La rébellion des quatre généraux, suivie de la création de l'OAS, présente dans pratiquement toutes les villes, mais surtout dans la capitale, sous les ordres de Salan et sa légion, présentait une nouvelle situation à laquelle il fallait faire face. C'est dans ce contexte que nous avons quitté la Tunisie en compagnie des cadres de grande valeur pour faire face à l'OAS dans la capitale et mettre en échec ses tentatives de remise en cause des Accords d'Evian. Zone autonome d'Alger, je tiens à ouvrir une parenthèse. De retour en Algérie, nous avons retrouvé en Wilaya IV des compagnons qui ont eu le mérite, malgré les plans Challe et une intensification de la guerre, de continuer le combat libérateur dans des situations souvent dramatiques. Je tiens à leur rendre hommage et à travers eux toutes ces femmes et ces hommes qui ont connu de terribles souffrances sans que leur patriotisme ne soit altéré. La Wilaya IV est une wilaya stratégique, à forte implantation européenne, et je tiens à souligner qu'elle a joué un rôle important. Ceci revient à dire que pour la création de la deuxième zone autonome d'Alger, il nous a fallu la structurer en fonction d'une situation particulière. Mais avant de continuer et pour la vérité historique, je tiens à dire que le conseil de Wilaya IV, représenté par Mohamed Berrouaghia, nous a apporté une aide précieuse en nous présentant les militants qui étaient déjà sur le terrain. En ce qui concerne les structures politiques déjà existantes, il nous fallait d'abord unifier les différents groupes de wilayas présents à Alger en une seule structure, la ZAA. Avec le début de libération des détenus politiques, nous avons pu bénéficier d'éléments de grande valeur. Grâce à cet apport, nous avons pu constituer les cinq régions que comprend la ZAA. Je peux citer des noms de patriotes aguerris comme les regrettés Mohamed Flici, Rebbah Lakhdar et Balamane, Houhat, Keramane Sadek, Harizi, Nachet, Mohamedi Amar dit Mehdi, Meziani Omar, Hamid Dali, Mustapha Blidi, Lakhdar Boulisse, Tounsi Abdelkader... Que penser d'un militant du 1er Novembre, tel que Belouizdad Athmane, refusant toute responsabilité pour s'occuper des problèmes de nettoyage des rues ? Ils étaient si nombreux et si magnifiques que je m'en veux de ne pouvoir les citer tous. Ces frères ont été la cheville ouvrière de ce combat contre l'OAS. Il est vrai que leur capital moral les avait beaucoup aidés. Par ailleurs, les fidaï étaient sous les ordres du capitaine Si Nachet connu pour ses qualités de courage et d'organisateur et les regrettés Si Tahar et Mokhtar Bouchafa dont j'évoque le souvenir avec émotion. A côté du fida, un service de renseignement particulièrement efficace, sous la direction du regretté Mohamed Oukid, un des pionniers du PPA, et entre autres, ami du chahid Larbi Ben M'hidi. Ce service de renseignements nous a permis de localiser les déplacements des responsables OAS et monter des opérations de représailles et, très souvent même, de communiquer des renseignements précis au préfet Vitalis Cros, à travers l'Exécutif provisoire. Aujourd'hui encore, je me demande comment Mohamed Oukid et ses collaborateurs sont arrivés, en si peu de temps, à constituer un véritable fichier. Nous vivions une période d'espoir dans une totale solidarité et de dévouement. Et si l'OAS s'est attaquée aux femmes de ménage, c'est que ces assassins ont fini par réaliser le rôle important que ces merveilleuses militantes ont joué en fournissant des renseignements sur tout ce qui se passait dans les quartiers européens. Pour ce qui est des finances, comment ne pas signaler l'immense mouvement de solidarité des Algériens relativement aisés, commerçants, mandataires des halles, professions libérales, etc. Je peux dire que cet apport a été plus important que l'aide fournie par l'Exécutif provisoire. Sous l'impulsion du regretté Dr Maouche et du merveilleux Dr Saber, modeste et efficace, le service de santé sous la responsabilité de Si Ali Lounici allait connaître un essor