La gouvernance économique publique s'évalue aussi à la qualité du dialogue social. La mise en concession du terminal à containers du port d'Alger en cours de négociation actuellement montre combien le chemin est long vers la confiance entre partenaires sociaux. Voilà un dossier, celui de l'ouverture des activités commerciales portuaires aux partenariats, où depuis le début, le pouvoir politique marche en crabe. Jamais de face. Un pas en avant pour sonder, un autre en arrière pour attendre, un pas de côté pour contourner, puis une diagonale pour surprendre. Cette parade nuptiale à un coût. Il n'est pas encore écrit en bas d'une facture. Mais on le devine. Au moment de conclure aujourd'hui une opération majeure, la double mise en concession des terminaux d'Alger et du port de Djendjen, une journée d'action, peut-être une grève de plusieurs jours, menace de paralyser les quais algériens de Ghazaouet à Annaba. La faute au choix du pouvoir. Celui de louvoyer au lieu de jouer franc le jeu, de faire des syndicalistes de vrais partenaires, d'exposer les motivations de la démarche de l'Etat dans la modernisation du trafic portuaire. L'historique de cette réforme est éloquent sur les intentions des pouvoirs publics de passer en « trichant ». En 1999, un décret exécutif annonce la réforme du secteur avec la séparation de l'activité commerciale (manutention, acconage...) sur les quais de l'exercice de l'autorité portuaire par l'Etat. Sa mise en application est impossible. Les syndicats et la corporation portuaire ont montré les dents. Ils avaient été tenus à l'écart. Manœuvre dilatoire, au même moment l'exploitation du port de Béjaïa passe entre les mains d'une joint-venture avec un partenaire de Singapour qui démarre dans le métier. La privatisation de l'exploitation portuaire a précédé son propre cadre légal et réglementaire. Celui-ci viendra seulement en mars 2006 avec un décret du gouvernement ouvrant au privé les activités de remorquage, manutention et acconage. Les syndicalistes se mobilisent à nouveau. Le ministre des Transports, Mohamed Maghlaoui, promet qu'aucune suite pratique ne sera donnée sans consultation du partenaire social. Ecran de fumée. Au même moment et dans le style reconnaissable de l'affaire de Béjaïa, une convention de gré à gré est signée avec Dubai Port World pour la création d'une joint-venture dans l'exploitation du terminal d'Alger et une autre pour celui de Djendjen. La marche du crabe. Le gouvernement est très embarrassé par les résistances syndicales. Il a perdu l'habitude depuis quelques années d'en rencontrer d'aussi solides dans un dossier de réforme marchande délicate. Mais comment a-t-on donc convaincu le syndicat de Sider d'accepter les Indiens d'Ispat, devenus Mittal puis Mittal Arcelor depuis ? Peut-être en organisant son intégration comme partenaire de la transaction. La technique du camouflage et de la prise par les revers n'est pas la bonne. Certes, associer son partenaire social à des approches stratégiques, comme celles d'un changement de statut des activités portuaires, c'est un pari difficile. Il implique un vrai dialogue, une forte volonté de convaincre, une grande confiance dans l'argumentaire. Il est le seul qui vaille la peine. Si au bout il y a échec, car l'échec n'est jamais exclu, alors les coûts du conflit social qui s'annonce seront plus tolérables. Car tout le monde les percevra comme inévitables. Ce n'est pas le cas aujourd'hui dans l'affaire du terminal à containers du port d'Alger. Des journalistes près du dossier en savent bien plus sur son contenu que des syndicalistes siégeant dans les conseils d'administration de leurs entreprises portuaires. Les dockers vont se mettre en travers des projets de Temmar et de Maghlaoui. Dubai Port World va peut-être s'effaroucher et partir. Tout le dossier pour faire que le transit par les ports algériens ne soit pas le plus cher de la rive méditerranéenne sera à reprendre. Le coupable ? Une dérive de plus de la gouvernance arrogante.