. En dehors de Djezzy et peut-être bientôt Cevital, il n'existe pas de privé algérien à ce niveau. Il est plus raisonnable d'affirmer que Tonic mettra 30 ans pour rembourser sa dette s'il développe un partenariat à long terme avec son principal créancier. » La messe est dite ? Peut-être pas tout à fait car la Badr, le principal créancier de Tonic Emballage, considérait encore au moment de la mise sous écrou de Abdelghani Djerrar que ses créances étaient en cours de recouvrement. Le recouvrement de la Badr « travaillait bien » A la Badr, le mot d'ordre est « Pas de commentaire jusqu'à nouvel ordre » au sujet du rebondissement dans le dossier Tonic Emballage. Mais on peut lire dans des publications externes de la banque que la nouvelle politique de recouvrement a permis, en un peu plus d'une année, de récupérer 70 milliards de dinars de créances sur le total du portefeuille des clients. Une politique désormais basée sur les approches du « règlement à l'amiable » qui préserve les intérêts de l'investisseur et de la banque. Bien sûr, personne ne peut nier à la BADR que le méga-crédit accordé à la période du PDG Bouyacoub est une prise de « risque mal considérée ». On en reparlera plus loin. Cependant « le management du recouvrement a bien travaillé » pour s'assurer de récupérer la mise. Dans les 11 milliards de dinars remboursés par Tonic, une grande part vient des revenus des séquestres opérés par la Badr sur des acquisitions « hors poste de crédit ». Des achats cumulés par les frères Djerrar dans leur phase boulimique de dépenses ostentatoires : immeubles cossus sur les hauteurs de la capitale, show-rooms luxueux au centre d'Alger, collection de voitures à plus de 50 000 euros la pièce, nouvelles sociétés de marques franchisées, sans parler de biens acquis à l'étranger sur lesquels le séquestre n'a pas pu fonctionner. La Badr, qui n'a jamais déposé plainte contre Tonic alors qu'elle l'a fait contre Digimex, a été tenue à l'écart de la procédure judiciaire. Une source proche du ministère des Finances confirme bien que « M. Djebbar, PDG de la Badr, était le dernier à apprendre que le patron de Tonic était incarcéré jeudi dernier. Il n'a pas été consulté sur l'identité du séquestre judiciaire et le choix pour ce poste de M. Daoudi, ancien PDG de la BDL, est une manière supplémentaire de tenir la Badr loin d'un dossier où elle risque de subir le plus gros préjudice dans le portefeuille de ses actions ». Dans le camp des Djerar, on crie que l'affaire du crédit Tonic Emballage n'est pas de l'ordre du pénal. « Affaire commerciale traitée, par ailleurs », c'est l'argument brandi par la juge Fatiha Brahimi à Blida lorsque l'interrogatoire du témoin Mohamed Zaïm, industriel et ancien président de l'USMB, allait bifurquer vers les 12 milliards de centimes de crédit qu'il a refusé de rembourser à Moncef Badsi, le liquidateur d'El Khalifa Bank. En réalité, il n'y a jamais eu de norme respectée en la matière dans l'histoire du capitalisme algérien. Un « litige commercial » avec une banque publique peut d'emblée être traité au pénal ou pas. « Cela ne dépend pas de la loi mais de l'identité du bénéficiaire du crédit et du rapport de force politique de ses protecteurs en affaires », affirme le patron d'une unité de production pharmaceutique lui-même en butte à des poursuites judiciaires pour non-respect des délais de remboursement de son crédit. C'est le moment de revenir à la déclaration de Okba Djerar : « Une affaire politique ». La piste de « l'affaire politique » n'est pas farfelue Le lien de Tonic Emballage avec la politique ? Très simple. Abdelghani Djerar est l'ami de l'un des fils du général major Mohamed Lamari. C'est un fait de notoriété publique à El Biar Les Pins-Poirson, quartier de résidence des deux familles, mais aussi à la zone d'activité de Bou Ismaïl où l'on a même aperçu le général major en visite sur le site du complexe papetier de Tonic. La créance du groupe aurait donc été traitée par la chancellerie comme un dossier pas comme les autres. Pour un autre investisseur privé, Nourredine R., en délicatesse avec sa banque publique : « Je relève tout de même que l'arrestation de Djerar intervient dans la semaine où devait être inaugurée une nouvelle unité dans le complexe. Un peu comme si le but était d'empêcher la famille Djerar et ceux qui les protègent de desserrer l'étau et peut-être de redevenir financièrement nuisible pour le président Bouteflika. » L'arrestation de Abdelghani Djerar comme un rebondissement dans la cordiale hostilité Bouteflika-Lamari ? Pourquoi pas, la piste ne manque pas d'indices. Tonic Emballage a été accusé par les partisans du candidat Bouteflika, durant la campagne des présidentielles de 2004, comme « une boite à fric » de la campagne du candidat rival, Ali Benflis, lui-même soutenu par le général major Lamari. Les adversaires politiques du Président ne doivent pas devenir financièrement puissants. « La mort de Tonic Emballage était inscrite dans les faits au soir du 8 avril 2004, au même titre que l'embastillement de Mohamed Benchicou, le timing n'est seulement pas le même dans le cas d'un journaliste et dans celui d'un puissant général », affirme Nourredine R. qui connaît bien la manière de faire de la maison Bouteflika pour l'avoir fréquentée. L'affaire Tonic Emballage est un scandale à la source : le crédit accordé est disproportionné avec les garanties de rentabilité du projet, les capacités managériales du projet et la taille du marché, tous trois trop faibles. Elle rappelle seulement comment est née frauduleusement dans les pays du tiers-monde une classe de capitalistes et comment, les premières années, elle fait sa sélection darwinienne en son sein. Toujours en fonction du clan politique dominant.