La table ronde sur les flux migratoires et leur impact sur le développement abritée par le forum El Moudjahid la semaine dernière remet sur la table la question épineuse de l'émigration et ses effets aussi bien sur le pays d'accueil que sur le pays d'origine. En Europe, on parle volontiers actuellement d'aides au retour à l'échelle de l'individu et d'aides au développement, voire de codéveloppement, idée force des années 90, à l'échelle des pays, pour fixer les populations dans leurs régions d'origine. L'idée est certes séduisante de prime abord. Il reste cependant qu'une telle approche va toujours de paire avec une volonté de restriction des libertés de mouvements des individus, au profit d'une émigration de « luxe » qui servira en fait à écrémer encore plus les sociétés du sud, pour faire des émigrés des acteurs de développement bon marché dans les pays riches.L'Algérie, qui a vu dès les années 1930 un départ massif de ses ressortissants — confinés dans la misère la plus totale par le colonisateur — vers la France où la main-d'oeuvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se faisait rare, est confrontée aujourd'hui encore à la fuite des cerveaux et des jeunes en mal de vivre vers l'Occident par des voies légales et clandestines et une arrivée importante de ressortissants africains et asiatiques sur son sol. Une situation complexe qui engendre de nombreuses difficultés économiques pour un pays qui a consenti d'énormes efforts, depuis les années 70 pour la formation de ces cadres et qui s'en trouve privé au profit de puissances qui en retour rechignent à s'investir pleinement dans les aides au développement des pays du sud. Les pertes sont d'autant plus importantes pour l'Algérie par rapport à ses voisins maghrébins que la population émigrée ne rapatrie via le circuit officiel qu'une partie minime de ses revenus. Une situation qui est à maintes fois dénoncée par les autorités, mais qui est en fait due notamment à la gestion bureaucratique du système bancaire et aux incohérences multiples du système financier qui font vivre à tout candidat au transfert de devises vers son pays un véritable parcours du combattant et à des délais incroyablement longs. Avec des milliers de médecins et d'informaticiens expatriés, alors qu'ils ont reçu toute leur instruction en Algérie, des milliers de chercheurs toutes filières confondus attirés par des postes en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada, les pertes sont sèches pour l'Etat qui perd ainsi « un retour d'investissement important ». Pour les causes de cet exode qui saigne le pays, il reste clair que les conditions de travail difficiles de cette élite sont une cause qui motive une décision de départ vers l'Occident. Une sous-rémunération, une sous-estimation des capacités managériales et intellectuelles des individus, des difficultés sociales, une bureaucratie qui empêche les chercheurs de faire leur travail sont quelques-uns des obstacles qui finissent par pousser à la fuite des milliers de cadres. Ceux-ci vont ainsi grossir les rangs de toutes ces éminences grises du tiers monde qui se retrouvent dans les pays riches à rendre de grands services au développement et à l'essor économique de leurs pays d'accueil et à la recherche mondiale. Une main-d'œuvre bon marché Dans son intervention, lors de la table ronde sur les flux migratoires organisées par le quotidien El Moudjahid, le 1er juillet dernier, M. Malek Serraï, consultant international, a estimé que le produit de la migration dans le monde avoisine les 250 milliards de dollars. Une somme importante qui donne un aperçu des bénéfices que tirent les pays riches des flux migratoires et rend dérisoire toute comparaison avec les montants de l'aide internationale aux pays en voie de développement. Abondant dans ce sens, M. Zahir Farès, également consultant et ancien président de la commission des affaires sociales au CNES, fait ressortir pour sa part le lien entre le phénomène migratoire et la dégradation des conditions économiques et de vie dans les pays d'origine, et cite les problèmes liés à la dette et aux programmes d'ajustement qui mettent les pays en développement en position de demandeurs d'emplois alors qu'ils sont pourvoyeurs par ailleurs de millions de cadres et de main-d'oeuvre qualifiée pour l'Occident. M. Zahir Farès en faisant un topo de la nature et des causes de l'émigration depuis des siècles du Sud vers le Nord estime que les flux migratoires ont permis pendant longtemps aux pays riches de s'offrir à bon marché une main-d'œuvre venue des pays du sud. Aujourd'hui l'émigration légale étant de plus en plus réglementée et filtrée — ce qui permet en fait aux Occidentaux de cibler le meilleur de la matière grise du Sud — c'est l'émigration clandestine qui procure la main-d'oeuvre nécessaire aux usines et à l'agriculture. Une situation de clandestins qui oblige ceux qui réussissent leur passage au Nord d'accepter une exploitation outrancière, des salaires de misère et des conditions de vie encore plus désastreuses que celles que connaissaient ces émigrants dans leurs pays d'origine.