C 'est Carmen Castillo elle-même, écrivaine et cinéaste chilienne, qui a présenté au Festival de Cannes, dans la section officielle Un Certain regard, son film autobiographique : Calle Santa Fé, un document extraordinaire qui dure 2h 40 mn. Exilée à Paris depuis 30 ans, Carmen Castillo retourne sur les traces de la résistance dans sa ville natale, à Calle Santa Fé, avec les souvenirs des moments heureux qu'elle y a vécus et les moments tragiques qui l'ont poussée à l'exil. Carmen Castillo, c'est la Djamila Bouhired chilienne. Ce n'est pas une femme tout à fait ordinaire ; elle fut la compagne de Miguel Enriquez, chef du parti révolutionnaire ,Mir, et compagnon de route du président Allende. Dès le début du film, elle nous fait entrer dans la maison bleue, celle Santa Fé. C'est ici que le dr Miguel Enriquez et elle ont vécu dans la clandestinité, avec leurs deux fillettes. C'est ici même que Miguel est tombé les armes à la main le 5 octobre 1974, et où elle-même, enceinte de six mois, faillit laisser la vie. Atteinte grièvement au bras par l'explosion d'une grenade lors de l'assaut de la police, elle tombe dans le coma et se retrouve à l'hôpital avant d'être expulsée du pays vers Londres, grâce à une campagne de presse internationale. En 2002, la maladie de son père la pousse à prendre le chemin de retour. A Santiago, Carmen Castillo renoue les fils de sa mémoire, de son exil, de sa vie miraculée. Avec sa caméra, elle repart sur les traces de ce 5 octobre fatidique et réunit les témoignages sur les faits et les événements postrévolutionnaires. Carmen Castillo, qui est aussi historienne, interroge inlassablement les témoins du drame, les voisins sur les lieux, et à qui elle doit la vie, les membres de sa famille victimes de la répression fasciste, les « femmes-courages » du Chili qui n'ont pas quitté le pays et qui ont subi toutes les violences. L'une d'elles déclare : « Tout le Chili ne pouvait pas trouver refuge dans les ambassades étrangères ! » Carmen Castillo interroge aussi les enfants de cette révolution détruite, qui, eux aussi, cherchent le sens de leur vie amère. La cinéaste se demande alors : « Comment rendre la mémoire à la fois vivante, ouverte, iconoclaste, inventive et fidèle ? ». Son très beau film, qui a créé une vive sensation à Cannes, est là pour y répondre, jamais larmoyant, jamais nostalgique, cette interrogation lumineuse et clairvoyante sur le sens de l'engagement politique, sur ce qui survit à travers trois générations d'une famille meurtrie, c'est aussi une formidable leçon sur ce qui reste de la « culture révolutionnaire » dans le Chili d'aujourd'hui. Non, les héros ne sont pas morts pour rien !