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Charles Taylor, le « saigneur » du Liberia
Son procès s'ouvre aujourd'hui à la Cour pénale internationale
Publié dans El Watan le 04 - 06 - 2007

Actes d'extermination, viols, esclavagisme, enrôlement d'enfants dans les forces armées : Charles Taylor, 59 ans, ex-président du Liberia, n'a pas volé sa réputation de chef de guerre sanguinaire. Inculpé de onze chefs d'accusation, parmi les pires violations du droit international humanitaire, il comparaît à partir d'aujourd'hui devant le Tribunal pénal spécial pour la Sierra Leone.
A La Haye, aux Pays-Bas, depuis la décision du Conseil de sécurité des Nations unies de le délocaliser dans les locaux de la Cour pénale internationale, compte tenu du potentiel de l'accusé « à fomenter des troubles et de créer l'instabilité dans la région ». Mais qui est donc Charles Taylor ? Qui est ce chef d'Etat, soutenu, il y a encore quelques années, par la communauté internationale et présenté aujourd'hui comme le nouvel homme à abattre ? Un stratège de guerre redoutable ? Sûrement. Un politique assoiffé de pouvoir ? Sans doute. Le pire des vandales ayant accédé au poste suprême ? Reste à le prouver. « On pourrait comparer Taylor à Museveni en Ouganda. Lui aussi a utilisé une guerre pour accéder au pouvoir », analyse Mohammed Jalloh, spécialiste de la reconstruction postconflit en Sierra Leone au Centre d'étude d'Afrique noire de Bordeaux en France. « Mais, alors que le président ougandais a redessiné le paysage politique, Taylor a continué à miner le développement du Liberia. En soutenant une des guerres les plus sanglantes d'Afrique et du monde, et en déstabilisant la région. » Des faits d'armes à l'image du personnage. « Charles Taylor est l'incarnation du politique dont le but ultime est d'accéder au pouvoir et d'accumuler les richesses. Pendant la guerre civile du Liberia, de 1989 à 1997, ses miliciens l'appelaient déjà “président” », précise Nadège Degrémont, spécialiste du Liberia au CEAN de Bordeaux. Une ambition qu'il nourrissait, d'après ceux qui l'ont fréquenté, depuis sa jeunesse étudiante. « J'attribue son ascension rapide à son charisme, dans les années 1980, puis à partir de 1989, à sa brutalité », résume William Reno, spécialiste des politiques africaines à l'université du Wisconsin aux Etats-Unis. Après avoir détourné 900 000 dollars sous le régime du sergent-chef Samuel Doe, qui l'avait nommé conseiller puis responsable des services généraux, Taylor s'enfuit aux Etats-Unis. Un accord entre les deux pays lui vaut une peine de prison qu'il écourte en s'évadant dans des circonstances douteuses. « Il n'a pas pu s'échapper tout seul, souligne Nadège Degrémont. Certaines théories avancent qu'il aurait eu le soutien des Etats-Unis. C'est probable, car à l'époque, Charles Taylor était un opposant reconnu dans un pays qui comptait sur la scène internationale. » Le futur chef de guerre trouve alors refuge en Libye, « où Khadafi, rappelle William Reno, offrait asile pendant les années 1980 aux “révolutionnaires” ouest-africains. Là, Taylor y rencontra d'autres “combattants de la liberté” qui devinrent plus tard influents au Sierra Leone et en Gambie ». Il y prépare son soulèvement contre Samuel Doe. Intégré au Front national patriotique du Liberia dont il devient rapidement le leader, il donne le coup d'envoi d'un conflit civil qui durera plus de 7 ans. « Charles Taylor a été sans conteste le plus puissant des seigneurs de guerre du Liberia », avance Stephen Ellis, directeur du programme africain à l'International Crisis Group. Sa force : avoir su maîtriser ses voisins pour des intérêts stratégiques — il a trouvé en la Côte d'Ivoire d'Houphouët-Boigny une alliée —et personnels. De peur que ses opposants s'organisent contre lui, il fournit des armes au Front révolutionnaire uni, qu'il échange contre des diamants. « De l'avis de ceux qui l'ont approché, Charles Taylor est un homme intelligent », souligne Nadège Degrémont. Parti suivre ses études aux Etats-Unis, il décroche, à moins de 30 ans, une licence en économie. A la différence de Samuel Doe, que certains qualifient de « quasi analphabète », Taylor est cultivé. « Il a, par exemple, très bien su utiliser le discours de la communauté internationale pour légitimer la position », ajoute-t-elle. Cultivé et éduqué. Grâce au milieu dont il est issu. « Son père, d'origine américaine, était pauvre mais faisait partie d'une élite blanche, aristocratique. Sa mère, dit-il, est d'origine africaine, rappelle Stephen Ellis. Chose frappante, Charles Taylor a grandi dans cette mixité mais s'il parle français et anglais, il ne maîtrise aucune langue africaine. Et ce n'est qu'après le début de la guerre qu'il a insisté sur les origines de sa mère, comme argument politique. » Quand il s'agit de trouver des arguments, Taylor n'est jamais à court d'idées. Pendant la campagne des élections de 1997, il force le cynisme en se choisissant un slogan choc : « Il a tué ma mère, il a tué mon père mais je vote pour lui. » Il est élu avec 75% des voix. « Il faut se remettre dans le contexte, explique Nadège Degrémont. Nous sommes dans l'après-guerre civile. Charles Taylor contrôlait la majorité du territoire et ses milices pratiquaient l'intimidation auprès de la population. » William Reno poursuit : « Taylor menaçait de reprendre la guerre si les gens ne votaient pas pour lui. Ils n'ont pas eu le choix. Mais il semble clair que les élections aient aussi été téléguidées par les Américains. » En l'absence de preuves, d'autres chercheurs se montrent prudents. « En 1997, tout le monde en avait marre de la guerre, se souvient Stephen Ellis. Disons que la communauté internationale était prête à ne pas trop insister sur la clarté et le bon déroulement des élections, même si elle ne se faisait aucune illusion sur la façon dont Charles Taylor allait exercer le pouvoir. Le consensus international s'est fait autour du candidat le mieux placé pour remporter les élections. »
Des diamants pour Ben Laden
Mais la chute sera aussi rapide que l'ascension. Les troupes de Taylor subissent les offensives du Mouvement pour la démocratie au Liberia et du groupe des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie, soutenu par la Guinée voisine et… les Etats-Unis. Le président est de plus en plus isolé. Les Nations unies lui imposent un embargo sur les diamants et l'interdiction de voyager pour lui et son équipe présidentielle. La communauté internationale le « lâche ». « Il est tombé en disgrâce avec le changement de climat international, analyse Nadège Degrémont. Ses liens financiers avérés avec Al Qaïda (son commerce illégal de diamants aurait croisé la route de Ben Laden) lui ont fait perdre toute légitimité. » Pour Mohammed Jalloh, les chefs d'Etat africains sont aussi en cause. A commencer par Olusegun Obasanjo, l'ex-président du Nigeria. « Après avoir accepté la demande d'asile du chef de guerre pour calmer la situation au Liberia, il a cédé à la pression internationale et l'a extradé. Il était convenu que Charles Taylor serait remis à la justice le jour où un gouvernement démocratiquement élu au Liberia demanderait à ce qu'il soit poursuivi. » Ellen Johnson Sirleaf, la nouvelle présidente élue en 2005, a enclenché le processus. Celle-là même, qui, comme le rappelle Nadège Degrémont, « est issue de l'ancienne élite politique libérienne et a soutenu financièrement la rébellion de Charles Taylor ».


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