En flânant dans Kidal, et au détour de l'une des rues poussiéreuses de la capitale de la 8e région du Mali (1600 km au nord-est de Bamako), surgit cette enseigne qui ne saurait laisser indifférent un Algérien : « Comité de suivi de l'Accord d'Alger. » Placé sous l'égide du département du général à la retraite Kafougouna Koné, ministre de l'Administration territoriale (l'équivalent de notre Zerhouni), ledit comité est installé dans une résidence d'aspect rustique faisant face à la Maison du Luxembourg, sorte de maison de la culture financée par ce pays. Attenant à celle-ci, un camp militaire un peu particulier, constitué de tentes vert kaki sous lesquelles sont cantonnés quelque 200 jeunes de l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC) qui fédère les factions de l'ancienne rébellion touareg. Ces jeunes attendent d'entamer une formation militaire pour intégrer l'armée malienne, nous expliquera le colonel Hassan Fagaga, ancien chef rebelle. Qu'est-ce donc que ce comité de suivi ? « C'est un comité constitué de neuf membres : trois au nom du gouvernement malien, trois au nom de l'Alliance, et trois au nom de l'Algérie en tant que facilitateur », explique le général Mahamadou Diagouraga, président du Comité qui nous a aimablement reçus chez lui dans sa vaste maison située dans un quartier pauvre de Kidal en compagnie d'un représentant de notre pays. « Comme son nom l'indique, le comité est chargé de superviser la mise en œuvre de l'Accord d'Alger et veiller à sa bonne application avec la bienveillance du facilitateur », poursuit notre hôte. Une diplomatie active Les médiateurs algériens siégeant au sein du Comité sont établis à Kidal même, et ce, dans un territoire – le Sahel – marqué par une (féroce) guerre de positions invisible. Lamine et ses collègues logent dans une belle villa située à quelques encablures de la résidence d'Iyad Ag Ghali, icône de la rébellion touareg, lui le héros du soulèvement Azawad de 1990. Il faut dire qu'ils travaillent dans des conditions difficiles, loin des leurs. Parmi eux, il y en a qui sont sur place depuis plusieurs mois d'affilée, sous 45, voire 48°. « Nous sommes ici jusqu'à nouvel ordre », confie l'un d'eux : comprendre jusqu'au règlement définitif du conflit. « Le processus suit son cours. Jusqu'à présent, le dialogue est fluide entre les deux parties et nous ne faisons que les accompagner », affirme une source diplomatique algérienne en poste à Bamako. L'ambassadeur d'Algérie au Mali, M. Abdelkrim Ghreib (celui-là même qui était pressenti à un moment donné pour présider l'APN) est en contact permanent avec le Comité. Petit retour en arrière. Il y a une année, jour pour jour, le 4 juillet 2006, était paraphé à Djenane El Mithaq, un accord de paix entre le gouvernement malien et l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. L'Accord se voulait une réponse politique à l'insurrection armée menée par Hassan Fagaga et ses hommes à Kidal et Ménaka et couverte par Iyad Ag Ghali. Mais, au-delà de ce fait ponctuel, l'Accord entendait satisfaire les revendications de la population de Kidal qui se plaignait d'exclusion sociale, de retard économique et de marginalisation dans les institutions de l'Etat et les corps de sécurité. En gros, le document se présente comme un appui au Pacte national conclu le 11 avril 1992 entre le gouvernement malien et les mouvements et fronts unifiés de l'Azawad. Toutefois, le général Diagouraga insiste pour dire que « l'Accord d'Alger n'est pas un Pacte national bis. » Quel est le bilan de cet Accord un an après sa promulgation ? Ce qu'il faut retenir d'emblée, c'est que même si l'ex-rébellion soutient globalement les efforts d'ATT (Amadou Toumani Touré, le président malien), il n'empêche que des cadres de l'Alliance et pas des moindres, ont exprimé moult réserves au sujet de son application. Hassan Fagaga devait nous déclarer à ce propos que « rien n'est réglé au fond ». « Honnêtement, je n'étais pas satisfait personnellement du contenu de cet Accord. Mais j'ai fait preuve de compréhension. Je