Sidi El Bachir, la plus grande bourgade de la ville d'Oran, semble vivre hors du temps, avec ses 65 000 âmes parquées dans un semblant d'habitations sans gaz et sans eau. Nichées comme des pains de sucre à flanc de monticule, les maisons sont délabrées et délavées à force de subir les contraintes des intempéries. Situé juste à la sortie est de l'axe autoroutier Oran-Arzew, Sidi El Bachir ou « Kandahar », ainsi nommé par dérision par ses habitants, surgit de nulle part. « Ici, nous vivons sur une autre planète, loin du cœur et des yeux », lance un vieillard assis à même le sol. A ses côtés, son petit fils âgé d'une douzaine d'années a « fait » l'école buissonnière. « Faute de moyens de transport, le petit a été obligé de sécher les cours aujourd'hui », dira son ancêtre, comme pour s'excuser. Dans cette cité tortueuse et convulsive, les rares Isuzu et les quelques Karsan desservant Oran sont déglingués et sales. Pour les milliers d'usagers, c'est le système « D » qui est mis en œuvre, dès le lever du jour. Et il faut compter sur ses jambes pour « rallier » Oran, située à cinq kilomètres de la bourgade excentrée et labyrinthique. Depuis son urbanisation sauvage à la fin des années 1970, ses habitants sont livrés à eux-mêmes et aux caprices des autorités locales qui « laissent mourir Sidi El Bachir. » Administrativement, la bourgade n'existe pas, puisque ne bénéficiant pas des statuts juridiques et communaux. C'est ainsi que 65 000 Algériens sont arbitrairement oubliés par les autorités locales et centrales. Défaillance « Une défaillance de taille que les pouvoirs publics doivent corriger au plus vite si l'on veut éviter à cette population le sort peu enviable des damnés de la terre », s'insurge à juste titre un habitant. « Notre bourgade est synonyme de honte, de décrépitude et de misérabilisme. Les autorités locales cachent le vari visage de Sidi El Bachir aux ministres et hauts fonctionnaires de l'Etat, quand ils viennent pour des visites de travail et d'inspection. Les rares visiteurs qui daignent se souvenir de nous concernent quelques élus locaux qui se déplacent à l'occasion des campagnes électorales. Après, plus rien », s'indigne cet enseignant. La paupérisation, le taux important d'analphabétisme, la violence, le banditisme, le trafic de drogue, le chômage et la mal vie atteignent des seuils intolérables, alors que les industriels évitent Sidi El Bachir pour des zones mieux viabilisées, à l'exemple de Hassi Ben Okba et Es Sénia. « Pour des raisons évidentes de faisabilité, les potentiels investisseurs se détournent volontiers de Sidi El Bachir qui reste, bon an-mal an, à la traîne des autres communes. Vous imaginez un industriel implanter une usine ici, alors que les supports infrastructurels comme le gaz, le réseau téléphonique, l'eau, les routes goudronnées et les moyens de transport ne font pas partie du paysage et sont quasi inexistants », plaide cet homme d'affaires installé à Es Sénia. En attendant, c'est la daïra de Bir El Djir, avec ses 14 000 habitants, qui rafle le gros des subventions étatiques et les budgets de wilaya au détriment de la bourgade de Sidi El Bachir et de ses habitants, lesquels espèrent être un jour reconnus comme citoyens à part entière.