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Le tonnerre gronde toujours sur l'oasis de Bou Saâda
En proie à un bouillonnement de colère depuis samedi dernier
Publié dans El Watan le 07 - 07 - 2007

La « cité du bonheur », traduction littérale de Bou Saâda, était autrefois incontestablement une ville confortable et promise à un avenir radieux. Alphonse Etienne Dinet en disait : « Si le Paradis est dans le ciel, certes il est au-dessus de ce pays, s'il est sur terre, il est au-dessous de lui ».
Eh bien, de cette ville qui fut un véritable enchantement pour des yeux épris de nature, on en garde aujourd'hui tout juste le souvenir oblitéré d'une lointaine réputation de ville touristique qui lutte, à ce jour, désespérément contre la récession économique locale. L'heure indique 8h45 à notre arrivée, ce mercredi, au théâtre des émeutes à Bou Saâda et les rues sont encore relativement désertées par les foules à cause de la saison chaude. A noter que dès les premières lueurs du jour, Bou Saâda tend à devenir une fournaise. Ce n'est donc pas pour une raison sécuritaire que ses habitants ont préféré, ce jour, rester chez eux, ils le font habituellement, du moins jusqu'à ce que la température soit devenue clémente. Curieusement, la chaussée, par endroits, est noircie à peine par des incendies de pneus et parsemée de rares galets, traces, tout de même, de violents affrontements serrés, survenus depuis l'annonce du « triste sort » de l'ABS, considéré comme la seule raison de vivre de cette population richement représentée par 14 tribus. On nous instruira de la mesure prise par l'APC de ne rien laisser, notamment sur le boulevard principal, et de rendre, si possible, le paysage « nickel » chaque fois que l'agitation populaire est maîtrisée. « On n'avait plus que cette fierté, notre club de football, l'ABS, pour nous enivrer et oublier qu'on est des laissés-pour-compte et voilà qu'on nous assène le coup de grâce en le faisant dégringoler en interligues, au mépris des articles 128, 160 et 161 des règlements généraux », fulmina M. B., connu sur la place pour sa culture polyvalente et qu'on a pu approcher par aiguillage. Son ami G. H., dont on nous a dit qu'il ne se sépare jamais de lui, le relaye en accusant carrément : « C'est le frère du Président qui a foutu la m… en intercédant en faveur de Sidi Bel Abbès pour le motif que chacun sait », allusion faite à une relation parentale.
Le statut de wilaya revendiqué
La couleur est d'ores et déjà annoncée et tous s'affichaient qui pour accuser les autorités locales, qui pour s'en aller au-delà ! Rattachée à M'sila depuis 1974, Bou Saâda semble regretter le très controversé exercice tutélaire de l'ex-wilaya du Titteri, bien que ses habitants préfèrent qu'elle accède pleinement au rang de département. « Vous rendez-vous compte que pour un document qui demande au plus une heure, on nous fait poireauter toute une journée à M'sila », reconnaîtront tous les deux en rajoutant presque à l'unisson qu'il ne reste plus qu'à y transférer l'état civil dans les archives nécrologiques. Mais cette phobie à l'égard du chef-lieu de wilaya est loin d'être justifiée par une simple question de documents à produire ou d'une quelconque maille à partir avec les natifs de M'sila, ce phénomène étant plus ou moins le quotidien des autres Algériens par ailleurs. A vrai dire, les Bousaâdis ont toujours revendiqué le statut de wilaya, s'estimant en mesure de l'assumer dignement grâce à un réservoir de cadres dont ils disposent dans la Fonction publique essentiellement. « L'extrait de naissance de Bou Saâda date d'une période très ancienne, il est donc logique de réclamer ce statut », nous dit M. B., visiblement outré. Le football serait-il finalement un bouc émissaire ? « Non », répliqua-t-il : « Il est seulement la goutte qui a fait déborder le vase, ce qui ne signifie pas qu'on va lâcher l'ABS. » Le problème présenterait donc une ambivalence, soit deux aspects qui sont désormais intimement liés ! A la question de savoir si la LNF, après un nouvel examen du cas ABS, reconsidère sa position et rétablit ce club dans « ses droits », voici la réponse du président du comité des supporters de l'ABS, Benaceri Mohamed, que nous avons joint dans une maison précise : « Que personne ne tente surtout de s'exprimer à notre place ou d'agir par mandat improvisé, c'est nous la société civile car, nous sommes l'émanation de la population profonde, celle qui vit les affres de la pauvreté, le dénuement et le désœuvrement total. » Et mettriez-vous un terme à l'émeute si l'ABS était maintenue dans le gotha national, avons-nous insisté ? « Nous n'aurons pas l'esprit obtus si jamais ceci arrive mais à condition que l'Etat soit plus regardant de notre côté. Après tout, nous sommes des Algériens autant que les