pense que nous avons fait beaucoup de concessions. Nous, ce que nous exigeons, c'est de tenir compte des spécificités de notre région. Or, il n'y a aucune clause qui parle de cela », dira l'instigateur des attaques du 23 mai 2006. On comprend que le principal point d'achoppement reste la revendication relative au « statut particulier » de Kidal, entendre une large autonomie pour la région. Pour sa part, Mohamed Ag Aharib, l'un des cadres politiques de l'ADC, estime qu'il y a des « lenteurs » par rapport au volet réinsertion des jeunes et développement socioéconomique de Kidal. Il fait notamment allusion aux 420 jeunes qui attendent de recevoir une formation militaire dont les 200 évoqués plus haut. A quoi ajouter un programme de soutien à des microprojets au profit de quelque 2400 chômeurs, programme piloté par l'Agence pour la promotion de l'emploi des jeunes. En attendant les bailleurs de fonds Pour résumer ce qui a été fait, d'abord, il y a eu la signature à Alger, le 20 février 2007, d'un mémorandum de mise en œuvre de l'Accord de paix entre le général Kafougouna Koné et Amada Ag Bibi, porte-parole et numéro 2 de l'ADC. Cela a permis d'arrêter un chronogramme des prochaines étapes. Ce mémorandum sera suivi, le 9 mars 2007, par le cantonnement à Kidal des ex-insurgés. Ainsi, quelque 2000 rebelles armés sont revenus du maquis. Ce retour a été suivi quelques jours plus tard par la restitution, sous l'égide du facilitateur, des armes et munitions emportées suite à la double attaque du 23 mai. « On reconnaît kalachnikovs, fusils chinois, fusils tchèques de type 9144. Plus loin, il y a des armes antichar et du matériel d'optique, plus loin encore sont entreposées 146 caisses de munitions, des explosifs et d'autres grenades. De l'avis des experts, 90% des armes ont été rendues », relevait Serge Daniel de RFI dans un compte-rendu. Troisième moment fort : la tenue, les 23 et 24 mars 2007, du Forum de Kidal, initiative qui répond à l'article 1 du second chapitre de l'Accord. L'objectif avoué du Forum était d'attirer des bailleurs de fonds pour alimenter un fonds spécial destiné à soutenir un programme décennal de développement socioéconomique du Nord. Son coût global est évalué à quelque 500 milliards de FCFA (près de 762,6 millions d'euros) qu'il va falloir trouver. Dernier fait en date : la mise en place des Unités spéciales de sécurité dont le commandement est confié à Hassan Fagaga, lesquelles unités sont censées absorber une partie des anciens combattants touareg. « Le bilan est globalement positif si l'on se réfère aux engagements pris. Tout l'Accord est pratiquement appliqué », commente le président du Comité de suivi. Le général Diagouraga – qui est en vérité un général de police – connaît très bien le dossier de la rébellion touareg. Il a été commissaire à Gao avant de terminer patron de la police nationale malienne. Il a eu également une riche carrière diplomatique qui l'a propulsé ambassadeur du Mali à Alger « sous Boudiaf », précise-t-il. Il a été également consul du Mali à Tamanrasset pendant quatre ans. L'homme aura été de toutes les négociations avec les insurgés touareg, depuis celles de janvier 1991 à Tamanrasset. Une expérience qui lui vaudra le poste de Commissaire pour le Nord auprès du Président de la république. Pour lui, « le Pacte national avait déjà pris en charge l'ensemble des questions soulevées par les différentes rébellions touareg ». A propos du volet réinsertion des jeunes, le général pose le problème de la préparation aux arcanes de la gestion. « Beaucoup n'ont connu que le métier des armes et il va falloir les former », dit-il, avant de souligner : « Depuis 1994, quelque 10 000 jeunes ont bénéficié d'un programme de 14 millions de dollars en forme de microcrédits. » Il cite ainsi le cas de petites laiteries qui commencent à donner leur fruit à Kidal. Interrogé sur l'impact de l'affaire Bahanga, Mahamadou Diagouraga estime que c'est un acte tout à fait marginal. « Cela ne nous a guère atteints. Si c'était venu de Iyad Ag Ghali ou Amada