Un soleil radieux était au rendez-vous pour réchauffer les coeurs des enfants des «Maisons du soleil». L'opération de relogement des familles du quartier populaire Diar Echems (ex-Clos Salembier), entamée dimanche dernier, s'est poursuivie durant toute la nuit du lundi au mardi ainsi que la journée d'hier. Pas moins de 307 familles des immeubles A, B, C et E ont été acheminées vers leurs nouvelles demeures, sises au lieudit Djnane Sfari à Birkhadem. L'ambiance était des plus joyeuses, et les youyous et les acclamations ont rempli l'air, des heures durant. Il est 18 heures 30 en cette brumeuse soirée du lundi 15 mars, quand nous arrivons sur les lieux de l'un des quartiers des plus déshérités de la capitale. Des dizaines de camions sont garés tout au long de la route menant vers les Jasmins. Des policiers et des agents de la Protection civile veillent au grain. Le centre du quartier ressemble à une fourmilière. Jeunes et moins jeunes, portant à bras-le-corps des meubles, des téléviseurs, de gros ballots et des valises pleines à craquer, courent dans les escaliers en s'interpellant. Ils se dirigent vers les camions. C'est le grand déménagement, mais pour Riadh «c'est l'indépendance». Ce jeune homme d'une trentaine d'années se rue vers l'un des camions. «Tout est très bien organisé. Les voisins sont solidaires et s'entraident pour transporter leurs affaires», explique-t-il tout essoufflé. Pour une bonne organisation, il a été décidé que dans chaque bloc, les habitants procèdent à l'évacuation des lieux par ordre alphabétique.Plusieurs ouvriers de l'Epic Asrout sont regroupés dans un coin prêts à prêter main forte aux déménageurs. «Notre rôle consiste à aider ces familles à transporter leurs meubles et leurs affaires et les charger dans les camions», explique l'un d'eux. Des agents de l'entreprise de réalisation des travaux d'électricité Erma sont également présents. Ils installent des miniprojecteurs sur les camions pour assurer un éclairage parfait des lieux et parant ainsi à toute panne d'électricité. Une nuit glaciale et des coeurs heureux... Il est un peu plus de minuit. Le climat est très humide et une bruine tombe doucement. Un froid glacial s'abat sur le quartier. Le thermomètre affiche 4°C. Cependant, les désormais ex-habitants de Diar Echems n'y prêtent pas attention. «Aujourd'hui, on ne pense qu'à notre bonheur. C'est la première fois que je sens vraiment que je suis un Algérien à part entière», jubile Ammi Mohamed qui n'arrive pas à retenir les larmes de joie qui coulent sur ses joues ridées. Ce grand-père de 71 ans, vit dans un F1 depuis...1961. Du côté du bloc A, c'est la même effervescence...Les rires fusent de partout et les youyous des femmes déchirent la nuit. Valises, bassines, tables, chaises et armoires sont déposées çà et là, donnant l'impression d'être dans une fête foraine. L'évacuation des minuscules appartements poursuit son cours. Soudain, des cris de femmes se font entendre. «C'est une voisine bénéficiaire d'un logement qui, sous le coup de la forte émotion, s'est évanouie», rassure un habitant. Revenue à elle, la bonne dame semble être aux anges. Devenue tout d'un coup volubile, elle se met à articuler des paroles incompréhensibles. Après s'être calmée et excusée pour sa «petite faiblesse», elle explique avec humour: «Dans le trou où j'ai vécu pendant plus de 30 ans, les rats sont aussi nombreux que mes enfants. Maintenant qu'on nous donne des maisons décentes, je n'arrive pas à y croire.» Dans un spasme de sanglots qui secoue ses maigres épaules, elle ajoute d'une petite voix: «C'est trop beau pour être vrai.» ...Et des malheureux aussi La vision de cette femme, de ses semblables ainsi que du bonheur qui se lit sur leurs visages portant les traces de la fatigue engendrée par les efforts fournis depuis des heures, est un tableau des plus touchants. Un tableau qui restera à jamais dans la mémoire des ouvriers, agents et responsables dépêchés sur les lieux. «De ma vie, je n'ai vu de visages aussi expressifs. Ils ont l'air de petits enfants face à un rêve heureux qu'ils ne soupçonnaient être un jour exaucé», confie un policier visiblement ému. Toutefois, le bonheur et la joie n'ont pas été le lot de tous. Trois familles logeant au niveau du bloc C sont tombées de haut en ne trouvant pas leurs noms sur la liste des bénéficiaires. Il s'agit des familles B.Hatem et K.Sofiane. Ces dernières sont des locataires qui ont vu les propriétaires des appartements bénéficier de logements neufs, alors qu'elles ont été supprimées de la liste. Les deux familles, sont composées chacune du père et d'un enfant avec des épouses enceintes. «Ce qui est outrageant, c'est que les responsables du comité de quartier nous ont induits en erreur», martèle Hatem. Selon lui, les responsables en question ont noté leurs noms sur la liste pendant l'opération de recensement, ce qui les a mis en confiance. «Comme tout le monde, nous avons emballé nos affaires et nous nous sommes préparés au déménagement, car rien ne sous-entendait que nous ne bénéficierions pas de logement», confie son épouse qui vit dans la peur de se voir jetée à la rue. Le troisième cas est celui de la famille A.Mustapha. Ce dernier occupe depuis huit années l'une des neuf caves de l'immeuble C qu'il a achetée à un particulier. Seulement, il ne comprend pas pourquoi tous les propriétaires ont eu droit à des appartements neufs et pas lui. Au bord de la dépression nerveuse, il ne sait plus à quel saint se vouer. Des responsables de l'APC lui ont demandé, ainsi qu'aux deux autres pères de famille, d'introduire des recours et de les déposer au niveau de la daïra. Un responsable de cette institution a, en effet, assuré que leurs dossiers seront étudiés dans les plus brefs délais. Par ailleurs, le wali d'Alger a confirmé, il y a quelques jours, que la wilaya d'Alger a bénéficié d'un quota de 10.000 logements relatifs à la formule logement social-locatif et logement social-participatif. Pour ce qui est des familles qui sont toujours à Diar Echems, elles seront toutes relogées avant la fin de l'année en cours. L'opération de relogement touchera également d'autres quartiers défavorisés de la capitale. Enfin, une initiative qui calmera beaucoup les esprits chauffés à blanc, et qui n'ont eu comme seul moyen pour faire entendre leurs voix, que le recours à l'émeute.