Certains chefs d'entreprise trouvent que le prétexte du surendettement ne semble, à l'évidence, pas tenir la route. La mise sous contrôle judiciaire de Abdelghani Djerrar, patron de Tonic Emballage, écroué depuis le 3 mai à la prison de Serkadji, au motif d'un surendettement auquel sa firme ne pouvait faire face, a jeté le trouble dans la corporation des hommes d'affaires algériens. L'étonnement est que cette arrestation soit motivée par l'insolvabilité de Tonic qui aurait accumulé une lourde dette auprès d'une des banques publiques. Un argument qui, selon certains, ne tient pas du tout la route, ne serait-ce qu'au regard de l'importance des actifs (un énorme complexe industriel et 41 hectares de terrain à Bou Ismaïl, d'importants équipements de transport et de manutention, une usine de dessalement d'eau de mer, une usine d'électricité, ainsi que des filiales, toutes solidaires, pour rembourser la dette du groupe auquel elles appartiennent). Une importante chaîne de production de papier kraft devant mettre définitivement fin à l'importation ruineuse de cette matière, devait même être inaugurée dans le courant de ce mois, en présence de plusieurs ministres. Le complexe Tonic Emballage de Bou Ismaïl est, au regard des experts, un chef-d'oeuvre du genre. Il est appelé à recycler 200 tonnes de déchets de papiers collectés chaque jour, sa consommation d'eau devait provenir de sa propre usine de dessalement d'eau de mer qui devait entrer, très prochainement, en activité, de même qu'elle devait assurer sa propre production d'électricité à partir d'une usine spécialement réalisée à cet effet. Au regard de l'importance de ces équipements susceptibles de servir d'hypothèques, certains chefs d'entreprise trouvent que le prétexte du surendettement ne semble, à l'évidence, pas tenir la route. Les raisons du problème seraient donc à chercher ailleurs. Ils posent, également, la question de savoir pourquoi on s'est empressé d'écrouer et de mettre sous contrôle judiciaire, ce chef d'entreprise, avant que les deux cabinets d'audit et de contrôle engagés à l'effet de faire un diagnostic complet du groupe, ne terminent leur travail, du reste largement avancé. Pour sa part, le chargé de la communication du groupe, Rabahi Hamid, dit ignorer les raisons ayant conduit le juge d'instruction à mettre son patron en détention alors que, affirme-t-il, un «accord final» entre les deux parties (Tonic et Badr) avait été conclu, la veille. Il s'agit d'un accord de remboursement d'une somme de 11 milliards de dinars (la dette auprès de la banque étant de 65,5 milliards de dinars). Y aurait-il donc d'autres reproches à l'égard de Djerrar en dehors de cette affaire de dettes non remboursées à son bailleur de fonds? Des interrogations qui suscitent inquiétude et crainte auprès des effectifs du groupe. Choqués, se disent les travailleurs de Tonic emballage. Une virée dans l'usine de Bou Ismaïl, une semaine après l'arrestation du patron, nous a permis de constater, de visu, le désarroi des employés. L'activité continue, le plus normalement possible. Mais le doute plane. Quel sera notre sort? s'interrogent-ils. Les employés ont surtout peur de se retrouver, de nouveau sans travail. Ils vivent, en fait, la même situation qu'en 2005, lorsque la Badr a suspendu le crédit et les responsables de Tonic étaient contraints de fermer une dizaine d'unités et de libérer 700 des 4 000 employés. Les débuts d'une crise La Banque algérienne de développement rural (Badr) octroie, dans un premier temps, à Tonic Emballage, un prêt de 11 milliards de dinars, fractionné en deux parties, un premier montant de 7 milliards de dinars et l'autre de 4 milliards de dinars. Une somme qui, à l'époque (1999-2000), dépasse le risque crédit avec la Cnep. Les prêts accordés à Tonic se multiplient, avec la création d'une dizaine de filiales, pour atteindre la somme de 65,5 milliards de dinars en septembre 2005. Les besoins en investissement deviennent, de plus en plus, importants. Le groupe dispose beaucoup plus de machines que de matières premières. Ce sont des machines très rapides et performantes qui lui permettront d'augmenter, sensiblement, ses capacités de production. M.Djerrar avait considéré alors qu'une durée de cinq ans pour la ligne de crédit est très insuffisante. L'année 2005 a connu également l'installation d'un nouveau président-directeur général à la tête de la Badr. C'est à cette période que la banque a relevé le dépassement des échéances de remboursement des crédits octroyés à cette entreprise. Coïncidence ou corollaire d'une mauvaise gestion? Tonic Emballage avait préparé un business plan qu'elle remettra à la