Les journées d'examens se suivent et se ressemblent d'année en année : des scènes parfois cocasses, parfois tragiques car violentes. Elles sont très prisées par les médias qui en font des choux gras. Mais rares sont les enseignements tirés des malheurs vécus par les candidats souvent poussés malgré eux à des réactions extrêmes. Qu'on se souvienne du jeune candidat égyptien qui s'est suicidé la veille du bac. Chez nous dans la ville d'El-Oued, c'est un étudiant qui a fini derrière les barreaux et son camarade lycéen, le vrai candidat, en fuite par peur de la justice. Le premier a pris la place de l'autre avec une usurpation d'identité. D'autres informations remplissent les colonnes des journaux. Le correspondant d'El Watan à Constantine a qualifié de burlesque la situation vécue dans un centre d'examen du bac. Il a relaté l'attention très particulière dont jouissent les toilettes de l'établissement. Les surveillants s'y sont relayés avec assiduité après chaque passage au « petit coin » des candidats pressés par un besoin naturel. à Alger, au lycée Afia, c'est le proviseur qui a refusé de décharger un professeur de la surveillance alors que celui-ci était victime d'une diarrhée carabinée. Il passait son temps à aller aux toilettes. Des consignes ont été données pour restreindre les sorties des candidats fussent -elles pour se rendre à l'endroit « sacré », les WC. Sur les ondes la radio Chaîne 3, un auditeur — PES de son état — s'est plaint de l'agressivité affichée par des candidats obnubilés par la triche. Dans la foulée, il a accusé — à tort — ses collègues du primaire et du collège coupables, selon lui, de laxisme. Une accusation qui cache mal son ignorance des conséquences perverses générées par tout examen décisif. Au lieu d'analyser sereinement la situation et aller aux causes réelles de ces comportements contraires à la morale, il a préféré généraliser l'anathème sur des collègues. Comprenne qui pourra ! La presse algérienne a aussi parlé de l'usage du « bluetooth », du micro miniature, des SMS. Cette panoplie digne des agents secrets est interdite par le règlement. Mais son usage est par les plus malignes, masquée par une couverture toute trouvée : le hidjab ou le niquab. Il se dit que bien des filles se sont « hidjabisées » pour la première fois le jour de leur examen. La tentation de la triche n'est pas spécifique à l'Algérie et elle est aussi vieille que le bac lui-même. Dans un reportage télévisé consacré à la préparation de cet examen mythique, un proviseur d'un grand lycée parisien a reconnu que les W.C constituent le point d'ancrage de leur surveillance. Il a cité les différents stratagèmes formentés par la riche imagination des adolescents. Et ils sont nombreux et souvent imparables, ces artifices. Dans son dépit, il a émis le vœu de voir les soldats du régiment venir épauler les enseignants. A ce rythme, ce sont des caméras de surveillance qu'il faudrait installer dans ces endroits sensibles : toilettes et salles d'examen. On ferait au moins l'économie d'énergie et d'argent avec cette massive mobilisation de milliers d'enseignants. Contrôle ou évaluation Toutefois, il y a lieu de signaler que le phénomène de la triche ne se confine pas au seul système scolaire. Dans un superbe livre Faut- il fermer l'université ? édité en 1992, Lyes Mairi, enseignant à l'Université d'Alger, a décrit et analysé ce fléau qui fait ravage dans la communauté estudiantine. Les sondages réalisés en soutien de sa thèse sont assez éloquents : la triche y est devenue une pratique banalisée voire tolérée,d'où la démonétisation des diplômes délivrés. Dans le sillage de ce livre, nous livrons le témoignage récent d'un enseignant en médecine. Selon lui, d'année en année, les premiers lauréats des concours de fin de formation universitaire (en médecine) sont des étudiants étrangers, qui n'ont aucune maîtrise de la langue française. Il se demande comment ces étudiants ont-ils pu décrocher des notes aussi élevées alors que les épreuves de l'examen sont rédigées dans la langue de Voltaire ? Une seule réponse : ils ont restitué à la virgule près les cours. Logique. Dans ce cas de figure, en servant à mesurer uniquement la capacité à mémoriser, ce mode de contrôle (et non d'évaluation) dévalorise la spécialité universitaire. On est loin de l'évaluation des aptitudes à la réflexion critique, au raisonnement scientifique et méthodique : ces fondamentaux de la rationalité. Notre interlocuteur ne nous a pas dit si pendant les épreuves, ces lauréats avaient fréquenté les toilettes ou utilisé le bluetooth. A moins qu'ils disposent d'une mémoire d'éléphant. Encore que cette faculté n'est pas mobilisable sans un minimum de maîtrise linguistique. Assurément, il s'agit d'un cas d'école digne d'intérêt. En conclusion, ces agitations qui émaillent les examens sont à la limite du folklorique. Elles prêteraient à rire, si elles ne portaient pas préjudice à la noblesse de l'éducation et de l'enseignement. Mais faut-il s'étonner de ces dérapages, quand on sait que l'esprit dans lequel sont conçus les modes de contrôle (et non d'évaluation) n'ont pas évolué depuis la création de l'examen par les Chinois, il y a de cela plusieurs millénaires ? Des centaines d'années avant Jésus-Christ, l'armée chinoise testait par des épreuves de contrôle /sélection ses soldats pour leur délivrer un statut (grade). Plus tard, ce sont les religieux, les Jésuites qui ont pris à leur compte la trouvaille chinoise : s'assurer que les psaumes et autres textes sacrés étaient bien stockés dans la mémoire de leurs ouailles. Ce sont eux qui ont inventé les devoirs — au double sens religieux d'abord et scolaire ensuite — et les compositions. L'évaluation, cette nouvelle science est encore à la recherche de son véritable essor. Elle ne le prendra que lorsqu'elle mariera équité, justesse et justice. Et ce, de façon à ne point léser ne serait-ce qu'un seul candidat. Cette problèmatique hante les nuits d'éminentes personnalités du monde de l'éducation. En attendant l'Euréka, la préoccupation majeure des surveillants aux examens se focalisera sur des endroits devenus — par la force des choses — des points hautement stratégiques. Et ils le sont en réalité puisqu'ils servent à se soulager.