prodigieux. Je profite de l'occasion pour rendre hommage à tous ces médecins qui nous ont permis d'installer un peu partout des cliniques, maisons de santé où étaient soignés les blessés. Non seulement, ils opéraient, mais ils trouvaient également le temps de soigner les malades et parfois même de se rendre à leur chevet. Dormant sur place, ils n'ont jamais accepté le moindre émolument. Je tiens également à rendre hommage aux quelques médecins français progressistes qui s'étaient portés volontaires et qui ont été acheminés par la Fédération de France du FLN. Là encore, je ne veux pas citer de noms de peur d'en oublier. J'atteste, aujourd'hui, qu'à cette époque, les médecins, les infirmiers, les militants sont même arrivés à créer au cœur de La Casbah une véritable pharmacie centrale. Voici donc brièvement la situation du service de santé. Quant à l'organisation du social, elle était impulsée par les structures politiques. Les dons nous provenaient de partout. L'attitude solidaire de Monseigneur Duval dont nous avons apprécié le profond humanisme. Les cadres politiques ont pu mettre sur pied en pleine insécurité OAS d'étonnantes réalisations. Ouvertures de boulangeries où travaillaient bénévolement des militants, avec distribution gratuite de pain. Ouverture des centres d'accueil pour les mendiantes sous l'égide de l'Union des femmes. C'est l'occasion pour moi de rappeler que dans ce contexte de solidarité, nous avons pris un certain nombre d'initiatives... Par exemple, faciliter les efforts déployés par des militants chevronnés de l'UGTA pour la réimplantation de la centrale syndicale, tels que le regretté Rabah Djermane, Bourouiba et tant d'autres... Les dockers continueront à décharger les bateaux au péril de leur vie, les travailleurs défendront l'appareil de production... C'est ainsi qu'à la RTF, une équipe de militants parviendra à éviter le transfert ou la destruction des équipements en place. Nous sommes restés à cet effet en contact étroit avec le directeur général français de la RTF. Entre parenthèses, les Accords d'Evian stipulaient que la RTF devait rester sous contrôle français jusqu'au vote de l'autodétermination. Dans la préservation de ce patrimoine, l'UGTA a apporté une grande contribution. L'Union des femmes sous l'impulsion, entre autres, de la regrettée Fatima Ben Osman, militante de la première heure, détenue politique, allait connaître un essor considérable et jouer un rôle précieux sur le plan social. C'est sous l'égide de l'Union des femmes que devaient être créées un peu partout dans la capitale les jeunesses FLN dont le nombre dépassera la dizaine de milliers. Nous avons encouragé également la création de l'Union des étudiants. Je tiens à rappeler que cette jeunesse enthousiaste organisait entre autres, et périodiquement, des opérations d'aide sociale. C'est également elle qui a pris en charge le nettoyage des rues et des immeubles. Les étudiants, les enseignants dans le même élan permettront, malgré les attentats OAS, sous la protection des fidaï et de l'organisation politique, de procéder à l'ouverture d'un grand nombre d'écoles et de lycées. Il y avait un tel bouillonnement d'énergie que tout était possible. Si nous nous amusions à retrouver des articles de la presse étrangère de l'époque, on verrait que les observateurs étaient frappés par l'état de grande propreté des quartiers algériens par rapport aux endroits tel que Bab El Oued où sévissait l'OAS. Concernant l'information, elle était dirigée par mon ami Boualem Oussedik, elle consistait à agir essentiellement dans les directions suivantes : Contact régulier avec la presse internationale, dénonciation des crimes OAS, dénonciation des complicités OAS au sein de l'armée, de la police et de l'administration. Dans le cadre de l'application stricte des Accords d'Evian, le contact était maintenu avec le préfet Vitalis Cros. Le service information avait également installé dans tous les quartiers des boîtes aux lettres destinées à recueillir les vœux, les