Ag Bibi, cela nous aurait affectés. D'ailleurs, les cadres de l'Alliance ont tout de suite condamné et ont même tenu un meeting au lendemain de l'attaque pour dénoncer Bahanga. », dit-il, avant d'ajouter : « Nous avons été dans les villages et dans le fief même de Bahanga pour rencontrer la population. Elle a exprimé un soutien indéfectible pour l'Etat. Les gens ont dit : nous sommes tous des Maliens. Bahanga est aujourd'hui aux abois. » Pour avoir consacré une bonne partie de sa carrière au dossier « Azawad », Mahamadou Diagouraga se félicite, in fine, du chemin parcouru depuis le Pacte national de 1992. « J'ai vu ce qui a été fait en quinze ans. Il n'y avait même pas un bout de lumière dans cette ville. Si on m'avait dit il y a quinze ans que Kidal serait ce qu'elle est aujourd'hui, je ne l'aurais pas cru », confie-t-il. Le général ajoute qu'un Fonds spécial de développement a été créé. Il reste à l'alimenter afin d'éviter une nouvelle crise. Alger est au nombre des bailleurs. Et M. Diagouraga de saluer « au nom du gouvernement malien cette présence constante de l'Algérie ». « Je connais la situation des gens du Nord, les facilités qu'ils ont depuis l'Algérie. Kidal et le nord du Mali marchent grâce à la bienveillance de l'Algérie. J'ai vécu la sécheresse de 1984 et je suis témoin de ce qu'a fait pour nous ce pays frère. » Extraits de l'accord- Création d'un Conseil régional provisoire de coordination et de suivi. Le Conseil participe à la promotion de la bonne gouvernance politique en aidant à une meilleure utilisation des compétences locales et régionales dans les rouages de l'Etat. Organisation d'un forum à Kidal sur le développement en vue de la création d'un fonds spécial d'investissement pour mettre en œuvre un programme de développement économique, social et culturel. Dans le domaine de l'emploi, créer des petites et moyennes entreprises, octroyer des crédits et former les bénéficiaires dans les domaines de la gestion. Désenclavement de la région par le bitumage des axes routiers principaux : de Kidal vers Gao, Menaka et l'Algérie. Réalisation de l'aérodrome de Kidal. Mise en place d'une radio régionale et d'un relais de télévision nationale (…) et prévoir une heure d'antenne par jour pour la région dans les programmes de la radio et de la télévision nationale. Dans le domaine sécuritaire : oursuite du processus de délocalisation des casernes militaires dans les zones urbaines, conformément aux dispositions du Pacte National. Retour, sous l'égide du facilitateur, de toutes les armes et munitions ainsi que de tous les autres matériels enlevés depuis les attaques du 23 mai 2006 de Kidal, Menaka et Tessalit. L'opération de restitution des armes se fera dans le lieu du cantonnement (…) et de manière simultanée avec la régularisation de la situation socioprofessionnelle du personnel cantonné. Création en dehors des zones urbaines de Kidal d'unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d'éléments issus des régions nomades. Gestion avec discernement des officiers, sous-officiers et hommes de rang qui ont quitté leurs unités d'origine pendant les événements du 23 mai 2006 en les intégrant, si besoin, dans les unités spéciales de sécurité. Création d'un fonds de développement et de réinsertion socioéconomique des populations civiles, notamment les jeunes touchés par les événements du 23 mai 2006 sans exclusion de tous les autres jeunes de la région de Kidal. Au titre des mesures prioritaires : libération de toutes les personnes détenues à la suite des événements du 23 mai 2006. Proposer les mesures appropriées pour une meilleure utilisation des compétences de la région dans les institutions de sécurité et de défense du Mali. Dans le cadre du plan de recrutement et de formation des jeunes de la région, élaborer un programme pouvant les préparer à servir, dans des proportions en adéquation avec les besoins opérationnels, dans les unités spéciales de sécurité, les corps de la garde nationale, de la gendarmerie, de la police, de la douane et des eaux et forêts.