autres, qu'on nous place sous la tutelle administrative de Djelfa en attendant des jours meilleurs. » Pour être arrivé jusque-là, dirait un non-averti, il faut admettre que vivre sous administration m'silie est synonyme de la croix et la bannière. Par contre, si l'on connaît l'histoire de la région, on s'abstiendrait de faire hâtivement cette déduction pour aller chercher les raisons du vœu de se rapprocher de Djelfa dans des caractéristiques identitaires propres à la tradition, au langage et bien plus pour beaucoup, à l'appartenance tribale, un élément fondamental et déterminant dans la vie de société dans la steppe algérienne. Parmi des jeunes rencontrés par hasard dans un café, il y avait un, blessé, Z. A., 24 ans, dont le bras gauche, entièrement bandé, était bien amoché : « J'ai été brûlé par une colonne d'eau bouillante qui a giclé d'une lance de camion de police antiémeute. » Il explique que si sa surprise le figea sur place au moment où la police chargeait, c'est parce que la manifestation de samedi était pacifique. Après, les choses ont pris une tournure grave, continua-t-il, et les manifestants se sont redéployés comme dans la guérilla urbaine, agissant par vagues successives, alternativement à partir de ruelles anguleuses et resserrées car, il était plus facile de s'y fourvoyer pour des policiers accourus d'ailleurs, en l'occurrence de Bordj Bou Arréridj. Les jeunes manifestants, près de 10 000, d'autres avancent un chiffre de 20 000, étaient munis de portables leur permettant systématiquement d'attaquer et d'effectuer des replis stratégiques en restant à l'écoute les uns des autres. Ils étaient pour la plupart à bord de cyclomoteurs et armés de cocktails Molotov. Nullement préparés à faire face à des manifestants qui opèrent de la sorte, les policiers, de l'avis de bon nombre de citoyens, non impliqués dans l'émeute, au lieu de se masser devant les édifices publics pour les protéger, se sont déployés dans les quartiers densément habités en se rabattant sur des personnes n'ayant aucune relation avec l'événement, si ce n'est de s'être trouvées au mauvais endroit et au mauvais moment. Nous citerons le cas de ce jeune pharmacien BCBG qui a été rudoyé alors qu'il était en train de laver sa voiture devant chez lui, ou ce mécanicien, M. B., qui a été atteint à l'œil par un engin fumigène ou encore cet hémiplégique qui a été malmené. Mais le cas le plus flagrant, selon ces citoyens, est ce vieux de 75 ans qui a reçu une tannée et dont le front a été ouvert par un coup, juste parce qu'il aurait demandé aux policiers de ne pas projeter de fumigènes à l'intérieur des maisons et de ne pas blasphémer et dire des grossièretés ! Même la presse a été prise à partie alors que la manifestation était à ses balbutiements. Le cas de notre confrère du quotidien Al Khabar atteste on ne peut mieux de la mauvaise manière à juguler de tels mouvements. Ce qui a fait dire à certains que si le premier épisode de ce malheureux événement avait été pris en charge sagement par une police du coin, il aurait vite fait d'être circonscrit.
« un haggar sans pitié »
Notre jeune ira jusqu'à affirmer avoir assisté à une scène de violence policière caractérisée de la part d'un agent frappant de ses godasses la tête d'un jeune manifestant, pourtant mis à terre ! Côté hôpital, selon des confrères, la situation est alarmante. En revanche, la version officielle ne recense que quelques cas souffrant de petits bobos. Ni le chef de daïra ni le maire n'ont pu nous édifier sur le nombre des uns et des autres ! Quant au chef de sûreté de daïra que nous avons tenté de joindre par téléphone, il était abonné aux absents et à notre tentative de le voir au commissariat, rien n'y fit, il était en mission quelque part. Pourtant, il a pointé à chaque endroit où nous sommes passés, n'ont pas hésité à nous dire les personnes que nous avions contactées ! Le président du comité des supporters B. M., embarqué de chez lui et placé en garde à vue avant d'être relâché par le procureur, sera tranchant dans sa déclaration envers ce responsable : « Nous voulons son départ car il n'arrête pas de nous provoquer, c'est un haggar sans pitié », et non sans le rendre responsable d'avoir terrorisé de nombreuses fois sa mère, une septuagénaire. Bou Saâda aurait donc une panoplie de problèmes et si l'on s'en tient à l'avis de la population, il faut tout revoir dans le cadre d'un mouvement des corps constitués car, le wali et le chef de daïra sont également l'objet de contestations. Ce dernier, Touiba Mohamed, a accepté de faire l'impasse sur un rendez-vous pour nous recevoir dans son bureau. « Je suis au regret de dire que la population ignore la réalité, elle en est même très loin. Il est vrai qu'avant 2004, Bou Saâda accusait un retard notable dans les