Qui peut mieux que l'Algérien Henri Alleg, directeur du quotidien Alger républicain au temps des années de braises de la révolution algérienne, témoigner des affres de la torture des paras du général Massu ? Nombreux, oui, mais combien d'entre eux ont-ils gardé toute leur lucidité pour, 50 ans après, raconter dans le détail la dimension inhumaine et barbare de la pratique de la torture, et surtout militer aujourd'hui pour la dénoncer là où elle se pratique ? Henri Alleg ne se fait pas héros dans le film (documentaire) témoignage réalisé en 2002 par le cinéaste Jean-Pierre Lledo et projeté par l'association du ciné-club Nour à Bruxelles à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire de la révolution algérienne. Le militant du Parti communiste algérien de l'époque est revenu au pays à la rencontre de ses anciens camarades pour évoquer, avec eux, les temps de la résistance et du combat pour la liberté. A Alger, Annaba, Oran, Cherchell, Constantine, le personnage retrouve ses amis qu'il n'a pas revus depuis plus de 40 ans. Moments de grande émotion, souvenirs à la fois grandioses, nobles et douloureux. Il revisite la prison de Serkadji, « sa cellule », revoit l'immeuble d'El Biar de la DST où les services spéciaux (torture) du colonel Aussaresses l'ont « questionné » et où il a été témoin de l'assassinat de l'avocat Ali Boumendjel. Il évoque sur les lieux de sa jeunesse le souvenir de son ami Maurice Audin, le mathématicien qui, par a+b, a déduit à la justesse du combat des Algériens pour la liberté qu'il adopta jusqu'au bout de sa vie. Voix off, Jean- Pierre Lledo, narrateur d'une longue histoire où se mêlent les souvenirs d'enfance à Oran et les questionnements de l'adulte sur le présent et l'histoire récente faite des mêmes absurdités, où la violence remplace la tolérance, comme si les mémoires sont frappées d'amnésie. « On nous a choutés... », déclare sentencieusement le camarade de Cherchell. 40 ans après, Henri Alleg découvre que ses camarades restés en Algérie indépendante ont, eux aussi, vécu l'exil à leur manière. « Choutés de l'histoire, exclus du bonheur de la liberté retrouvée de tout un peuple », voulait exprimer le camarade de Cherchell. Celui de Annaba, il est décédé un mois après ses retrouvailles avec Henri. Il a eu le temps de rire, de pleurer et de revivre quelques souvenirs guerriers et intenses. Film sur la fraternité, l'amitié. Film sur l'histoire. Film sur le présent où l'auteur-narrateur en appelle, dans un cri à la tolérence, fraternité comme celles inscrites sur la tombe de l'aspirant Maillot. Film sur la liberté portée par les noms des guillotinés de Serkadji, sur lesquels le regard, la caméra s'accrochent et Lledo se rappelle et rappelle. Une heure cinquante minutes de témoignage sans que l'attention du spectateur s'en détache. C'est là aussi un challenge réussi, comme celui relevé un 1er Novembre 1954.