Sidi Fredj ? trop pollué. Palm Beach ? Trop de monde. Bab el oued ? Trop de monde et trop pollué. Avec les beaux jours, arrive l'implacable question qui donne aux nombreux citadins de la capitale des envies d'oisiveté pour monsieur et de tricot pour madame. Mais que faire des nombreux chérubins qui scandent dès, l'arrivée des beaux jours, leurs droits à sortir pour piquer une tête dans l'eau de baignade de nos rives polluées et abandonnées. Annoncez la bonne nouvelle : Alger sera dotée d'une nouvelle plage. Dans 18 mois, le port d'El Djemila, plusconnu sous le nom de la Madrague, bénéficiera d'une nouvelle plage, d'environ 400 mètres de longueur. Dans 18 mois, c'est-à-dire quand l'été sera passé mais pas obligé de fournir cette dernière information à la famille. Il sera toujours temps de le dire fin août . En attendant, la pelleteuse travaille et creuse la roche revêche à déguerpir sous les griffes de la machine criminelle. Le rocher est noir. Probablement que la colère de disparaître de la surface de l'univers y est pour quelque chose. Il s'accroche comme il peut, le schiste couleur sombre, et s'effrite dès que la pelleteuse s'approche. Tantôt la roche métamorphique casse sous les rudes coups, tantôt elle s'effondre dans un fracas coléreux. Depuis qu'il est là, le fameux rocher, lui qui fut la niche des mouettes rieuses et qui servit de repères aux janissaires des embarcations vengeresses, il se doit de livrer une dernière bataille symbolique contre la pelleteuse et le chevalier qui la monte. Comme pour répondre à l'écho de détresse du rocher, la mer claque ses vagues contre les poutres et les carrés de pierres qui font barrage à la rive. Des mousses de vagues jaillissent et éclaboussent pompeusement les ouvriers de la future plage artificielle. Le vent qui vient de l'est soulève la poussière laissée comme de la cendre par le rocher assassiné. Se dégagent derrière le monstre, dont il ne reste plus rien, quelques grottes creusées à l'intérieur de la colline qui plante le décor de la madrague. Adieu les rochers, Au revoir les grottes ! Sombres et en contrebas, elles dégagent des odeurs de pourriture. Dès l'entrée des grottes, une énorme flaque d'eau mousseuse annonce une profondeur invisible. Difficile de connaître la nature exacte de cet étang d'eau. Eaux usées, relents marins ou des litres de bière non consommée (ou rejetée après consommation, beurk) ? « C'est un peu dur pour l'écosystème du coin tous ces changements ? » « Quel écosystème ? Le seul écosystème que je connaisse dans le coin c'est la prostitution et la drogue », déclare un technicien sur place. Pourtant, l'endroit est connu comme étant la niche de certaines espèces de poisson et, en principe, il ne peut être procédé à la construction d'une plage artificielle pendant la période de la ponte des poissons. « Le seul ménage qu'il a fallu faire est celui des sachets plastiques et des canettes de bière », reprend le technicien. Selon les propos qu'il aurait recueillis des commerçants des alentours, la plage artificielle du port d'el Djemila est accueillie avec beaucoup d'enthousiasme. Pour sûr, la plupart des commerçants sont des restaurants ou des cabarets. « Cela devrait attirer de la clientèle et diversifier peut-être le type de fréquentation », affirme le technicien d'un laboratoire d'étude maritime qui insiste pour ne pas voir son nom dans l'article. Il ne fait pas cas de la disparition du rocher et prétend à ce sujet, qu'à terme, le rocher pouvait constituer un danger pour les riverains puisqu'il s'effritait sporadiquement. Un ouvrier intervient et déclare en montrant du doigt le versant ouest de la Madrague : « Regardez la plage qui existe déjà à la madrague. Elles est toute petite et ne suffit plus. » Face à différents restaurants qui ont placé tables, chaises et parasols pour leurs clients en bord de mer, la petite plage semble trop étroite pour les vacanciers. Agglutinés comme des sardines, il en est difficile de distinguer qui est avec qui. Les travaux s'étalent sur environ 400 m mais la plage ne devrait faire que 300 m de longueur. D'entrée, ce qui frappe est la profondeur de la mer à l'endroit où s'effectuent les travaux. Mais, visiblement, tout à été prévu. Une jetée devrait permettre de résoudre le problème lié au fort courant marin et qui vient de l'est. Les travaux qui ont débuté voilà un mois ont permis de dégager le terrain des nombreux rochers. Dans une seconde phase, il va falloir remblayer les grottes et les remplir de sable. Elles vont disparaître. Même topo pour le rocher qui fait face à la plage artificielle et qui est plongé dans l'eau de mer. Nous allons remplir la jetée de sable et faire prendre à la plage une hauteur de 3,50 m par rapport au niveau de l'eau actuellement. C'est-à-dire que le rocher, que les vagues viennent lécher, ne sera plus qu'un souvenir enfoui sous le sable comme dans une tombe sous les jeux de jambes de nageurs. Il y aura, également, des gradins en escaliers et un solarium. « Ce sera vraiment magnifique, il faut voir les plans », promet-on. En attendant la réalisation de ce projet magnifique, une dernière esquisse de nature morte s'offre aux regards des visiteurs de la madrague. Les vagues continuent d'apostropher la roche et le vent de gémir ses plaintes incessantes. Le rocher noir a fini en poussière et ses restes sont amassés dans le camion citerne. Les grottes finissent de vomir leur haine contre l'homme et une mouette étourdie a repris le large. Elle a compris.