Le énième drame de l'immigration clandestine, survenu au large de la Méditerranée cette semaine, a fait dire au porte-parole, en Italie, du Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, Laura Boldrini, que « certaines régions de la Méditerranée sont devenues un véritable far west où la vie humaine n'a plus aucune valeur. Rome. De notre correspondante Qui ne s'en sort pas seul, est abandonné à son sort ». Car l'incroyable histoire des 27 rescapés africains, qui ont été miraculeusement repêchés au large des eaux maltaises par une vedette de la marine italienne, après que plusieurs bateaux maltais aient refusé trois jours durant de les secourir, a frappé la conscience de ceux qui assistent impuissants depuis des années à la mort annoncée de milliers de jeunes, surtout Africains, candidats à l'immigration clandestine. Arriver sur les côtes italiennes ou espagnoles semble être devenu l'idée fixe de ces personnes qui ne voient aucune issue à leur misère dans leur pays d'origine. Allant jusqu'à s'endetter pour payer leur place sur des embarcations d'infortune à des passeurs sans scrupules, nouveaux seigneurs de la traite des Blanches du XXIe siècle, ces voyageurs ne mesurent pas du tout le risque de mort certaine auquel ils s'exposent. Car, sauf miracle, les barques vétustes sur lesquelles ils s'entassent à plusieurs ne les mèneront jamais jusqu'au paradis promis, l'Europe. La plupart d'entre eux se retrouvent abandonnés à leur sort, dès que le moteur rafistolé avant la mise à l'eau lâche, et dans le meilleur des cas, si l'embarcation ne se retourne pas sur ces occupants, le froid, la soif et la faim guettent comme des vautours. Parfois, la mort arrive avant, dans une eau glaciale où même les plus grands champions de natation ont peu de chance de survivre à l'hypothermie et à l'arrêt cardio-respiratoire. Les plus chanceux voient de providentiels patrons de chalutiers leur prêter assistance, mais après que deux d'entre eux se sont vu signifier, il y a quelques jours, une catégorique interdiction d'accoster par les autorités maritimes maltaises et libyennes, les autres devront freiner leurs bons sentiments et éviter de se retrouver condamnés à naviguer avec à bord « une cargaison encombrante », dont personne n'en veut. Dernièrement, c'est le drame de 27 malheureux candidats à l'immigration clandestine, venus du Nigeria, du Cameroun et du Ghana, qui sont restés trois jours accrochés, avec la seule force du désespoir, aux grilles d'une cage circulaire destinée à l'élevage du thon. Ce qui a ému l'opinion publique italienne, car l'embarcation du thonier maltais, qui traînait les filets, a refusé de les embarquer à bord et les autorités italiennes assurent que les garde-côtes maltaises et libyennes étaient au courant du naufrage des 27 Africains, car des embarcations et des avions de reconnaissance avaient signalé la présence de ces derniers à leur commandement. Plusieurs chalutiers, battant notamment pavillon maltais, les avaient aperçus, mais ont préféré poursuivre leur trajectoire sans leur venir en aide. Un seul d'entre eux, pris de compassion pour ces drôles de « thons vivants », leur a lancé des fruits et de l'eau. Et ce n'est que dernierement que la marine maltaise a décidé de communiquer les coordonnées géographiques de la cage des rescapés, c'est-à-dire 88 miles au sud de Malte, aux militaires italiens. Aussitôt la marine italienne a dépêché sa corvette Orione pour recueillir les survivants à bout de force. Ces derniers ont été placés dans le centre de premier accueil de l'île sicilienne de Lampedusa, où sont gardés les immigrés en situation irrégulière, avant d'être rapatriés dans leur pays d'origine, après identification. Les 27 miraculés ont affirmé être partis du port libyen de Zouara, il y a dix jours, après avoir payé une forte somme à des passeurs sans scrupules, qui leur ont promis de les porter en 24 heures sur les côtes siciliennes. Moins de quatre heures après, leur embarcation de fortune a eu une avarie au moteur, puis s'es carrément retournée avec ses occupants au large de la Méditerranée. Il y a à peine une semaine, une embarcation identique, avec à son bord 57 passagers, dont une femme et des enfants, a littéralement disparu au large de la Méditerranée. Des avions de l'armée italienne et maltaise l'avaient repérée quelques heures auparavant. Mais quand un appareil de la marine italienne a survolé de nouveau l'endroit, il n'y avait plus trace de la barque. Des immigrés d'origine africaine, qui vivent en Italie, ont affirmé avoir reçu des appels de détresse, via le téléphone portable des naufragés, de leurs parents, avant qu'un terrible silence n'entoure toute cette histoire qui s'ajoute au terrible ballet mortel des milliers de harraga qui dorment, cadavres inconnus, dans les fonds de la Méditerranée.