« Si un peuple a les seuls gouvernements qu'il mérite, quand mériterons-nous de n'en avoir pas ? » Paul Toulet Bouhadef avait déjà démissionné en 2004. Il avait tenté « de remettre sur les rails le train du FFS, sans y parvenir ». Le FFS connu pour défendre la démocratie et l'Etat de droit « a complètement dévié de sa trajectoire ». La direction actuelle n'offre, selon lui, aucun espace de débat, ni de recours. Elle gère d'une manière autoritaire les affaires du parti. Comment voulez-vous arriver à instaurer la démocratie et un Etat de droit lorsqu'au sein même du parti, on ne respecte pas l'indépendance des trois pouvoirs Un homme pondéré comme lui, un type bien qui a toujours su faire la part des choses, qui s'insurge de la sorte, c'est que, de toute évidence, il n'en pouvait plus. La coupe a débordé. C'est pas un coup de tête, c'est plutôt un coup de gueule », témoigne un des amis de Mustapha Bouhadef, ancien premier secrétaire du FFS, dont il est membre depuis 17 ans et qui a claqué la porte de ce parti avec fracas, cette semaine. De la révolte et beaucoup d'amertume. Bien qu'avec du recul, à son domicile où il nous a courtoisement reçu, M. Bouhadef n'en garde pas moins les stigmates d'une colère non retenue. La brisure a dû être si profonde qu'il s'est fendu sans gants, d'un communiqué au ton rageur, très dur, mettant à nu « les pratiques et dérives de la direction » du plus vieux parti d'opposition. « Une situation kafkaïenne, résume-t-il, où le plus sensé se perd en conjectures. A n'y rien comprendre. » Voilà, le décor est planté et notre interlocuteur n'y va pas de main morte pour fustiger tous ceux qui ont mené le parti là où il est, c'est-à-dire du milieu de nulle part, loin des idéaux pour lesquels, pourtant, des milliers de militants continuent toujours de se battre. Dans son appel, M. Bouhadef a pris fait et cause pour les cadres et militants « qui ont eu droit à une bastonnade à l'intérieur même du siège national. Parmi eux des anciens de 1963 qui, au péril de leur vie ont permis au FFS d'entrer dans le panthéon de l'histoire de la lutte pour la démocratie en Algérie. Récemment encore, les militants invités à assister à la conférence nationale d'audit du FFS tenue à Zéralda ont été soumis aux caprices d'une société de gardiennage qui assurait la sécurité… » Qui est M. Bouhadef ? Mustapha est né le 29 avril 1938 à Ath Yenni. Son père, Mahiedine, était instituteur. Le cursus scolaire du jeune Mustapha a été normal. Ecole primaire dans son village natal, puis l'internat au collège moderne de Tizi Ouzou, interrompu par la grève de mai 1956 qui a vu la fermeture de l'établissement et bon nombre de jeunes lycéens rejoindre le maquis. En 1957-1958, Mustapha décroche la première partie du bac et la seconde l'année suivante. Dès lors, il va poursuivre ses études en France, précisément à Poitiers où il choisira la physique jusqu'au 3e cycle. Etudes couronnées par un diplôme qui consacrera sa thèse sur la mécanique des fluides. Il rentre à Alger en 1967 et enseigne à l'université en qualité de maître assistant. « Ce qui me réchauffe le cœur, c'est qu'avec un groupe de collègues, on a lancé cette spécialité en Algérie. On en est les précurseurs. Actuellement, au niveau de la faculté de physique de Bab Ezzour, c'est le département d'énergétique et de mécanique des fluides qui a formé le plus de docteurs ès sciences. C'est un peu ma fierté », lance-t-il avec une lueur dans les yeux. Bien qu'accaparé par plusieurs fonctions, directeur de département de physique à Alger, responsable du laboratoire, chargé de lancer des filières, il finira par préparer une thèse de doctorat d'Etat en 1977 qu'il soutiendra à Poitiers du fait qu'à l'époque les soutenances à Alger étaient suspendues. De son premier séjour en France, Mustapha en garde des souvenirs vivaces. « Je faisais mes études supérieures sans bourse. Je vivais grâce au football car je jouais dans le club local de Poitiers qui évoluait en CFA. Cela m'a beaucoup aidé. J'étais titulaire au milieu ou en attaque. Je pouvais signer en Division II, mais je ne voulais pas compromettre mes études. » Au milieu des années 1970, il est nommé responsable de la station de l'énergie solaire de Bouzaréah. En 1979, il est recteur de l'université de Bab Ezzouar. Auparavant, il avait créé le centre de recherches en énergies nouvelles. Il restera à son poste à l'université jusqu'en 1983. « La création de commissariats donnera lieu à un divorce entre ceux-ci et l'université. En vérité, concède-t-il, il n'y a jamais eu de volonté politique de donner la priorité des priorités à la formation supérieure et à la recherche. Déjà, à l'époque, j'avais des projets ficelés, mais à cause du système bureaucratique, hélas tout est tombé à l'eau ! » « Ce qui me fait encore plus mal au cœur, c'est que ces pratiques perdurent et sont à l'origine de la saignée de cerveaux et leur exil forcé. La priorité, aujourd'hui, est de stopper cette hémorragie. Les gens veulent travailler dans des conditions honorables et vivre dans des conditions décentes. Un exemple édifiant. Un chercheur d'un pays du Sahel est mieux considéré et nettement mieux rémunéré que son homologue algérien. C'est vous dire ! » Ce scientifique attitré est tenté par la politique qu'il définit tout simplement comme un outil de la démocratie. « C'est-à-dire avoir la possibilité