Les architectes du combat déclenché le 1er Novembre 1954 avaient en mire d'horizon la libération nationale, précisée lors du Congrès de la Soummam « République démocratique et sociale ». Cinquante années plus tard, l'Algérie est engouffrée dans une libéralisation sauvage. Les travailleurs des ports du pays en grève contre la privatisation annoncée des infrastructures le savent. Parmi eux, les dockers submergés par les massifs de containers importés réalisent à quel point l'économie compradore asphyxie toute volonté de production nationale. Un demi-siècle de libération nationale pour voir le chef de l'Exécutif Ouyahia et Sidi Saïd, le boss de la « centrale » UGTA, s'acoquiner pour, d'un trait de plume, déclarer illégal le droit de grève reconnu par la Constitution, réprimer les syndicats autonomes et enfoncer dans la précarité trois cent mille travailleurs de la Fonction publique. Alors que l'exceptionnelle embellie financière due à la rente gonfle à la caricature l'assise d'une nouvelle couche sociale tampon entre les multinationales et l'oligarchie militaire. Dans des jeux bureaucratiques opaques, sur lesquels le représentant permanent de la Banque mondiale n'hésite pas à dire publiquement au Forum d'El Moudjahid : « L'entreprise algérienne n'évolue pas dans un environnement normal, la corruption est un véritable cancer. » Ajoutant qu'avec l'autre gendarme du néolibéralisme, le Front monétaire international (FMI), une analyse du secteur financier algérien a été faite « pour déterminer si celui-ci pouvait faire face aux chocs et fluctuations internationaux ». Résultat ? « Le rapport ne peut être rendu public. » Ces mêmes jours où la guerre de l'Exécutif contre la société fait rage, le représentant du FMI à Alger va jusqu'à sermonner d'une froidure de négrier « Je pense que le problème de l'Algérie n'est pas de protéger les emplois qui existent. » Mohamed Mechati, survivant à 84 ans des vétérans résistants qui ont décidé novembre 54, a délivré cette semaine (Liberté, 24 octobre) sa conscience révulsée contre les méthodes dont « on a usé et abusé des moudjahidine » pour réaliser ce grand écart d'une Algérie à libérer à une « Algérie invivable ». « J'ai demandé une audience (au chef de l'Etat) dès son premier mandat, dit-il, mais il a rejeté ma demande avec un brin de politesse. Il a donné ma lettre à son chef du gouvernement (Benflis) en lui disant : “Vois de quoi mon ami Mechati a besoin''. Voilà à quoi on est réduit. »