Au moment où l'on assiste à un boom sans précédent des délocalisations des entreprises des grands pays industrialisés vers les pays émergents à coûts salariaux faibles, l'Algérie est loin de profiter de ces flux migratoires des industries et des services. La cause : le climat de l'investissement reste à la traîne. Oran : De notre bureau Pour mesurer le flux insignifiant des investissements qui ont profité à l'Algérie, il suffit de regarder de simples indicateurs : le faible niveau des investissements directs étrangers et la progression sans cesse des importations. Le verdict est sans appel : Oran, deuxième ville industrielle du pays, n'a accueilli que 2 entreprises qui ont délocalisé leur outil de production en provenance de France en 2005, et aucune en 2006. Le pays ne profite pas des délocalisations qui touchent de plein fouet le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon et à un degré moindre la France, les Etats-Unis et l'Italie. Dans ces pays, beaucoup d'entreprises qui concentrent les productions peu sophistiquées et peu gourmandes en travail qualifié, partent dans les pays émergents comme l'Asie et l'Europe orientale. Contrairement à notre pays, la Tunisie et le Maroc ont su, même timidement, tirer leur épingle du jeu de ces délocalisations. "Ces migrations résultent d'une exigence trop forte de rentabilité qui pousse les entreprises à rechercher tous les moyens disponibles afin d'accroître leur profitabilité", résume un consultant oranais, qui active dans l'accompagnement des PME à la mise à niveau et à la certification. L'Algérie, qui subit les contraintes du climat d'investissement, semble "tout faire" pour dévier ces délocalisations. Après un parcours bien rempli dans l'Hexagone, Mohamed Benabid, 73 ans, un émigré en France originaire d'El Bayadh, est rentré, il y a trois ans, au pays à la recherche "d'un nouveau souffle". Un des rares chefs d'entreprise à avoir délocalisé son entreprise de France à Oran, il raconte son parcours parsemé d'embûches. Sa nouvelle société, MLC, implantée à Es Sénia, est spécialisée dans la fabrication du mobilier ménager, créée en partenariat avec un Oranais. Animé par l'esprit de conquête, ce chef d'entreprise dit avoir transposé un savoir-faire, des méthodes, un process. Bref, une expérience acquise en France, où il était implanté dans quatre sites. Des sites s'étendant sur plusieurs hectares en région Loraine, Verdun, Les Vosges et Metz. "J'ai déjà vendu une partie de mon patrimoine en France pour m'installer dans mon pays. Et je compte encore en vendre pour étendre mon investissement dans mon pays." S'appuyant sur son expérience française, Mohamed et son fils Tayeb s'efforcent de démontrer comment la délocalisation de leur entreprise a pu tirer son épingle du jeu en créant de l'emploi à Oran. De beaux canapés conciliant tradition et modernité, des petits meubles, des salons marocains aux motifs mauresques…"En une année, l'entreprise a doublé son chiffre d'affaires (100 millions de dinars en 2006) et des carnet de commandes émanant de grandes institutions et de grandes chaînes hôtelière de luxe implantées dans les quatre coins du pays", confie ce chef d'entreprise. Mais cette réussite cache mal le climat délétère dans lequel évolue l'entreprise. Mohamed n'hésite pas à clouer au pilori les structures en charge de l'accompagnement des investisseurs en Algérie. "Il m'a fallu trois ans pour pouvoir enfin démarrer l'entreprise, alors qu'en Roumanie, par exemple, le délais d'implantation ne dépasse jamais les quatorze mois", fait-il remarquer. "J'ai failli partir en Roumanie, il y a trois ans. C'est mon père qui a pesé dans ma décision de choisir l'Algérie, pays de mes origines", se souvient Tayeb. Lenteurs administratives Ce chef d'entreprise peste contre "l'inertie paralysante" de nos banques publiques qualifiées d'"arme de destruction massive de l'emploi." "Mais ce chef d'entreprise dénonce surtout "les blocages rencontrés dans l'administration du département de Abdelhamid Temar, en charge de la promotion de l'investissement. Pourtant, moins de 2 millions d'euros ont suffi à ce fabricant pour s'implanter et créer une centaine d'emplois. "Je compte encore en créer 250 autres ", promet Mohamed qui exhibe son projet d'extension de son usine. "J'ai, pour cela, sollicité un rendez-vous avec un directeur central au niveau du ministère de la Promotion des investissements dans le but de pouvoir racheter le patrimoine immobilier d'une défunte entreprise publique fermée, et au bout de plusieurs semaines et de huit fax, on m'a répondu qu'il faille attendre encore un mois ! " "Je comprends maintenant aisément pourquoi les investisseurs étrangers sont loin de se bousculer au portillon du pays : l'administration fait tout pour les décourager ", peste Mohamed. Et à son fils de le paraphraser : "L'ANDI ? Que du vent ! Quand tu passes par l'ANDI, tu as trois ans d'exonération d'impôt. Mais saches que pendant ces trois ans, tu n'auras rien fait." Il a fallu ainsi s'armer de beaucoup de patience pour que cette entreprise démarre enfin. "Mais une fois qu'on y est installé, le marché algérien est immense et recèle d'énormes et d'inépuisables potentialités", conclut ce chef d'entreprise. Autre exemple : le pays ne profite pas, non plus, des délocalisations du secteur automobile des grands pays industrialisés vers les nouvelles zones de consommation des pays émergents. En France, les constructeurs automobiles enregistrent "une panne commerciale depuis 2005", avec une chute significative de la production en 2005 et 2006. Les délocalisations dans ce secteur profitent notamment aux pays asiatiques. Aussi, l'Algérie est restée à l'écart du formidable mouvement de délocalisation des services informatiques, qui ne touche que quelques grands centres comme Bangalore ou Bombay. Le géant indien des logiciels qui compte plus de 66.000 employés et pèse près de 30 milliards de dollars de capitalition boursière profite à plein régime de l'explosion des délocalisations et de la gestion informatique à distance. Mais quelle solution pour attirer les entreprises qui délocalisent ? Dans leurs programmes respectifs, des partis politiques comme le RND ou le RCD ont émis un certain nombre de propositions pour capter ces délocalisations : " Rabattement sur la TVA, aides publiques à la création d'emploi, facilitation à l'accès au foncier, baisse des charges sociales des entreprises, donc les rendre plus compétitives... " D'autres propositions portent sur des mesures de soutien aux PME " pour les aider à accéder au marché public " et la modulation des aides à la recherche " en fonction d'un partenariat entreprises-universités ". Bref, des idées avancées ici et là, depuis au moins une dizaine d'années, sans toutefois qu'elles aient dépassé le stade de la théorie.