En janvier 2006, de retour de Bamako où s'était tenu le volet africain du Forum social mondial polycentrique, Hakim Addad soulignait que l'essentiel de l'organisation du Forum social maghrébin à venir, projet annoncé en 2001 au premier forum social de Porto Alegre et officiellement lancé à l'issue de la seconde édition du Forum social Maroc en 2004, naîtrait « d'une action concertée entre militants des différents pays africains ». En ce qui le concerne, il remplacerait d'ailleurs allégrement l'appellation Forum social maghrébin par celle de Forum social nord-africain : « Littéralement, Maghreb signifie ouest du monde arabe. Je pense que nous sommes plus proches des africains du Nord et subsahariens que du Moyen-Orient. » Ce questionnement n'est pas le seul écueil sur lequel vient buter la structuration du premier Forum social maghrébin, qui doit réunir d'ici 2008 les différents mouvements sociaux, associatifs et syndicaux d'Algérie, de Mauritanie, de Tunisie et du Maroc, ainsi que différentes associations européennes de lutte contre le durcissement du contrôle des migrations. Déjà, en 2004, à Bouznika (Maroc), lors des assemblées préparatoires du Forum social maghrébin, des dissensions concernant la question du Sahara occidental avaient entravé la venue d'une partie de la délégation sahraouie, suite à quoi certains membres du comité algérien s'étaient désolidarisés de cette rencontre. En 2005 également, les différents mouvements sociaux algériens n'avaient pas réussi à constituer un front homogène pour se rendre à Marseille, lors de la 5e assemblée préparatoire internationale du Forum social méditerranéen — à ne pas confondre avec ledit Forum social maghrébin. L'Algérie au piquet Au sein de cette dynamique nord-africaine, l'Algérie fait donc figure de « mauvaise élève ». Les 9 et 10 février dernier, à Nouakchott (Mauritanie), lors de la réunion préparatoire de ce premier Forum social maghrébin, on ne comptait aucun représentant algérien. « Aucun membre du RAJ n'a pu s'y rendre », commente modestement Hakim Addad. Et il ne connaît pas les raisons pour lesquelles ses « collègues des mouvements du front algérien étaient absents ». Les différents acteurs du mouvement social algérien ne travaillent pas ensemble. Ils travaillent parallèlement, chacun à sa manière. « Cette action, concertée des militants africains, que le secrétaire général du RAJ appelait de ses vœux en 2006, reste donc lettre morte sur le plan national. Ceci est révélateur d'une forte identité, mais aussi d'une difficulté plus générale de l'Algérie à construire quelque chose de positif. » Cette preuve d'une division du camp démocratique et cet indice d'une inertie globale de la société algérienne, qui sort doucement et partiellement de 10 années de terreur, ne sont pas les seules raisons de cette situation. « Même si on ne peut pas se cacher en permanence derrière les innombrables atteintes à la liberté d'expression en Algérie, il faut savoir que nous n'obtenons jamais d'autorisation pour nous réunir. Lors de la préparation du Forum social méditerranéen, le ministère de l'Intérieur nous l'a refusée par deux fois, alors que nous avions loué une salle privée. Et cela sous couvert d'un Etat d'urgence contraire à la Constitution », explique Hakim Addad. Comparativement, en avril 2006, une assemblée générale constitutive du Forum social tunisien, après négociations et intégration à cette dernière, d'organisations proches du pouvoir a été autorisée par le ministère de l'Intérieur du président Ben Ali, le RAJ déplore également la place minime qu'occupent les syndicats autonomes algériens dans la construction du Forum social maghrébin : « Nous estimons que ces organisations doivent être la locomotive du forum. » Rappelons, à cette occasion, que la majorité de ces syndicats, malgré un fort taux de représentation dans la population active, n'a toujours pas reçu d'agrément de l'Etat. Pas à pas Si cette difficulté à incarner ensemble une force de progrès est un obstacle sur la voie de l'édification d'un « Maghreb des peuples », Hakim Addad estime que le front algérien ne doit pas entraver le travail des autres pays partenaires. « Il y a du progrès : nous étions au Forum social mondial de Nairobi, cette année. Une prise de conscience collective est nécessaire et, à force de travail et de concertation, nous ferons en sorte que le mouvement progressiste algérien prenne la place qu'il mérite dans le forum. Paradoxalement, ce sont nos grandes difficultés sur le terrain des libertés démocratiques qui peuvent beaucoup apporter au débat », car l'aventure est bel et bien en marche. Dans le cadre des décisions prises en février dernier, à Nouakchott, le comité de suivi du projet a retenu le mois de janvier 2008 pour la tenue de ce premier Forum social maghrébin, initialement prévu en mai dernier. Il devrait se dérouler en Mauritanie. Les membres de ce comité ont également proposé la mise en place de réseaux et d'alliances transversales dont l'objectif est de dépasser les clivages nationaux et de mettre en relief la dimension maghrébine du forum. Ils ont enfin insisté sur la nécessité d'organiser, autant que faire se peut et pour la mise en place d'un forum « réellement social et participatif », des ateliers et des débats avec la société civile, notamment la jeunesse, un exercice que le RAJ connaît bien. Pour exemple, son comité local de l'université de Béjaïa a organisé en mars dernier une conférence-débat sur l'entrée de l'Algérie dans l'Organisation mondiale du commerce, entrée encore en négociations entre Bruxelles et Alger. « Il faut sensibiliser, mobiliser, conscientiser. Et il faut absolument prendre en compte les doléances de la jeunesse algérienne », martèle le secrétaire général. Si le plan de financement du FSM n'est pas encore totalement structuré, une première initiative citoyenne est déjà née de ce rapprochement inter-Maghreb puisque deux membres du comité de suivi ont accompagné le processus d'observation civile des élections mauritaniennes. Enfin, les thématiques retenues pour ce forum naissant sont la lutte contre la mondialisation sauvage, la lutte contre la politique d'externalisation des questions migratoires de l'Union européenne, la lutte pour les droits de la femme, la lutte pour l'obtention des libertés démocratiques et la prise de parole des peuples sur la gestion des conflits, autant de luttes de fond qui valent bien un dépassement de divergences sur la forme.