de défendre un point de vue sans avoir à l'imposer aux autres. J'ai beaucoup milité. J'ai eu énormément de satisfactions mais aussi des déceptions. » Lorsqu'il était étudiant en France, Mustapha était structuré au sein du FLN. Il a même fait l'école des cadres du parti à Cologne, promotion docteur Benzerdejb au début des années 1960. « J'ai refusé systématiquement de réclamer mon attestation communale le jour où l'appartenance au FLN est devenue un fonds de commerce. » Après 1962, il se retire du parti. Sa frustration de ne pas tâter de la politique sera compensée par un travail acharné au niveau des responsabilités qui lui ont été confiées même au niveau du… football. Et oui ! Bouhadef aux côtés d'autres cadres a été appelé par le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque, M. Houhou pour présider à la commission technique nationale et épauler l'entraîner Rogov qui préparait à l'époque les qualifications au Mondial espagnol de 1982. Mauvaises nouvelles du Front « C'était une époque formidable. On a fait un travail énorme. Une belle épopée qui ne peut s'oublier et qui restera dans les annales du sport algérien. L'ingratitude, c'est que nous qui avions tout préparé n'avions même pas été invités au Mondial, Rogov y compris. » N'empêche, Mustapha sera de nouveau sur le gril quelques mois plus tard, en qualité de vice-président de la FAF. Bouhadef ne renouera avec la politique qu'avec l'ouverture démocratique et l'avènement des partis en 1989. Il s'était déjà rebellé Il rejoindra le FFS en 1990 qu'il ne quittera qu'au cours de ces derniers jours. Il s'était déjà rebellé en 2004 lorsqu'il refusera le poste de secrétaire national, en raison « d'injonctions et d'un désaccord » sur la composante du secrétariat national. « J'ai décliné le poste, mais je suis resté au parti, malgré les dénégations de M. Cherifi dont les attaques étaient aussi stupides qu'injustifiées. M. Cherifi clamait à qui voulait l'entendre qu'il était témoin qu'on ne m'avait jamais imposé les membres du secrétariat. Comment pouvait-il témoigner alors qu'à la période citée il était absent et que je n'avais pas eu le moindre contact avec lui durant cette période. » Ce qui est sûr, et la réalité l'a confirmé, le FFS est un grand consommateur de premiers secrétaires. Plusieurs se sont succédé en un laps de temps relativement court. Les plus optimistes brandissent la carte de l'alternance, les autres y voient le spectre de l'autoritarisme. « La question mérite d'être posée. C'est une caractéristique un peu flagrante », se contente de dire l'ancien responsable. Comble de l'histoire : ce sont presque les mêmes termes critiques adressés au pouvoir qui sont employés pour dénoncer les dérives du parti. « Ce sont les mêmes dérives, celles du pouvoir, qui sont l'autoritarisme absolu. L'APN sortante, je ne l'appelle pas chambre d'enregistrement mais chambre d'anticipation sur les désirs du chef. Pour preuve, la constitution… » « Le minium de liberté et de démocratie est en train de disparaître. On ne peut plus rien faire. Les espaces de libertés se rétrécissent comme une peau de chagrin. Les dernières élections sont une parodie, une réponse cinglante du peuple au pouvoir. Le fossé entre gouvernants et gouvernés se creuse davantage sans que les tenants du système s'en émeuvent… » l'opposition selon M. Bouhadef « est à géométrie variable qui évolue en fonction du moment, de certains objectifs, mais pas en direction d'une véritable alternative à proposer. » A sa décharge, la situation qui prévaut et qui nous incite à ne pas trop l'accabler parce que l'état d'urgence est toujours en vigueur, que le champ médiatique et politique est toujours verrouillé. « De plus, le pouvoir ne recule devant rien pour essayer de fragmenter au maximum la population. L'exemple des Arouch ? Il y a à boire et à manger (au sens propre et figuré). D'ailleurs, depuis quelque temps, on ne sait plus où ils en sont », ironise notre interlocuteur. Malgré tout, M. Bouhadef reste optimiste. L'Algérie a les moyens de s'en sortir. « Mais le redressement ne peut être que l'œuvre de la démocratie. » Le FFS, de son côté, peut-il s'émanciper ? Son chef, laisse-t-on entendre, s'occuperait désormais de la fondation créée par le parti. Ces questions et bien d'autres liées à la vie organique du Front ne semblent pas intéresser outre mesure M. Bouhadef qui, visiblement, a tourné la page. Définitivement. Parcours Mustapha Bouhadef est né le 19 avril 1938 à Ath Yenni dans une famille connue dans la région. Il a fait ses études primaires dans son village et secondaires à Tizi Ouzou au fameux Collège moderne. Après son bac, il « montera » en France à la fin des années 1950 pour poursuivre ses études supérieures à Poitiers. Physicien, il y fera des études de 3e cycle tout en s'adonnant à sa passion, le football. En effet, pour financer ses études, Mustapha évoluait au sein de l' équipe CFA de Poitiers. Structuré au FLN, il quittera ce parti au lendemain de l'indépendance pour se consacrer à son travail d'universitaire. A ce titre, le professeur occupera plusieurs postes aussi importants les uns que les autres. En 1990, il renoue avec la politique en intégrant le FFS. Il est élu député et devient même premier secrétaire du parti. Après 17 ans de militantisme, il rompt avec le Front, en dénonçant l'autoritarisme de sa direction et ses dérives.