banque et dans lequel elle demande le rééchelonnement de sa dette. Mais la Badr a campé sur ses positions et a exigé le recouvrement immédiat de ses créances. Pour se défendre, Tonic Emballage avait mis en avant sa solvabilité bancaire et ses garanties qui s'élèvent à 87 milliards de dinars contre des crédits d'un montant de 65 milliards de dinars, soit des engagements de l'ordre de 130%. S'ensuit le dépôt d'une plainte sans pour autant fermer les voies d'un règlement à l'amiable. La justice avait désigné à l'époque, le directeur général de l'entreprise, Abdelghani Djerrar qui était sous contrôle judiciaire, comme séquestre judiciaire. Il avait reconnu, de son côté, que ces retards de paiement sont dus à un «télescopage des échéances». Le gérant avait imputé ce «télescopage» à «la non-qualification de son personnel technique» que l'entreprise «a été obligée de le former davantage afin qu'il soit à même de manier l'outil de production qui est loin d'être classique et qui est constitué entièrement de machines de dernière génération». Du coup, les objectifs de développement tracés par l'entreprise n'ont pas été atteints en temps voulu. La prise en charge, sur fonds propres, de tous les frais d'approche (douanes, installation et frais de transit et d'acheminement) est également un autre facteur à l'origine des retards enregistrés dans le remboursement des crédits. Le ministre des Finances avait fait, à l'époque, une déclaration sur cette affaire lors d'une rencontre qui l'avait réuni avec les associations patronales et les banques publiques. La Badr était sous-représentée. M.Medelci dira en marge de cette rencontre qu'il faut «entendre les deux parties pour en décider». Toutefois, il ajoutera que la solution dans ce genre de problème «réside dans le respect des lois». Il précisera: «Personne n'est au-dessus de la loi, ni l'opérateur ni le P-DG de la banque». Il ajoutera, cependant, que lorsqu'un client manque au respect du cahier des charges qui le lie à la banque, «il est normal que la banque en fasse de même». Ce qui avait laissé entendre que Tonic Emballage pourrait se trouver du mauvais côté de la barrière. Le ministre ajoutera: «En dépit des lois et des engagements, il y a la raison et le dialogue entre les deux parties qui peuvent trouver un terrain d'entente, car ils participent à la même opération. Le banquier doit, pour sa part, accompagner l'opérateur dans les moments difficiles pour qu'il réussisse». L'affaire vue par les avocats Me Zeraia, avocat de Tonic, continue à soutenir que l'affaire est «purement commerciale et n'a rien de pénal». Rencontré au siège de Tonic, l'avocat nous explique que la banque n'a présenté aucun élément nouveau dans le dossier, qui aurait pu expliquer la mise sous mandat de dépôt du patron de Tonic Emballage. «Nous faisons confiance à la justice», nous a-t-il dit, précisant qu'il a fait appel au juge d'instruction pour libérer son client, estimant qu'il n'y a pas de raison pour que Djerrar Abdelghani soit maintenu en détention, alors qu'il était sous contrôle judiciaire depuis deux ans, et qu'il n'a jamais fait défaut à la justice. «Le juge d'instruction est souverain dans ses décisions», ajoutera-t-il. Il s'est dit, également, désolé que Djerar soit mis en prison au moment où le groupe s'apprêtait à mettre en service une nouvelle unité de production présentée comme importante, dotée d'une technologie moderne. Prévue pour le 10 mai, l'ouverture de cette usine sous le nom de «Watania» (un nom choisi par le père et ancien moudjahid Djerrar), a été reportée à la fin de ce mois. L'avocate Ben Brahem a également son mot à dire sur cette affaire. Contactée par téléphone, Me Benbrahem nous dit qu'elle ne connaît pas le dossier mais s'est exprimée quand même. «Si c'est une affaire de dette, et si ces gens sont disposés à rembourser, il n'y a pas de raison pour que le patron soit emprisonné sauf s'il y a infraction d'ordre pénal. Les règles du crédit bancaire sont très claires dans ce cas. Il s'agit de s'entendre sur des échéanciers de remboursement et ça ne sert à rien de saboter une unité de production car ça ne rapporte rien à notre économie», a-elle déclaré. Pour cette avocate, cette affaire ne fera que compliquer la relation clients-banque. «Les gens ne feront plus confiance donc aux banques si ces dernières tentent de piéger le client», ajoutera-t-elle. Voulant connaître la version de la Badr sur cette affaire, il nous a été impossible de joindre son premier responsable. La Banque s'est murée depuis le début de l'affaire, dans un silence, se retranchant derrière le devoir de réserve qu'impose une affaire pendante devant la justice.