C'est le cas de la famille Bouarbia dont les valises et les sacs sont restés, cet été, soigneusement rangés dans la cave de leur HLM à Saint-Denis. « Pas d'argent, pays de retour au pays », résume en gros Hocine, le père de famille. Paris : De notre bureau Ce dernier réalise qu'il ne peut plus se permettre de retourner chaque année en Kabylie avec femme et enfants. « A moins de m'endetter », précise-t-il. « Tout devient cher à présent. Les billets d'avion, les cadeaux pour la famille pléthorique du bled, sans oublier les dépenses nécessaires pour vivre sur place. » Hocine, 57 ans, agent de maintenance dans une entreprise de bâtiment, a fait un calcul rapide mais efficace. Il en a déduit que passer quinze jours dans son village natal équivaut à quatre mois de travail, sans les engueulades du chef. « Je suis frustré. Même si je brûle d'envie de revoir les miens, les amis et les vieux de notre village, je ne peux rien faire. Avec mon salaire, on arrive à peine à vivre décemment ici en France, payer les études des enfants, le loyer et les courses… Voyager chaque année, comme on le faisait avant, devient subrepticement un souhait, voire même un rêve familial qui s'éloigne. » Arezki fait presque le même. Boucher algérien de 47 ans, il est installé depuis douze ans dans le quartier arabe de Noailles à Marseille. Ce qui dérange cet artisan, ce sont surtout les « petits cadeaux » que lui réclame toujours sa famille proche. « Qu'ils soient proches ou éloignés, tous les cousins et tous les oncles me chargent de leur ramener un petit ‘‘quelque chose'', comme ils disent. Un téléphone portable pour les uns, un appareil photo pour les autres, ou un Jean 501. Si je calcule le prix de tous ces ‘‘petits quelques choses'', je m'en sortirais aisément avec 4000 euros. » Et d'enchaîner : « De l'autre côté de la mer, ils pensent qu'en France nous ramassons l'argent sur les routes et qu'il suffit juste de se pencher à même le sol pour prendre un billet. Si c'était le cas, avec le nombre de kilomètres que je fais quotidiennement pour mon travail, j'aurais amassé des milliards. » Fatigué d'être « plumé » comme il le dit, Arezki a trouvé la parade. Chaque année, il loue pour deux semaines une petite villa au bord de la mer en Espagne, où il emmène sa famille se prélasser sous le soleil ibérique, loin du brouhaha marseillais. « J'ai fait mes comptes. Venir ici me revient moins cher que de partir au bled. Pas de billets d'avion ni de complaintes des uns ou des autres. En Espagne, j'arrive à me reposer après plusieurs mois de travail fatigant et de réveil aux aurores. » En France, selon des statistiques faites régulièrement par des organismes sociaux, plus de 50% de familles ne partent pas en vacances et ce, pour des raisons financières. Pour donner du plaisir aux enfants de familles défavorisées, notamment maghrébines et africaines et aux personnes âgées, le Secours catholique, avec l'aide de certaines municipalités, les emmène à la mer et organise un repas géant en plein air. Mais ce n'est qu'une petite goutte dans un océan de monotonie estivale où les jeunes « beurs » restent collés, à longueur de journée, aux dalles chaudes de leurs immeubles ou dans les cages d'escaliers glauques et mal éclairées. Loin des quartiers populaires et des cités, Mouloud, 43 ans, vit dans un hôtel meublé mais piteux de la rue des Trois Bornes dans le 11e arrondissement de Paris. Seul, sans famille, il survit grâce aux allocations sociales que l'Etat français lui verse chaque mois. Mais Mouloud doit d'abord penser à payer son loyer, se nourrir avant de vouloir rentrer au pays voir ses enfants. Il fulmine contre Air Algérie, Air France et contre l'Etat algérien qui n'ont rien fait pour solder les billets d'avion comme c'est le cas vers d'autres destinations. Dans sa modeste chambre au deuxième étage, avec vue sur la misère et les poubelles qui s'amassent, Mouloud a cessé de rêver des siens depuis deux ans. « Je ne suis pas retourné au pays depuis 2005. J'ai honte de partir les poches vides et les valises légères. Que penseraient ma femme et mes deux enfants, pour qui je ne peux même pas offrir un petit cadeau ? » « Non, juge-t-il. Le mieux pour moi est de rester dans cette chambre obscure et tenter de retrouver vite un travail et mettre de l'argent de côté en vue de partir passer le mois du Ramadhan chez ma famille. » Mais pour l'instant, l'été est une saison comme toutes les autres pour ce locataire. Triste et esseulé, le seul voyage qu'il arrive à faire, c'est de quitter sa chambrette pour se rendre au bar d'à côté.