Divine surprise que cette adaptation du monumental Hamlet de William Shakespeare, l'enfant terrible de la tragédie des temps modernes. En fait, la pièce présentée par la troupe En-Nawaris de Bougaâ aura subi une double adaptation. D'abord, par le dramaturge irakien Khazaal El Majidi, ensuite par Boudjemaâ Ouali qui aura réadapté le texte sous le titre Le Cri d'Ophélie et enfin, par le jeune réalisateur Kamel Attouche qui montera la pièce en s'appuyant sur deux actrices, Nadia Tayebi, dans le rôle de Gertrude, la mère du prince Hamlet, et Louiza Zerguini, dans le rôle de Ophélie, la fille de Polonius, chambellan du roi Claudius. Dans les rôles respectifs de Polonius, Claudius, Laërte, le fils de Polonius et Horatio, l'ami d'Hamlet, il fera appel à Abdelaziz Dehimi, Amirouche Ribat, Ahmed Meddah et Larbi Saci. Dans la vie courante, les six comédiens sont tous étudiants. Certains d'entre eux suivent des études de langues étrangères, ce qui leur aura grandement facilité la lecture de la traduction française ainsi que la version arabe. N'utilisant comme décor qu'un rideau de fond et quelques accessoires, le réalisateur parviendra à recréer l'ambiance feutrée du royaume du Danemark, théâtre de la tragédie qui commence. Car, d'emblée, les spectateurs sont surpris par l'intrusion de la vidéo qui restitue parfaitement le naufrage d'un navire qui aurait sombré et à bord duquel Hamlet se trouvait. Ensuite, c'est sur son portable que l'information parvient au palais, jetant dans une terrible épreuve les principaux protagonistes. Cette grande liberté dans l'adaptation pourra choquer les tenants d'un rigorisme désuet, elle ne soulèvera pas la moindre incantation de la part du public, dont la majorité aura parfaitement admis cette escapade dans l'ère du numérique. Au fil du temps, le public prendra réellement conscience du drame qui se tisse à travers les interprétations d'une rare maîtrise de la part des acteurs. Les intonations qui rythmèrent la première partie du spectacle, ne seront pas du goût de certains. Pourtant, entre les cris et les chuchotements, c'est toute l'atmosphère de la tragédie qui est mise en évidence. Car, lorsqu'il faudra hausser le ton, les acteurs ne se priveront pas de mettre à l'épreuve des cordes vocales parfaitement habituées à ce genre d'exercice. Les habitués des vociférations, qui sont malheureusement monnaie courante chez nombre de troupes arabes, auront la sagesse de ne pas se faire entendre. La consécration d'Agadir La distribution aura grandement réussi dans son entreprise, car aucun des acteurs présents ne fera montre d'une quelconque défaillance. Les performances des deux jeunes étudiantes ne seront pas passées inaperçues. Notamment la séduisante Nadia Tayeb, qui, servie par une voix très puissante, en étonnera plus d'un dans le rôle de la reine Gertrude. La scène de l'agonie illustre largement les capacités de l'actrice à internaliser parfaitement son rôle au point que le personnage atteindra l'authenticité. Ensuite, viendra l'instant ultime qui précède la mort où les dernières convulsions seront saisissantes de réalité. Affalée enfin sur son trône, elle parviendra à garder la posture, les yeux écarquillés, durant 45 minutes. Un véritable exploit qui prendra plus d'étoffe lorsque l'observateur averti n'aura à aucun moment remarqué le moindre pincement de sourcils. Si ce n'est pas du grand art, cela y ressemble étrangement. La pièce qui avait participé au festival d'Agadir aura raflé pas moins de 3 prix, dont celui de la meilleure écriture et du meilleur rôle masculin, remporté par Amirouche Ribat, dans le rôle du roi Claudius. Accompagné par la sublime musique du film Troie, version Brad Pitt, légèrement retouchée, la pièce aura littéralement conquis le public qui ne se gênera pas pour applaudir à plusieurs reprises ce somptueux spectacle. N'en déplaise à quelques incorrigibles détracteurs, l'adaptation de la pièce écrite en 1602 par Shakespeare, par ces étudiants blidéens, aura fait honneur à l'université algérienne, à la pratique théâtrale et au festival de Mostaganem. Le spectacle qui s'est parfaitement bien comporté au Maroc, mérite d'être largement diffusé en Algérie. Il démontre de manière magistrale que seule la pratique du théâtre classique peut valablement permettre l'éclosion de véritables talents. Toute autre voie n'aboutissant que sur l'impasse de la régression stérile. Qui se plaindra si le couronnement de Mostaganem fera oublier la consécration d'Agadir ?