infrastructures et les équipements publics et les causes en sont multiples, notamment le fait que cette ville n'était pas préparée à recevoir le flux migratoire qu'elle a connu lors de la décennie noire, en sus de recevoir déjà, dans la journée, une bonne partie des 23 communes dites du sud de la région. » Et d'ajouter : « Ceci n'est plus vrai aujourd'hui puisque beaucoup d'opérations ont été réalisées en matière de réseau routier, d'acheminement de l'eau potable, d'évacuation des eaux usées, de santé, de logement... et le travail existe à profusion dans les secteurs du bâtiment et de l'agriculture. » Il notera que la commune qui accusait par le passé un déficit budgétaire et qui ne fonctionnait que grâce à des subventions d'équilibre pour un budget tournant autour de 300 millions de dinars, vient de bénéficier exceptionnellement d'un montant conséquent destiné à l'entretien de la ville, à l'achat de vide-fosses, de caisses à ordures. ainsi qu'à l'éclairage public. « Tous les quartiers de la ville ont tiré avantage des programmes de réhabilitation », nous a certifié le P/APC, Saâd Malki. En allant retrouver nos premiers interlocuteurs afin d'en faire le recoupement avec le bilan donné par le chef de daïra, tous déclarent que rien de concret et de consistant n'a été accompli à ce jour par l'Etat ! Pour eux, Bou Saâda a raté tous les rendez-vous de l'histoire, 1962 : l'indépendance, 1966 : les programmes spéciaux, 1974 : le premier découpage administratif, 1984 : le second, etc. Selon eux, Bou Saâda n'a pas changé d'un iota. Le chef de daïra nous a communiqué l7 857 unités que constitue le parc logement de sa circonscription et une demande qui frôle les 15 000 sur une population de 130 000. Le P/APC soutient que l'effort est considérable et à propos des événements, il dira : « Nous faisons de notre mieux pour apaiser les ardeurs en multipliant les contacts avec la société civile, des notables, d'anciens député, etc. » Allez savoir laquelle des deux sociétés civiles est la plus représentative, celle-ci ou la masse populaire représentée, entre autres, à travers le club de football directement ? A ce sujet, il faut préciser que celle citée en premier a été appelée d'urgence par le wali à une réunion tenue mercredi à 15h afin de constituer une cellule de crise et d'apporter son assistance aux autorités locales, a-t-on appris de Si El Hadj Hattab, un ancien moudjahid et notable de la région. Ironie du sort, dans la même journée, vers 21h, les émeutes ont repris de plus belle, alors que la veille, un groupe de manifestants s'est attaqué au siège de la sûreté urbaine à l'aide de fûts et de pneus incendiés, les échauffourées ont duré jusqu'à une heure tardive de la nuit de mardi à mercredi. Mais ce qui laisse pantois lors de cette nuit agitée de mercredi, est certainement le fait marquant que le magasin de l'ex-président de l'ABS, une droguerie et quincaillerie, a été saccagé dans la nuit de mercredi à jeudi. Laihar Nadhir, puisqu'il s'agit de lui, est selon les supporters du club une référence régionale en matière de relations d'aide et d'assistance au football et d'une manière générale à tous ceux qui sont dans le besoin. Qui a donc bien pu commettre ce crime alors que tout le monde ici, à Bou Saâda, voue un respect absolu à ce « symbole » ?, se demande tout quidam. Les soupçons pèsent cependant sur un responsable des services de sécurité dont la victime, elle seule, connaît l'identité pour avoir eu déjà des démêlés avec lui par le passé. Ceci nous a été confié par le concerné au téléphone jeudi tard dans la nuit. En tout cas, les dégâts ont été évalués entre 450 et 500 millions de centimes, a déclaré M. Laihar. Aux dernières nouvelles, les jeunes manifestants appréhendés, une trentaine, qui étaient détenus dans l'attente de leur procès, ont été remis en liberté suite à l'intervention du wali. Il ne reste plus que ceux qui ont été pris en flagrant délit de destruction, moins d'une dizaine, a-t-on appris par téléphone de Si El Hadj Hattab, un des membres de la cellule de crise. Ce groupe de jeunes encore détenu, comparaîtra après-demain devant le juge du tribunal de Bou Saâda. La fin des hostilités dépendrait également du procès de lundi si l'on en croit la version des supporters de l'ABS. Néanmoins, la ville, et par extension ses environs, risque de connaître un climat d'hostilité en puissance dans les jours à venir si l'Etat ne réagit pas avec sagesse et équité. La situation reste donc tendue et rien ne laisse présager une accalmie, sauf le temps de reprendre son souffle pour « mieux charger les services de sécurité ». Les manifestants promettent des vertes et des pas mûres pour tous ceux qu'ils trouveront sur leur chemin, ne cessaient-ils de jurer.


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