Ronronnant et sans aucune espèce de vie sur scène, la fable contée par le « king » est un long et ennuyeux réquisitoire autour de la vie d'artiste, au crépuscule de son existence terrestre. Khmais, le personnage principal, ressasse ses rancœurs d'aujourd'hui et d'antan sans aucune chaleur scénique. Ses complices, un régisseur paumé et une sorte de Chahrazad, sur le retour, ne sont là que pour mieux accentuer le désarroi du personnage et du… comédien. La pièce, qui rappelle vaguement dans sa thématique de départ le Chant de cygne de l'écrivain russe Anton Tchékov, parle d'un vieil interprète qui se met à convoquer ses grands rôles – réels ou supposés – et ses préférences du théâtre universel. Il en cite quelques personnages emblématiques, en personnifie sur scène quelques-uns, entre en conflit avec ses comparses qui lui donnent la réplique et puis s'enfonce dans une sorte de délire barbant pour le spectateur et confus pour la lecture scénique de la pièce. King Khmais manquait manifestement de souffle et d'imagination, elle était à côté de la plaque. La magie de la scène de la salle Ibn Rachik n'a pu sauver les meubles, malheureusement. Heureusement que ce ne fut pas le cas pour la pièce belge Kiss of Death (Le baiser de la mort) adaptée et mise en scène par Isabella Soupart à partir de la tragédie de Hamlet écrite par le poète et dramaturge William Shakespeare. Kiss of Death est une invite à une relecture moderne et intelligente du grand classique anglais inspiré de l'histoire romancée de ce célèbre prince danois qui se devait de tuer son oncle pour venger le père et périr ensuite parce que c'est comme ça que c'est inscrit dans son destin, lui a-t-on dit. Sans perdre de ses repères originels et de ses ressorts dramaturgiques, le Hamlet de Soupart, par ailleurs chorégraphe, est branché sur notre temps, il y a des défilés d'images sur écran, des images confectionnées par l'ordinateur, des danses de maintenant et du son numérique de demain. Le visuel, le corps et la voix sont présents, efficaces et créateurs d'émotions renouvelées dans cette détonante architecture scénographique faite de cubes en verre où tout se montre et où rien ne se cache. La synchronisation entre l'image cinéma (art de l'illusion s'il en est) et l'image réelle est menée au cordeau. C'est du grand art tout simplement. Le Hamlet de Soupart enrichit prodigieusement le Hamlet du début du XVIIe siècle, il lui fait traverser les âges, les époques et les situations exceptionnelles. Il les réactualise en magnificence dans le mélange des genres, propose à Hamlet les palais d'aujourd'hui mais ne lui fait pas changer d'âme, ne le détourne pas de ses missions liées à sa fatalité première, à ses refus premiers de se mettre à genoux face aux ordres. Dans Kiss of Death, Hamlet est égal à lui-même, aussi bien face aux âmes bien nées qu'à la canaille. Sa mise à genoux est une mise à genoux à l'idéal même. Sa célèbre sentence : « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark », est prodigieusement actuelle. La pièce irakienne, montée sous les bombes et la terreur, insiste sur le délitement des valeurs qui sont censées cimenter la destinée d'une nation. Grave dans son élaboration parce qu'écrite et jouée pour dire son refus de l'envahisseur. Un rêve à Baghdad est d'abord une expression de bravoure dans l'acte de dire sa présence. Les comédiens parlent peu, c'est leurs corps qui parlent, qui expriment toutes les douleurs comprimées et les rages enfouies, apparentes. Le corps est lieu de rencontres de toutes les blessures et coups de massue assénés aux certitudes d'hier et incertitudes d'aujourd'hui. Il est à rappeler qu'une sympathique réception a eu lieu, en marge des représentations théâtrales, sur le splendide car-ferry de la compagnie maritime tunisienne accosté sur le quai du port de La Goulette.