suggestions critiques de la population. La collecte de ces boîtes aux lettres nous permettait de voir nos insuffisances et d'y trouver des suggestions. Un bulletin quotidien était publié grâce à des militants comme les regrettés Briki, Mouloud Amrane et tant d'autres. L'organisation de la JFLN était devenue tellement importante et tellement dynamique qu'il nous a fallu détacher auprès d'elle un ancien militant et responsable de l'UGTA/FLN, un homme expérimenté, excellent organisateur et d'une très grande ouverture, le frère et ami Abderrahmane Bouzar. Je signale aux lecteurs que nous n'avons jamais « parachuté » quiconque auprès de ces organisations. Abderrahmane organisera même un séminaire regroupant plusieurs centaines de militants de la JFLN. Ce séminaire se déroula dans un enthousiasme remarquable, avec des interventions de haut niveau. Dans le cadre du service information, avec l'aide de Mouloud Amrane, Smaïl Madani et Habib Rédha, un effort a été fait aussi en direction des comédiens, chanteurs, artistes, nous permettant d'organiser à travers la capitale un très grand nombre de soirées artistiques. C'est à cette époque que le merveilleux regretté Dr Aroua composera, avec le musicien et chef d'orchestre Haroun Rachid, un hymne pour les travailleurs. Il faut ajouter que sous l'impulsion d'autres militants, dont le regretté Dr Khaldi, une rencontre avec les démocrates pieds-noirs devait déboucher sur la création d'un mouvement des libéraux qui jouera aussi un rôle important. Durant cette période et sous la garde des fidaï, de nombreuses manifestations culturelles eurent lieu. C'est au cours d'une de ces manifestations que le public algérois a pleuré en écoutant El hamdou lillah ma b'qache listiâmar fi bladna, chanson inoubliable du maître chaâbi, le regretté hadj M'hamed El Anka. Chanson dédiée à ceux qui ont tout donné pour que vive l'Algérie, un salut émouvant aux combattants et à la jeunesse. Les youyous, les applaudissements, les larmes de bonheur... l'émotion était indicible. L'espoir devenait certitude. Devant cet enthousiasme, devant cette capacité d'organisation que nous constations partout, devant cette explosion des initiatives, devant l'immense solidarité, une réalité s'imposait. Aucun obstacle, aucune difficulté ne peuvent être insurmontables lorsqu'un peuple arrive à puiser dans sa générosité, dans sa tradition de solidarité. C'est donc de façon tout à fait naturelle qu'est apparue sur les murs d'Alger, une réalité « Un seul héros, le peuple ». Voilà une affirmation qui s'appuyait sur les faits quotidiens : c'était la réalité. Tout le monde était motivé, l'effort consenti était grand, à la mesure de nos convictions et de nos espérances. Elles étaient grandes. Tout un peuple mobilisé comme un seul homme, malgré des attentats quotidiens et un climat de terreur que l'OAS persistait à maintenir. Cette mobilisation nous conforta à poursuivre l'organisation de cette zone tout en renforçant nos capacités militaires pour protéger les citoyennes et les citoyens. Malgré la convocation du CNRA pour assister au Congrès de Tripoli, Omar Oussedik et moi-même préférâmes rester sur place, sur le terrain, pour poursuivre la lutte contre l'OAS. Après le 19 juin 1965, Ferhat Abbas, en parlant du Congrès de Tripoli, réuni à partir du 27 mai 1962 déclare : « Il ne fut en réalité qu'un vulgaire règlement de comptes, sans honneur et sans grandeur, surtout lorsqu'on se rappelle qu'à la même époque, l'OAS multipliait des crimes sur le territoire national. » Et notre rêve devint réalité, quand les clefs d'Alger, débarrassée de l'OAS, furent remises par moi-même à Benkhedda, président du GPRA arrivé à Alger. Une explosion de joie populaire indescriptible traversa tout Alger durant de nombreuses journées. Cependant, nous, en tant que responsables de la ZAA, avions de grandes appréhensions sur la crise GPRA-état-major qui risquait d'avoir des conséquences désastreuses pour tout le pays. La suite des événements nous donna raison. Commandant Azzedine